par Hans Peter Portner, Philippe Rohner et Arnaud Bisschop, responsables du fonds Pictet Water
Lors du lancement du tout premier fonds dédié au thème de l’eau par Pictet en 2000, nombreux ont été les investisseurs à se montrer plutôt sceptiques. A cette époque, ceux-ci manifestaient un engouement immodéré pour des valeurs internet bientôt promises au naufrage. L’eau, pour sa part, était rangée dans la catégorie de la “Old Economy”. Une croissance moyenne à long terme de 8% par an ? Quel ennui !
Et on connaît la suite de l’histoire : la bulle des dot.com a éclaté, et dans son sillage, le réchauffement climatique, la hausse continue des émissions de CO2 ainsi que la volonté de protéger nos ressources vitales contre toute utilisation irrespectueuse de l’environnement ont, ces dernières années, ouvert les yeux aux investisseurs, qui voient désormais dans les thèmes liés à l’environnement de réelles opportunités de gains.
Et le thème de l’eau est, en effet, très intéressant. L’eau est souvent qualifiée d’or bleu, clin d’oeil à l’or noir, synonyme de pétrole. Or, ce parallèle est quelque peu boiteux. En effet, le pétrole arrive à épuisement, si bien que les gouvernements s’emploient avec force à exploiter de nouvelles sources d’énergies renouvelables. Mais existe-t-il une alternative à l’eau ? Que nenni. L’eau est irremplaçable : sans elle, pas de vie. La bonne nouvelle, c’est qu’il y en a encore en abondance. Le cycle de l’eau fonctionne dans un circuit fermé (de la terre, elle coule dans les rivières et les océans, puis se dissipe dans l'air pour à nouveau s’infiltrer dans la terre).
Par ailleurs, la quantité d’eau demeure stable. Par contre, la mauvaise nouvelle, c’est que l'homme ne peut utiliser directement que 0,25% de cette énorme masse d’eau disponible sur notre planète “bleue”, le reste n’étant qu’eau de mer, glaciers et eaux usées. La situation se complique d’autant plus quand on sait que les agglomérations qui se développent le plus fortement se situent dans des régions chaudes, où l’eau se fait rare, poussant l’homme à redoubler d’efforts pour s’approvisionner. Et les conséquences ne se font pas attendre: des réserves d’eau surexploitées, souillées et gaspillées (on parle alors de stress hydrique).
Nombreux sont ceux qui pensent encore que l’eau constitue un bien libre, ce qui a des répercussions fatales. Des prix trop faibles engendrent des moyens limités pour entretenir et assainir les infrastructures. Une des conséquences? Selon des estimations de l’UNICEF, plus de 1,1 milliard d'humains ne bénéficient toujours pas d'eau propre à l’heure actuelle, et 4 milliards ne sont pas raccordés à un système d’épuration des eaux. D’après les prévisions de l'ONU, nous serons quelque 9 milliards à peupler la planète en 2050. Aussi, l’eau n’est-elle en aucun cas un bien gratuit, mais plutôt une ressource extrêmement rare. La Journée mondiale de l’eau proclamée par l’ONU permet ainsi de tirer la sonnette d’alarme et de mieux prendre conscience de l’importance et de l’urgence des mesures à prendre.
Les gouvernements et les industries à bras- le-corps
Il y a quelques années encore, seuls les milieux spécialisés s'entretenaient de la problématique liée à l’eau. Des épidémies importantes comme celle survenue à Milwaukee aux Etats-Unis en 1993, qui a vu le parasite de la cryptosporidiose proliférer en raison d’infrastructures hydrauliques vétustes et qui a provoqué plus d’une centaine de décès, ou encore des disputes portant sur l’utilisation de ressources hydrauliques (par ex. l’acheminement d’eau de la Californie du Nord à Los Angeles) ont changé la donne. Aujourd’hui, la question de l’eau concerne la sociétédans son ensemble, à l’échelle mondiale.
Les gouvernements et les industries du monde entier s’emploient à relever ce défi. Récemment, la Chine a déclaré l'eau comme ressource stratégique et a l’intention d’investir plusieurs milliards dans ses infrastructures hydrauliques, afin de ne pas compromettre ses ambitieux objectifs économiques. Le gouvernement s’efforce également d’éviter tout bouleversement social et politique que la migration induite par le stress hydraulique pourrait provoquer. La plupart des pays en voie de développement et ceux industrialisés devront déployer des moyens considérables ces prochaines décennies s’ils souhaitent installer des infrastructures d’eau ou les maintenir en l'état.
Des sommes colossales sont en jeu. En raison de directives plus strictes émanant de l’UE, près de 350 milliards d’euros seront investis entre 2006 et 2025 dans l’installation de nouvelles infrastructures et technologies. Les Etats-Unis, pour leur part, entendent investir quelque 900 milliards de dollars jusqu’en 2019, dans le but de satisfaire aux exigences d’ordre quantitatif et qualitatif. Or, nombreux sont les pays qui, en raison du niveau sommital de leur endettement, ne sont pas en mesure de pourvoir seuls ‡ de telles dépenses. Le secteur de l’eau – fournisseurs, entreprises de technologie ainsi que prestataires de services environnementaux – propose des solutions en matière d’implémentation et d’exploitation des infrastructures. La délégation de ce type de tâches à des sociétés privées (externalisation) permet de décharger les Etats, lesquels peuvent consacrer toute leur énergie à d’autres missions urgentes. La taille de ce marché dit de l'outsourcing est énorme, avec un chiffre d’affaires annuel de 260 milliards de dollars (croissance de 6% par an). A l’horizon 2015, les fournisseurs privés d’eau pourraient approvisionner jusqu’à 16% de la population mondiale. Grâce à des mécanismes de fixation de prix équilibrés, le volume et la qualité des prestations sont proposés à des prix acceptables. L’Angleterre et la France sont des exemples illustrant le bon fonctionnement de cette collaboration.
Les fournisseurs privés, à l’instar de la société française Veolia Environnement, font très souvent appel à l’outsourcing industriel. Cette entreprise réalise environ 30% de son chiffre d’affaires via sa clientèle industrielle. Sa base de clients va des fabricants automobiles (par ex. Renault) à la chimie et à la pharmaceutique (BASF, Wyeth), en passant par l’agroalimentaire (Nestlé).
Le secteur de l’eau à horizon 2020
Ces prochaines années, ce seront surtout la Chine, l'Inde, l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient qui occuperont le devant de la scène dans le domaine de l'eau. En effet, ces régions présentent d’importantes lacunes. Quant à l’Europe et aux Etats-Unis, ils demeureront au second plan, l’outsourcing industriel représentant le plus fort potentiel de croissance. Lors de l’exécution de projets d'infrastructure complexes, ce sont en règle générale les sociétés de services collectifs qui sont mandatées, lesquelles tirent leur épingle du jeu de la situation. Concernant les entreprises technologiques agissant comme sous-traitants, elles font l’objet d’une concurrence féroce, qui ampute sensiblement leurs marges bénéficiaires. Globalement, l’industrie de l’eau ne devrait pas accuser de baisse de la demande. Bien au contraire, les quelque rares acteurs d’envergure devront répartir leurs ressources entre les pays industrialisés et ceux en développement. La demande demeure largement excédentaire, ce qui induira une hausse des prix.