par Nathalie Navarre, stratégiste chez Amundi Asset Management
En dégradant la note souveraine de l‘Espagne de AAA à AA+, l’agence Fitch a invoqué le fait que l’ajustement des déséquilibres économiques et financiers allait peser sur les perspectives de croissance. De fait, la bulle immobilière a généré un fort endettement, creusé les déficits courants et longtemps caché la nécessité de réformer le marché du travail. Par ailleurs, le système bancaire, très exposé au secteur immobilier, se révèle aujourd’hui fragilisé et surdimensionné. Nous considérons que la croissance potentielle espagnole sera plus faible que dans le passé (de l’ordre de 1,5% contre 3,5% dans les années 2000).
Toutefois, les mesures prises récemment par les pouvoir publics (austérité budgétaire, contrôle du secteur financier, réforme du marché du travail) devraient permettre de contenir la dette publique en dessous de 80% du PIB dans les prochaines années. Compte tenu de son niveau actuel (53% du PIB en 2009), l’Espagne aura alors un des ratios de dette publique les plus faibles parmi les pays notés AA ou mieux.
Une économie bâtie sur des déséquilibres
Durant les dix années qui ont précédé la crise, la croissance économique espagnole a été bien plus forte que celle de l’ensemble de la zone euro (3,5% contre 2,1%). La demande interne y a été soutenue par des taux réels bas, ce qui a généré une bulle immobilière, mais aussi déformé la structure de l’économie au profit du secteur de la construction et de l’immobilier. Celui-ci a crée entre 2002 et 2007 plus d’emplois que l’ensemble de l’économie française. Les crédits aux ménages et aux entreprises sont passés de 50% environ en 2003 à respectivement 89% et 83% du PIB en 2009. Aujourd’hui, l’Espagne possède le marché du travail le moins flexible de la zone euro (selon l’indice de la rigueur de la protection de l’emploi de l’OCDE). Ce marché est très segmenté avec une forte proportion d’emplois temporaires, ce qui a conduit à une forte hausse du chômage (20%). Le gouvernement est en discussion avec les partenaires sociaux afin de diminuer le coût du travail et d’assouplir le marché de l’emploi et des réformes sont sur le point d’aboutir. Par ailleurs, cette forte demande interne a nourri les importations et le déficit de la balance courante s’est aggravé très fortement passant de 0,3% du PIB en 1995 à 10% du PIB en 2007. Le déséquilibre a déjà commencé à se corriger, puisqu’en 2009 le déficit courant était revenu à 5,4% du PIB.
Restructuration du secteur financier
En liaison avec la bulle immobilière, de nouvelles dépréciations d’actifs sont attendues mais essentiellement dans les Cajas (Caisses d’épargne) qui ont massivement financé les projets immobiliers. Ces caisses d’épargne font aujourd’hui face à deux types de problèmes :
- Des dépréciations d’actif à venir : Selon le FMI, les dépréciations d’actifs à venir pour l’ensemble du secteur bancaire espagnol (pour 2010-2012) sont estimées à 4 Mds EUR. Dans un scénario de risque extrême, ces dépréciations pourraient atteindre 59 Mds EUR, soit au final à des besoins en capitaux estimés à 5 Mds EUR pour les banques commerciales mais à 17 Mds EUR pour les caisses d’épargne. Dans les deux scénarios, les caisses d’épargne apparaissent bien plus fragiles en raison de leur profil de risque et de leurs plus faibles perspectives bénéficiaires qui dépendant exclusivement de l’économie espagnole, contrairement aux banques commerciales largement exposées dans d’autres pays (Amérique latine notamment). Le FMI comme les agences de notation, jugent que ces dépréciations sont gérables en raison d’une part des ratios actuels de solvabilité et d’autre part de l’existence du fond de recapitalisation du système bancaire (FROB). Ce fonds, garanti par l’Etat, peut financer jusqu’à 99 Mds EUR, soit un montant suffisant pour couvrir les pertes du système bancaire, y compris dans le scénario extrême. Ce fonds a déjà engagé plus de 10 Mds EUR, utilisés pour prendre le contrôle de la caisse Cajasur et soutenir la fusion de plusieurs caisses régionales. A noter que dans le scénario extrême (le fonds doit couvrir 22 Mds EUR (17+ 5) qui ne sont pas remboursés), la dette publique ne dépasserait pas selon nos estimations 80% du PIB en 2013.
- Un refinancement très dépendant de la BCE : Les caisses d’épargnes font massivement appel à la titrisation pour leur financement. Depuis le début de la crise, le montant des titrisations des banques espagnoles a continué d’augmenter. Or, le marché de la titrisation étant inopérant, ces portefeuilles ont été déposés auprès de la BCE en échange de liquidités. Les banques espagnoles représentent désormais 16% des opérations de refinancement proposées par la BCE (contre un poids de 12% dans le PIB). Elles seront donc vulnérables le jour où la BCE décidera de réduire la taille de son bilan.
En conclusion, la péninsule ibérique entre dans une période d’ajustement douloureux à la fois de son économie et de ses caisses d’épargne régionales. Toutefois, passé cet ajustement, la dette publique devrait être soutenable et se maintenir à des niveaux inférieurs à la plupart des grands pays développés.
L’adjudication prévue en juillet (pour couvrir une arrivée à échéance obligataire de 23 Mds d’EUR) sera un test de la confiance des investisseurs.