Chômage en France : pas d’embellie avant longtemps…

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Dans le débat (un peu involontaire…) auquel se sont livrés le Président de la République et le Premier Ministre en début d’année à propos des prévisions de chômage1, nous nous situons sans ambigüité du côté du second. En effet, comme les chiffres qui viennent d’être publiés par Pôle emploi pour le mois de février le confirment, la situation sur le marché du travail est loin de s’améliorer. Certes, on pourrait se réjouir de voir le nombre de chômeurs inscrits dans les catégories A, B et C, dites des chômeurs en recherche active d’emploi2, ne progresser « que » de 0,2 % sur un mois (+ 0,4 % en janvier).

Toutefois, cette hausse, même limitée, intervient après déjà deux années de progression soutenue (+ 26,2 %). En outre, elle dissimule une remontée bien plus forte des chômeurs qui ne sont pas en recherche active d’emploi (catégories D et E : + 3,1 % sur le mois), c’est-à dire des demandeurs d’emploi qui, bien souvent, se sont découragés dans leur quête d’un emploi. Ces derniers représentent désormais environ 13 % des chômeurs inscrits à Pôle emploi, soit bien plus qu’avant la crise (jamais plus de 10 % sur la période 1997-2006).

Ce phénomène est recoupé par trois tendances fortes des chiffres de Pôle emploi. D’une part, la catégorie enregistrant la plus forte progression de ses effectifs (+ 20 % sur un an) est celle des chômeurs de plus de cinquante ans, pour qui le retour à l’emploi est, déjà en temps normal, délicat. D’autre part, la part des chômeurs de longue durée, après avoir très fortement baissé au cours de la dernière décennie, se redresse maintenant depuis un an (34,6 % des chômeurs en recherche active le sont depuis plus d’un an). Enfin, le principal motif de sortie des chiffres de Pôle emploi, et le plus dynamique d’ailleurs (+ 16,3 % sur un an), concerne les personnes qui ont été radiées pour défaut d’actualisation de leur situation3.

Certains pourraient croire que le retour de la croissance observé depuis le printemps dernier (+ 1,1 % par rapport au premier trimestre 2009, après – 3,8 % durant la crise) va, tôt ou tard, conduire à une baisse du chômage. Mais cette relation n’a rien de mécanique. En effet, plus que la croissance du PIB, c’est le niveau de l’output gap (écart entre la croissance effective et la croissance potentielle) qui détermine l’amélioration du marché de l’emploi. Comme la loi d’Okun4 le rappelle, lorsque l’économie produit moins que le PIB potentiel, elle n’utilise pas pleinement toutes les capacités productives, en particulier le facteur travail. Le taux de chômage a donc tendance à continuer d’augmenter.

Or, si on estime la croissance potentielle française dans une fourchette comprise entre 1,5 % et 2 % et si on retient les prévisions économiques que nous faisons5 (croissance française d’environ 1 % tant en 2010 qu’en 2011), on voit que l’output gap ne devrait pas redevenir positif avant longtemps. En outre, même dans le cas contraire, il faut rappeler que, dans la loi d’Okun, le coefficient qui relie l’évolution du chômage à celle de l’output gap est inférieur à l’unité, c’est-à dire que le taux de chômage baisse proportionnellement moins vite que ne progresse l’output gap.

Trois facteurs expliquent ce phénomène. D’une part, les entreprises commencent à s’ajuster à une hausse de la demande en mobilisant de manière accrue des effectifs déjà employés (heures supplémentaires par exemple).

Ensuite, le nombre de chercheurs d’emploi est influencé par la disponibilité des emplois. Ainsi, quand la croissance revient, des personnes qui étaient sorties des chiffres de Pôle emploi ont tendance à se réinscrire. Enfin, en phase de hausse de l’activité, les gains de productivité augmentent, réduisant ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les besoins en main-d’œuvre. Bref, on le voit, il est difficile de tabler sur la croissance pour espérer faire baisser le chômage.

Dans ce cadre, les politiques conjoncturelles ne pouvant être plus mobilisées qu’elles ne l’ont déjà été durant la crise, les gouvernements ne peuvent compter que sur des mesures structurelles6 : réforme fiscale pour réduire le coût du travail, contrainte sur le partage du revenu national, lutte contre les rentes, politiques contraignantes d’intégration des jeunes en entreprises… Néanmoins, leur mise en place étant difficile et leurs effets certainement longs à apparaitre, il semble délicat d’envisager une réelle baisse du chômage en France avant fin 2011.

NOTES

  1. N. Sarkozy avait affirmé le 25 janvier que « dans les semaines et les mois qui viennent, vous verrez reculer le chômage dans notre pays ». F. Fillon a, de son côté, annoncé le 25 février que le chômage allait augmenter « au moins jusqu’à la mi-2010 ».
  2. http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/2010-015_-_Demandeurs_d_emploi_inscrits_et_offres_collectees_par_Pole_emploi_en_fevrier_2010_doc_mars_2010_.pdf
  3. Les sorties des statistiques de Pôle emploi pour motif de reprise d’emploi déclarées représentent moins de 20 % du total…
  4. Economiste américain qui fut un des conseillers du Président Kennedy.
  5. Cf. Caffet J.C. (2010), « Edito : Prévisions de croissance en France : le vrai courage n’est-il pas la prudence ? », Eco Hebdo n°11.
  6. Cf. Artus P. (2010), « Que faire contre le chômage en Europe ? », Flash n°51, Natixis

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