Par Stéphane Monier, Directeur des investissements chez Lombard Odier
L’Union européenne s’apprête à accélérer les livraisons de vaccins contre le Covid-19 afin de créer une immunité au sein de ses populations, condition préalable pour que les principales économies de la zone euro renouent avec leurs niveaux d’avant la pandémie dès début 2022.
L’issue de la bataille contre le virus dépendra de l’immunité d’un nombre suffisant de personnes afin d’empêcher les nouvelles souches de générer de nouvelles flambées épidémiques. En Europe, au niveau national, de nombreux taux absolus de contamination et de mortalité sont inférieurs à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni. En revanche, le rythme européen des vaccinations a pris du retard en raison de problèmes d’approvisionnement et d’inquiétudes ponctuelles concernant la sécurité des vaccins. En matière de vaccination, les retards sont aussi vieux que la technologie elle-même. Cette semaine, Christie’s va mettre aux enchères une lettre datée de juin 1801 et adressée par le docteur Edward Jenner à un médecin londonien, où il s’excuse d’un retard pris dans l’approvisionnement en vaccins. Le docteur Jenner a été l’un des pionniers du vaccin contre la variole, le premier au monde.
Cependant, le sort de l’UE est sur le point de changer, car les approvisionnements devraient augmenter substantiellement, de quelque 100 millions de doses au cours des trois premiers mois de l’année à environ 360 millions de doses durant le deuxième trimestre. Un nombre suffisant pour vacciner complètement, avant juillet, plus de 207 millions de personnes, soit un peu moins de la moitié de la population de l’UE (voir graphique). Au 4 avril, la Commission a indiqué que le niveau médian du pourcentage des premières doses administrées aux adultes était de 16% dans l’ensemble de l’Union.
Pour l’instant, les taux de vaccination des principaux membres de l’UE – l’Allemagne, la France et l’Italie – restent inférieurs à la moitié de celui des Etats-Unis, et représentent moins d’un quart de celui du Royaume-Uni. Au moment où nous écrivons ces lignes, 47% de la population britannique et 35% des adultes américains ont reçu une première dose. Ce taux est de 15,5% en France, 14,8% en Italie, moins de 15% en Allemagne et 12% en Suisse.
Enjeux politiques
Avec 1896 décès par million d’habitants, le Royaume-Uni a enregistré la plus forte mortalité d’Europe occidentale liée au Covid-19, proportionnellement à sa population. Toutefois l’approche vaccinale de M. Johnson a été largement couronnée de succès, ce qui a permis aux conservateurs de consolider leur avance sur les travaillistes en termes de taux d’approbation. Tandis que le Royaume-Uni se déconfine progressivement, une grande partie de l’Europe occidentale est frappée par une troisième vague pandémique.
Les conséquences politiques se font déjà sentir. En Allemagne, la gestion de la pandémie est de plus en plus critiquée. En octobre, le pays passera le relais à un nouveau chef d’État après seize ans de règne d’Angela Merkel. Les contaminations y ont augmenté et le modèle décisionnel fédéral du pays a été mis sous pression, avec la menace que le gouvernement central de Berlin se charge de coordonner les programmes régionaux de vaccination.
Dans un an, les électeurs français choisiront leur prochain président. Les chances pour qu’Emmanuel Macron soit réélu pour un second mandat de cinq ans dépendront avant tout du jugement porté par les électeurs sur sa gestion de la pandémie. Marine Le Pen, cheffe du parti d’extrême-droite Rassemblement national, entend capitaliser sur un mécontentement populaire similaire à celui qui a porté Donald Trump au pouvoir en 2016 et incité les électeurs britanniques à plébisciter le Brexit.
Projections de croissance
Un peu plus d’un an après le début de la pandémie en Europe, quatre vaccins développés par AstraZeneca plc, Pfizer-BioNTech, Moderna Inc. et Johnson & Johnson, sont disponibles. Après une série de suspensions au niveau national en mars, les régulateurs de l’Union ont fini par approuver le vaccin d’AstraZeneca. Certains régulateurs l’ont limité aux groupes les plus âgés, suite à des problèmes de coagulation sanguine dans les populations plus jeunes. Sur les 360 millions de doses promises au deuxième trimestre, 200 millions devraient provenir de Pfizer.
Les retards dans leur déploiement ont eu un impact économique direct, du fait que la troisième vague impose davantage de restrictions, notamment un nouveau confinement national en France. Néanmoins, grâce au soutien monétaire et fiscal, les économies ont fait preuve d’une remarquable résilience. En France, la croissance devrait s’accélérer au second semestre 2021, avec une augmentation de 5,5% sur l’ensemble de l’année, selon la Banque de France. En Allemagne, la Bundesbank prévoit une expansion économique de 3% pour 2021, tandis que la Banca d’Italia s’attend à une croissance inférieure à 4%. Les données du mois de mars ont montré que l’activité du secteur des services de la zone euro, bien que toujours en territoire de contraction, s’améliorait.
À ce rythme, nous pensons que l’UE retrouvera ses niveaux de production prépandémiques début 2022. Nous tablons sur une accélération de 4,3% du produit intérieur brut de la région cette année encore.
En comparaison, les Etats-Unis pourraient renouer avec leur production prépandémique à la mi-2021 avec une croissance de 6% sur l’ensemble de l’année, tandis que la Chine devrait afficher cette année une hausse de son PIB de 9%. Au Royaume-Uni, où l’impact initial de la pandémie a été plus important et où le PIB a diminué de 9,8% sur l’année, le rebond espéré sera également plus robuste.
La semaine dernière, le Fonds monétaire international a relevé ses prévisions de croissance économique mondiale pour la deuxième fois depuis le début de l’année. L’économie mondiale pourrait progresser de 6% en 2021 et de 4,4% supplémentaires en 2022, contre une contraction de 3,3% en 2019, a indiqué le Fonds basé à Washington. Ces augmentations proviennent principalement des dépenses d’infrastructure et liées au Covid-19, annoncées par l’UE et en particulier par les Etats-Unis.
Plans de dépenses
En juillet dernier, les dirigeants de l’UE ont adopté un fonds pandémique de EUR 750 milliards. Pour la première fois, l’accord permet à la Commission européenne, organe exécutif de l’Union, d’endosser la dette au nom des 27 Etats membres, réduisant potentiellement le coût des emprunts pour les nations les plus pauvres de l’Union. L’enveloppe, qui équivaut à 5,6% du PIB de l’UE, se heurte toutefois à des dissensions politiques quant à sa répartition. Les Etats membres ont jusqu’à la fin du mois d’avril pour soumettre à la Commission européenne leurs propositions de dépenses initiales.
Toute la question est de savoir si ces fonds pourront être répartis à un rythme suffisamment rapide pour soutenir les économies impactées par la pandémie. L’essentiel de l’aide sera versé en 2023 et 2024, conformément aux programmes de dépenses budgétaires septennaux de l’UE.
Les Etats-Unis se sont engagés à verser USD 1’900 milliards pour lutter contre les effets de la pandémie, auxquels s’ajoutent les plans de dépenses en faveur des infrastructures et de l’emploi d’une valeur de USD 2’200 milliards, tandis que la Réserve fédérale s’est engagée à laisser inchangés ses taux directeurs jusqu’en 2023.
L’UE s’apprête à accélérer sa campagne de vaccination contre le Covid-19. Les entreprises européennes, dont les activités sont fortement orientées vers l’exportation, se trouvent donc en bonne position pour bénéficier de l’embellie conjoncturelle mondiale. L’industrie, les matériaux et certaines sociétés financières et énergétiques européennes, en particulier, offrent aux investisseurs des opportunités dans le cadre de la rotation des valeurs de croissance vers les actions cycliques et « value ».