BCE et Réserve fédérale : portraits croisés sur fond de crise financière

par Clemente De Lucia et Jean-Marc Lucas, économistes chez BNP Paribas

La crise financière des dernières années a contraint les banques centrales à adopter des politiques exceptionnellement accommodantes. Les taux directeurs ont été abaissés à des niveaux extrêmement bas, et de nombreuses mesures de politique monétaire non conventionnelles, consistant le plus souvent en des facilités de crédit innovantes et des achats de titres, ont été mises en œuvre.

A partir de quelques questions, nous revenons sur les mesures adoptées par la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale au cours des dernières années, pour tenter de dresser des portraits croisés des deux banques centrales dans ce contexte de crise. Nous précisons également les enjeux et les défis représentés par la sortie de ces mécanismes de soutien exceptionnels et indiquons nos attentes en matière de remontée des taux directeurs.

Du côté de la BCE

Les décisions des banques centrales s’appuient sur une évaluation de l’orientation de leur politique monétaire qui peut se définir comme étant le moyen de déterminer si la contribution des mesures de politique monétaire est conforme aux objectifs de la Banque centrale (BCE 2010). Ainsi qu'il est précisé dans le Traité établissant l'Union économique et monétaire (article 105 (1)), la mission principale de la BCE est de maintenir la stabilité monétaire à moyen terme. La BCE a quantifié cet objectif en décidant de maintenir le taux d'inflation proche de, mais inférieur à, 2 % à moyen terme.

Le Traité (article 105 (2)) énumère aussi les autres missions de la BCE, dont celle de « promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement ». Les actions entreprises par la BCE pendant la crise financière (puis durant la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro) répondent essentiellement à ces objectifs. En septembre 2007 (un mois à peine après l'apparition des tensions sur les marchés financiers), Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, déclarait : «Nous devons également, quel que soit le niveau des taux d'intérêt (que décide le Conseil des gouverneurs), aider au fonctionnement du marché ». Sous l'effet de l'intensification de la crise financière après la faillite de Lehman Brothers, les pressions inflationnistes se sont atténuées, ce qui a permis à la BCE d'abaisser ses taux directeurs. La tempête financière a presque paralysé le marché monétaire et entamé considérablement la confiance dans le système bancaire. Le dysfonctionnement du marché monétaire européen a, dans une certaine mesure, compromis le processus de transmission de la politique monétaire par le canal des taux d'intérêt. Depuis octobre 2008, la BCE s'est engagée dans une politique de prêts non conventionnelle destinée à rétablir le fonctionnement du marché monétaire et à ramener la confiance à l'égard du secteur bancaire, qui a pu recommencer à jouer pleinement son rôle prédominant dans le financement du secteur privé dans la zone euro, à la différence des autres économies avancées.

C'est aussi l'évaluation de l'orientation de la politique monétaire qui guidera le retrait des mesures prises en réponse à la crise. L'évaluation des risques pesant sur la stabilité des prix déterminera en particulier le dénouement des mesures conventionnelles (taux d'intérêt). Etant donné que les pressions inflationnistes sont toujours modérées, la BCE devrait laisser inchangé son taux de refinancement (refi), qui se situe actuellement à un plancher historique de 1%, jusqu'au second semestre de l'année prochaine.

En revanche, c'est l'évaluation des conditions financières qui déterminera l'abandon progressif des mesures non conventionnelles. A la fin de l'année 2009, les conditions monétaires ont commencé à s'améliorer, ce qui a permis à la BCE d'amorcer un retrait. Sur les marchés financiers, la situation s'est cependant de nouveau dégradée au printemps 2010. L'aggravation de la crise de la dette souveraine au début de mai a plongé les marchés financiers dans une profonde tourmente susceptible d'entraîner une déstabilisation de l'UEM. Les responsables politiques européens ont alors réagi promptement et vigoureusement. Ils ont décidé un train de mesures visant la stabilité en Europe. Les actions entreprises par la BCE en réponse aux vives tensions sur le marché ont été extrêmement importantes aussi, soulignant combien elle pouvait se montrer flexible et pragmatique si nécessaire. La Banque a ainsi décidé d'acheter des titres de dette publics et privés sur le marché secondaire dans le but d'atténuer les tensions sur les compartiments défaillants du marché qui entravaient la transmission de sa politique monétaire. La BCE a, en outre, temporairement suspendu le retrait des mesures non conventionnelles de prêts suite au regain de tensions sur le marché monétaire.

Dans la suite de l’article, nous détaillons les actions prises par la BCE face à la crise et analysons les motivations du Conseil des gouverneurs dans le choix de ces mesures particulières.

Quand les taux ont-ils été baissés ? Jusqu’où ?

Suite à la faillite de Lehman Brothers, les tensions se sont nettement accentuées sur les marchés. Les intermédiaires financiers ont reconstitué leurs volants de liquidité, réduit la taille de leurs bilans, et les conditions d'accès au crédit se sont durcies. L'encours des prêts au secteur privé s'est contracté. La confiance dans l'économie réelle s'est considérablement dégradée. Les commandes et le commerce international se sont effondrés. Dans ce contexte, les banques centrales des économies avancées ont décidé de réagir de concert. Le 8 octobre 2008, dans une action coordonnée, la Réserve fédérale américaine, la Banque du Canada, la Banque d’Angleterre, la BCE, la Banque nationale suisse et la Banque de Suède (Sveriges Riksbank) ont réduit de 50 pb leurs taux directeurs respectifs. La BCE, qui seulement trois mois plus tôt avait relevé son taux de refinancement de 25 pb à 4,25 %, a fait machine arrière en le ramenant à 3,75%. La BCE a continué à abaisser ses taux jusqu'au 7 mai 2009 et ramené le taux de refinancement à 1%, son niveau le plus bas depuis la création de l'UEM. Le taux d'intérêt de la facilité de dépôt a été fixé à 0,25% et celui de la facilité de prêt marginal à 1,75%. Depuis, les taux directeurs n'ont pas été modifiés.

Quelles autres mesures ont-elles été mises en œuvre ?

La mise en œuvre des orientations de politique monétaire intervient dans un premier temps par le biais des opérations de refinancement de la BCE. En « période normale », le montant de liquidité alloué dans le cadre des opérations de refinancement est déterminé de façon à maintenir les taux à court terme du marché monétaire en ligne avec les taux directeurs. L'Eonia se situe notamment habituellement à un niveau très proche du taux de refinancement (fixé par le Conseil des gouverneurs de la BCE) des opérations principales de refinancement. Le processus de transmission de la politique monétaire par le canal des taux d'intérêt débute de fait avec ces taux d'intérêt à court terme. Les modifications des taux directeurs sont donc transmises aux taux du marché monétaire puis aux taux des banques de détail. Les variations des taux d'intérêt ont des répercussions sur des variables telles que la monnaie, la croissance du crédit et les prix des actifs et, après un certain laps de temps, sur l'économie réelle et l'inflation. 

La crise financière a presque paralysé le marché monétaire. L'écart entre le taux interbancaire offert (EURIBOR) et le taux des swaps au jour le jour (overnight index swaps – OIS) s'est considérablement élargi. Ce dysfonctionnement du marché monétaire a compromis le processus de transmission de la politique monétaire par le canal des taux d'intérêt (cf. encadré 3).

C'est dans ce contexte que la BCE a décidé de prendre des mesures exceptionnelles dont l’objectif principal était de permettre aux banques de disposer d'un large accès à la liquidité de la BCE, dans des circonstances exceptionnelles.

En effet, celles-ci constituent la principale source de financement des sociétés non financières dans la zone euro. Depuis quelques années, les banques assurent près de 70% du total des financements externes des sociétés non financières. Par comparaison, aux Etats-Unis, les entreprises ont davantage recours au marché qui assure près de 80% du total des financements externes (Trichet 2009).

Les actions entreprises par la BCE peuvent être résumées de la manière suivante :

i) fourniture de liquidité aux banques privées de la zone euro en quantité illimitée dans le cadre des opérations de refinancement sur toutes les échéances : Avant la crise, les opérations de refinancement de la BCE prenaient la forme d'appels d'offres à taux variable (cf. encadré 4).
ii) Allongement de la durée des opérations de refinancement à long terme de 3 mois à 1 an. Avant la crise, il existait seulement deux types d'opérations de refinancement : les opérations principales de refinancement (OPR) à échéance d'une semaine et les opérations de refinancement à plus long terme (ORLT) d'une durée de trois mois. Durant la crise, la BCE a multiplié la fréquence des ORLT et introduit de nouvelles opérations avec des échéances d'un, six et douze mois.
iii) Extension de la liste des actifs apportés en garantie dans le cadre des opérations de refinancement. Depuis octobre 2008, la BCE a décidé d'accepter des actifs notés BBB- ou au-delà par l'une des trois principales agences de notation financière. Le seuil d'éligibilité était fixé à A- avant la crise.
iv) Fourniture de liquidité en devises étrangères (principalement en dollar américain mais aussi en franc suisse) En réponse aux difficultés d'accès au marché interbancaire en devises étrangères, la BCE a décidé de fournir de la liquidité en devises étrangères aux contreparties de la zone euro contre garanties libellées en euro. La BCE a conclu un accord de swap avec la Réserve fédérale américaine et la Banque nationale suisse 
v) Achats fermes d'obligations sécurisées à concurrence de EUR 60 milliards. Le marché des obligations sécurisées est un compartiment important du marché financier en Europe ainsi qu'une source non négligeable de financement pour le secteur bancaire. Face à la nette aggravation des tensions sur ce marché, la décision de la BCE de procéder à des achats fermes d'obligations sécurisées a contribué à calmer la situation et à rétablir la confiance.

Comment ces actions se sont-elles traduites au bilan de la Banque centrale ?

Toutes ces mesures ont eu un impact significatif sur le bilan de la BCE. Depuis août 2007 et le début des tensions sur le marché monétaire, la taille du bilan de la BCE s'est accrue de plus de 70%. Ce sont les opérations de refinancement à long terme qui sont en grande partie à l'origine de cette augmentation.

Ainsi, lors de la première ORLT d'une durée de 12 mois (menée en juin 2009), la BCE a alloué EUR 442 milliards de liquidité, un montant sans précédent jamais injecté en une seule opération. Lors de l'appel d'offres à 12 mois suivant (septembre 2009), la demande de liquidité est restée relativement soutenue 75 milliards), sans pour autant atteindre le record enregistré à l'occasion de la première opération. Enfin, lors de la troisième et dernière opération à 12 mois (décembre 2009), la demande a été de 96 milliards. A la faveur de ces opérations, la liquidité dans la zone euro est abondante et bien supérieure aux besoins. Cet afflux massif de liquidité a contribué à faire baisser les taux du marché monétaire. L'Eonia, qui fluctue normalement autour du taux de refinancement, s'établit aux alentours de 0,3%, un niveau proche du taux d'intérêt de la facilité de dépôt. Ce qui suggère que l'orientation de la politique monétaire s'avère même plus accommodante que ne l’indique le taux de refinancement.

La normalisation de la politique monétaire a-t-elle débuté ? Peut-on parler de durcissement ? A la fin 2009, les conditions financières ont donné des signes d'amélioration. La BCE a alors décidé d’engager une sortie graduelle de ses mesures non conventionnelles. La Banque avait insisté sur le fait que les conserver toutes, alors que la nécessité ne s'en faisait plus sentir, risquait d'entraîner des distorsions sur les marchés, comme une dépendance excessive à la liquidité de la BCE.

La BCE avait alors progressivement suspendu ses injections de liquidité en devises étrangères et diminué la fréquence et les échéances de ses opérations de refinancement. En outre, elle a aussi décidé de revenir aux procédures d'appels d'offres à taux variables sur les ORLT régulières à trois mois, un pas supplémentaire vers le rétablissement du cadre opérationnel en vigueur avant la crise. Sur les échéances plus courtes (une semaine et un mois), la BCE continuera de fournir au marché des liquidités à taux fixes en quantité illimitée jusqu'en octobre au moins.

La BCE souhaite renouer avec une situation « normale » dans laquelle les OPR d’échéance une semaine constituent le principal outil de pilotage des taux d'intérêt, de gestion de la liquidité du marché et de communication de l'orientation de sa politique monétaire, ce qui n'est plus le cas depuis le déclenchement de la crise financière. Le volume de liquidité injectée par l'intermédiaire des ORLT est, en effet, beaucoup plus important que dans le cas des OPR.

– Flexibilité et pragmatisme

La BCE sait cependant se montrer flexible et pragmatique. En avril 2010, elle a ainsi indiqué qu'elle retardait sa décision pourtant déjà annoncée de revenir aux règles en vigueur avant la crise quant à la notation des actifs acceptés en garantie dans le cadre de ses opérations de refinancement. Ce qui revenait à venir au secours de la Grèce en proie (et c'est toujours le cas) à de graves problèmes budgétaires. Fin avril 2010, les tensions sur le marché se sont de nouveau brusquement exacerbées en raison des inquiétudes croissantes sur la soutenabilité de la dette grecque.

L'agence Standard & Poor’s a dégradé la dette d'Athènes à BB+ (catégorie spéculative) avec une perspective négative. Cette décision a déclenché un regain d'inquiétudes sur l'illiquidité. Les risques de contagion se sont amplifiés, alors que l'Espagne et le Portugal subissaient eux aussi une dégradation de la notation de leur dette. La Grèce se retrouvait de facto en situation de faillite, car il lui était impossible de refinancer sa dette sur les marchés financiers. C'est dans ce contexte que les pays de la zone euro, appuyés par le Fonds monétaire international, se sont mis d'accord pour octroyer à la Grèce un plan de sauvetage sans précédent de EUR 110 milliards. En outre, la BCE a décidé de suspendre l'application du seuil minimum de notation du crédit requis pour l'éligibilité des obligations d'Etat grecques apportées en garantie dans le cadre de ses opérations de refinancement. Le risque que les titres de créance émis par la Grèce ne soient plus admis en garantie s'accentuait, en effet. Ce qui aurait engendré de graves difficultés pour le secteur bancaire grec et, plus généralement, pour les détenteurs de titres de la dette souveraine grecque, entravant le fonctionnement du secteur financier.

Malgré ces mesures, la nervosité des marchés n'a pas faibli. Les risques de contagion se sont nettement amplifiés, menaçant potentiellement la stabilité de l'UEM. Face à cette situation, les dirigeants européens ont réagi promptement et vigoureusement. Ils se sont mis d'accord, avec le concours du FMI, sur un plan de stabilisation de EUR 750 milliards, un montant suffisant pour couvrir les besoins de financement du Portugal, de l'Espagne et de l'Irlande jusqu'à la fin 2012. 1. Les actions entreprises par la BCE n'ont pas été moins importantes. Le 10 mai, le Conseil des gouverneurs de la BCE a ainsi décidé : 

i) de procéder au rachat de titres sur les marchés obligataires publics et privés de façon à garantir la profondeur et la liquidité des compartiments défaillants du marché ;
ii) de suspendre temporairement sa stratégie de retrait des mesures non conventionnelles. La BCE a décidé de conduire une nouvelle ORLT d'une durée de six mois et deux ORLT d'une durée de trois mois assorties d'un taux fixe, la totalité des soumissions étant servie ;
iii) de réactiver le dispositif d’échange réciproque de devises (lignes de swap) conclu avec la Fed de façon à fournir de la liquidité en dollar aux contreparties de la zone euro.

Toutes ces mesures prises par la BCE visent à régulariser le fonctionnement du marché financier, dont le dysfonctionnement risquait de perturber le processus de transmission de la politique monétaire. Les actions mises en œuvre par la BCE l'ont été dans le cadre de son mandat. Ainsi que nous l'avons souligné précédemment, alors que la mission principale de la politique monétaire de la BCE est d'assurer la stabilité des prix, la BCE a aussi comme autres fonctions de promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement (article 105 du Traité). C'est dans ce cadre que le Conseil des gouverneurs a insisté sur le fait que la décision de la BCE de racheter de la dette auprès des secteurs public et privé n'affecterait pas l'orientation de sa politique monétaire. La Banque va stériliser l'impact de ces interventions au moyen de mesures spécifiques, comme les « dépôts à terme ».2.

– Liquidité abondante

La liquidité est abondante sur le marché. Les apports supplémentaires de liquidité (voir ci-dessus) vont contribuer à maintenir la liquidité à un niveau supérieur aux besoins dans les prochains mois. En supposant que la BCE alloue EUR 50 milliards lors des prochaines OPR jusqu'à la fin de l'année et zéro lors des prochaines ORLT, il faut s’attendre à des excédents de liquidité au moins jusqu’à juillet 2010, date à laquelle le premier appel d'offres d'une durée d'un an arrivera à échéance. A cette occasion, de légères pressions à la hausse sur l'Eonia sont à prévoir.

A quand une remontée du taux directeur ?

La BCE a souligné à plusieurs reprises que, bien que le dénouement des mesures non conventionnelles serait déterminé par l'évaluation des conditions du marché financier, les risques pesant sur la stabilité des prix constitueraient le critère qui serait utilisé pour décider à quel moment relever les taux directeurs.

Pour l'heure, les risques qui pèsent sur la stabilité des prix sont faibles. En un sens, l’inflation se redresse, soutenue par des effets de base statistiques liés aux prix alimentaires, la hausse des cours pétroliers et, plus récemment, la forte dépréciation de l’euro (qui nourrit les prix à l’importation). Elle s’est ainsi établie à 1,6% en mai 2010, son plus haut niveau depuis décembre 2008.

Cependant, il n’y a pas de menace inflationniste à l’horizon. L’écart de croissance (output gap) fortement négatif et la faiblesse de la demande intérieure devraient continuer à maintenir l’inflation sous-jacente (dont les composantes représentent 70% de l’indice IPCH total) au plus bas, limitant les pressions inflationnistes totales. En avril 2010, l’inflation sous-jacente s’est, en effet, repliée à 0,8%, son plus bas niveau historique.

Les anticipations d’inflation à court et moyen terme, déduites des enquêtes menées auprès des ménages ou des marchés financiers, restent très modérées. Les anticipations des ménages à un horizon d’un an (déduites de l’enquête de la Commission européenne) sont de l’ordre de 1%, tandis que le point mort d'inflation « forward » à cinq ans, fréquemment cité par la BCE comme mesure des anticipations d’inflation, est proche de 2%, un niveau cohérent avec l’objectif de stabilité des prix de la BCE à moyen terme (inflation proche de – mais inférieure à -2%). Enfin, selon les projections du staff de la BCE, l’inflation devrait s’établir sous 2% cette année comme l’an prochain.

Dans ces conditions, la BCE devrait maintenir ses taux d’intérêt directeurs inchangés jusqu'au second semestre de l’an prochain.

Du côté de la Réserve fédérale

Quand les taux ont-ils été baissés ? Jusqu’où ? C’est à l’été 2007 que la Réserve fédérale a commencé à modifier sa politique monétaire, pour limiter les conséquences négatives à craindre de la détérioration du marché interbancaire.

En août 2007, le taux d’escompte de la Réserve fédérale3 a été abaissé de 50 points de base (pb), de 6,25% à 5,75%, et la durée des prêts accordés à ce guichet a été allongée à 30 jours. L’écart entre l’objectif des Fed funds4 et le taux d’escompte était ainsi ramené à 50 pb (contre 100 pb en temps normal). Cette première intervention de la Réserve fédérale visait à rendre l’accès au guichet de l’escompte moins pénalisant pour les banques. Avec l’aggravation de la crise financière, l’écart entre l’objectif des Fed funds et le taux d’escompte a ensuite été réduit à 25 pb, entre mars 2008 et janvier 2010.

En septembre 2007, la Réserve fédérale a commencé à abaisser son principal taux directeur, l’objectif des Fed funds. Cette baisse initiale (de 50 pb, de 5,25% à 4,75%) a été suivie de nombreuses autres au cours des mois suivants, en présence de tensions persistantes sur les marchés financiers et de la manifestation de la récession (à partir de décembre 2007). Ce mouvement de baisse des taux, temporairement stoppé entre avril et septembre 2008, a repris dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers. Au terme de l’année 2008, la Réserve fédérale retenait ainsi une fourchette historiquement basse de 0% à 0,25% pour le taux des Fed funds.

Pour la première fois, une politique de quasi-taux zéro était pratiquée aux Etats-Unis.

Quelles autres mesures ont été mises en œuvre ? La sévérité de la crise financière a rapidement rendu les canaux traditionnels de transmission de la politique monétaire (canal des taux d’intérêt, canal du crédit) inopérants. En dépit de la baisse historique des taux directeurs décidée par la Réserve fédérale, les tensions financières sont demeurées extrêmement fortes.

Ces dysfonctionnements ont contraint la Réserve fédérale à mettre en œuvre des mesures de soutien supplémentaires de divers ordres (accroissement des liquidités allouées, interventions directes sur certains marchés, aides à des institutions spécifiques, achats de titres), pour éviter l’assèchement de certains marchés et de certaines institutions financières en liquidités ou pour promouvoir certains objectifs macroéconomiques.

L’activisme déployé par la Réserve fédérale dans la période récente a contrasté avec l’attitude plus passive de son homologue des années 1930, qui avait moins cherché à contrecarrer les évolutions négatives (faillites bancaires, contraction du stock de monnaie, déflation)5. 

 – Un soutien aux marchés financiers et aux institutions financières, à travers des opérations de financement

Depuis la fin de 2007, la Réserve fédérale a mis en place de nombreux dispositifs innovants pour soutenir certains marchés financiers, certaines catégories d’institutions financières ou même certains acteurs spécifiques. Les principaux objectifs poursuivis par la Réserve fédérale à travers ces dispositifs peuvent être présentés comme suit.

* Faciliter le refinancement des banques américaines.

En décembre 2007, pour faciliter le refinancement des banques dans un contexte de paralysie du marché interbancaire, la Réserve fédérale a développé leTerm Auction Facility (TAF). Ce dispositif consistait pour la Réserve fédérale à allouer des fonds aux banques au terme d’enchères. Il suppléait à la fois le canal interbancaire classique, paralysé, et le canal habituel de prêt en dernier ressort, le guichet de l’escompte. Par rapport à ce dernier, le TAF présentait quelques avantages : les banques pouvaient y accéder de façon anonyme (et donc sans être stigmatisées), emprunter des fonds pour une durée de plusieurs semaines (28 jours au départ, davantage par la suite), et les montants de liquidités accordées étaient conséquents. La mise en œuvre du TAF a contribué à limiter de façon significative les tensions sur le marché monétaire6.

Dans les années 1930, au contraire, la Réserve fédérale n’avait pas mis en œuvre d’autres moyens de refinancement des banques que le guichet de l’escompte7.

* Faciliter le refinancement en dollar des banques étrangères.

En décembre 2007 également, la Réserve fédérale, la BCE et la Banque nationale suisse ont mis en place des lignes de swap, en vue de faciliter l’approvisionnement en dollar des banques étrangères (dont les besoins n’étaient plus correctement assurés par les banques américaines, étant donné les dysfonctionnements sur le marché interbancaire).

Cette innovation visait en quelque sorte à étendre le TAF au-delà des Etats-Unis. Plus tard, ces accords de swap ont été élargis à d’autres banques centrales, et les montants ont été accrus en tant que de besoin, au fur et à mesure de l’aggravation de la crise.

Alors que ces lignes de swap avaient été fermées le 1er février 2010, elles ont été réactivées le 9 mai pour faire face à de nouvelles tensions sur les financements en dollar en Europe, dans le contexte de la crise de la dette souveraine. Ce mécanisme sera actif jusqu'en janvier 2011.

* Faciliter le refinancement des primary dealers.

En mars 2008, alors que la banque d’investissement Bear Stearns n’était plus en mesure de poursuivre son activité sans soutien, la Réserve fédérale a cherché à améliorer le refinancement des primary dealers8 par le biais de deux dispositifs : (a) leTerm Securities Lending Facility (TSLF), qui permettait à la Réserve fédérale de leur prêter des titres du Trésor (en échange d’autres titres, moins liquides) ; (b) le Primary Dealer Credit Facility(PDCF), qui permettait à la Réserve fédérale de y leur prêter des liquidités au jour le jour.

Ce second mécanisme revenait en quelque sorte à instaurer un guichet de l’escompte pour les primary dealers, l’absence de prêteur en dernier ressort pour cette catégorie d’institutions financières s’étant révélée porteuse de risques systémiques quelques jours plus tôt (sauvetage de Bear Stearns). L‘instauration du PDCF a marqué une rupture dans la pratique de la Réserve fédérale, qui avait jusqu’à cette date pour ligne de conduite de ne prêter qu’à des institutions de dépôt en bonne situation financière.

* Eviter certaines faillites porteuses de risques systémiques.

Dans le courant de 2008, la Réserve fédérale a soutenu certaines institutions financières spécifiques pour éviter leur faillite et les risques systémiques qui en auraient résulté. Elle a octroyé deux prêts, de respectivement USD 29 et 85 milliards, en vue de faciliter l’acquisition de Bear Stearns par JP Morgan (en mars) et de sauver AIG (en septembre). A contrario, la faillite de Lehman Brothers n’a pas été évitée (en septembre). Ce défaut a aggravé les tensions financières de façon impressionnante et peut, sans doute, être mis au passif de la gestion de la Réserve fédérale. Cette dernière a cependant cherché à éviter cette issue et tenté d’en atténuer les conséquences, ce qui n’était pas le cas dans les années 1930 (faillite de la Bank of the United States).

Ces actions de sauvetage de la Réserve fédérale, qui visaient à limiter le risque systémique, ont fait l’objet de critiques plus nourries que la plupart des autres mesures exceptionnelles. Certains ont, notamment, vu dans le sauvetage de Bear Stearns et l’indemnisation des institutions financières ayant contracté des CDS auprès d’AIG des encouragements possibles à la prise de risques excessifs à long terme9 (problème d’aléa moral).

* Soutenir les fonds monétaires.

En septembre 2008, afin de freiner les retraits subis par les fonds monétaires (mutual funds) à la suite de la chute de Lehmann Brothers, la Réserve fédérale a instauré l’Asset-Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity(AMLF). Par le biais de ce dispositif, elle prêtait des liquidités destinées à l’acquisition de titres ABCP émis par les fonds monétaires. Le mois suivant, la Réserve fédérale a créé le Money Market Investor Funding Facility (MMIFF), un dispositif qui lui permettait de prêter des liquidités destinées à l’acquisition d’actifs émis par les money market mutual funds.

* Faciliter le refinancement des entreprises.

En octobre 2008, le marché du commercial paper était paralysé. Afin d’apaiser les tensions sur ce marché et faciliter le financement des entreprises, financières ou pas, la Réserve fédérale a créé le Commercial Paper Funding Facility (CPFF). Par le biais de ce dispositif, elle prêtait des fonds destinés à l’achat de commercial paper.

* Soutenir le crédit à la consommation et aux petites entreprises.

En novembre 2008, la Réserve fédérale a annoncé la mise en place du Term Asset-Backed Securities Lending Facility(TALF), afin de favoriser les émissions de titres ABS et, in fine, de soutenir le marché du crédit. Ce dispositif permet à la Réserve fédérale de prêter des fonds aux détenteurs de titres MBS (notés AAA) adossés à des crédits accordés aux consommateurs et aux petites entreprises. Il est encore actif jusqu'en juin 2010.

– Un soutien d’ordre macroéconomique, à travers des opérations d’achats de titres

En complément de la baisse des taux d’intérêt à laquelle elle a procédé, la Réserve fédérale a, pour soutenir l’économie en général et le marché immobilier en particulier, acheté des titres du Trésor (pour un montant de USD 300 milliards), des titres MBS émis par les agences (pour un montant de USD 1 250 milliards) et des obligations d’agences (pour un montant de USD 175 milliards) en 2009 et 2010.

Ces achats, terminés en mars 201010, avaient pour objectif de maintenir les taux d’intérêt à long terme à un niveau modéré et ainsi de soutenir le marché immobilier (à l’origine de la crise financière). De fait, en dépit du creusement impressionnant du déficit fédéral, les rendements des titres d’Etat à 10 ans n’ont pas subi de tensions marquées, restant contenus en deçà de 4%.

Au-delà du soutien apporté au marché immobilier, ces mesures étaient de nature à limiter les pressions déflationnistes généralement consécutives à une crise économique et financière de cette ampleur, même si les responsables de la Réserve fédérale n’ont pas avancé ce motif explicitement11.

Comment ces actions se sont-elles traduites au bilan de la banque centrale ?

Les actions non conventionnelles mises en œuvre par la Réserve fédérale ont transformé son bilan au cours des dernières années, tant sur un plan quantitatif qu’en termes de structure. Trois phases principales de l’intervention de la Réserve fédérale peuvent être distinguées.

Première phase (2007 – août 2008) : modification de la structure du bilan (plus de prêts, moins de titres du Trésor), à niveau inchangé.

Dans un premier temps, les réponses apportées par la Réserve fédérale à la crise financière ne se sont pas traduites par une modification de la taille de son bilan. Tout au long de l’année 2007 et jusqu'en août 2008, le total des actifs détenus par la Réserve fédérale a varié dans un intervalle restreint, de USD 830 à 900 milliards.

En revanche, la structure du bilan de la Réserve fédérale a évolué dès cette époque. Le montant de prêts accordés par l’intermédiaire des divers guichets mis en place pour faciliter le refinancement des institutions financières (guichet de l’escompte, swaps avec d’autres banques centrales, TAF, PDCF, Bear Stearns) atteignait quasiment USD 200 milliards en août 2008, alors qu’il était marginal au premier semestre 2007 (de l’ordre de USD 100 millions).

Durant cette première phase de la crise financière, la Réserve fédérale stérilisait ses interventions : elle vendait des titres du Trésor au fur et à mesure qu’elle augmentait ses lignes de crédit spéciales. Cette stérilisation permettait de ne pas faire varier la taille du bilan et les réserves des banques auprès de la Réserve fédérale, et ainsi de faciliter la maîtrise du taux des Fed funds par la Réserve fédérale (cf. encadré 6). En conséquence, le montant de titres du Trésor détenus par la Réserve fédérale a diminué de façon sensible entre 2007 (quasiment USD 800 milliards) et août 2008 (USD 480 milliards).

Deuxième phase (septembre 2008 – février 2009) : très forte expansion du bilan sous l’effet de la montée en régime des dispositifs de soutien aux marchés financiers.

A partir de septembre 2008, la violente aggravation de la crise financière a suscité la mise en place de dispositifs de soutien supplémentaires (prêt à AIG, créations de l’AMLF, du CPFF, du MMIFF et du TALF) et l’accroissement des lignes de swap avec d’autres banques centrales. Ces actions se sont traduites par une envolée des montants prêtés par la Réserve fédérale, de USD 200 milliards en août 2008 à 1 200 milliards en février 2009.

Etant donné les montants en jeu, il n’était plus possible pour la banque centrale de stériliser ses interventions en vendant des titres du Trésor. Par ailleurs, l’autorisation donnée à la Réserve fédérale de rémunérer les réserves des banques à partir d’octobre 2008 laissait penser que la Réserve fédérale pourrait conserver la maîtrise du taux desFed funds sans avoir à contrôler la taille de son bilan et le montant des réserves des banques (cf. encadré 6). L’encours de titres du Trésor au bilan de la Réserve fédérale est, par conséquent, demeuré à peu près inchangé au cours de cette période.

Au final, la taille du bilan de la banque centrale a bondi en l’espace de quelques mois, passant d’un niveau inférieur à USD 900 milliards en août 2008 à environ 2 200 milliards entre décembre 2008 et février 2009.

Troisième phase (mars 2009 – mars 2010) : les titres se substituent aux prêts, le niveau du bilan évolue peu.

Dans les premiers mois de 2009, l’action de la Réserve fédérale a de nouveau évolué. Les crédits accordés dans le cadre des divers dispositifs de soutien exceptionnels se sont stabilisés, puis ont diminué, en phase avec la modération des tensions sur les marchés financiers. Les fonds octroyés par le biais de ces dispositifs n’étaient plus que de l’ordre de USD 100 milliards en mars 2010 (contre 1 200 milliards un an plus tôt).

En parallèle, le montant de titres détenus au bilan de la Réserve fédérale s’est fortement accru, sous l’impulsion des programmes d’achats de titres du Trésor, de titres MBS et d’obligations d’agences. Il est passé de USD 500 milliards en début d’année 2009 à 2 000 milliards au terme du programme d’achat, en mars 2010 (avec la composition suivante au terme de cette période : 54% de MBS, 38% de titres du Trésor et 8% d’obligations d’agences).

Au passif : un bond des réserves des banques commerciales.

Au passif du bilan, l’évolution la plus marquante des dernières années a résidé dans le bond des réserves détenues par les banques commerciales auprès de la Réserve fédérale. Alors que leur montant ne représentait qu’une dizaine de milliards de dollars en 2007, il s’est établi autour de 1 100 milliards depuis le début de 2010.

La normalisation de la politique monétaire a-t-elle débuté ? Peut-on parler de durcissement ?

– Un début de normalisation, pas un durcissement

Au premier trimestre 2010, la Réserve fédérale a mis un terme à de nombreux dispositifs de soutien exceptionnels imaginés au cœur de la crise financière. Le 1er février, la plupart des programmes de fourniture de liquidités imaginés pendant la crise financière ont été fermés12.

Le 18 février, les modalités relatives aux prêts accordés par la Réserve fédérale au guichet de l’escompte ont été modifiées : le taux d’escompte a été relevé de 0,5% à 0,75% ; la durée des prêts accordés a été ramenée à un jour (à comparer à une durée de 28 jours précédemment et un plus haut de 90 jours au cœur de la crise financière). Le 8 mars, la dernière enchère TAF a été menée. Par ces modifications, la Réserve fédérale a montré qu’elle jugeait que l’amélioration des conditions financières était suffisante pour permettre un début de normalisation sur les conditions auxquelles elle accordait des prêts. En relevant la pénalité associée au guichet de l’escompte, la Réserve fédérale a voulu rendre à ce guichet sa vocation d’avant crise : fournir un financement de dernier recours aux établissements qui en auraient besoin, sans se substituer au marché interbancaire.

Ces différents outils (guichet de l’escompte, facilités de crédit) ont pour objet d’aider la Réserve fédérale à gérer le stress financier et non pas d’atteindre des objectifs en termes d’emploi ou d’inflation. Pour cette raison, la fermeture de ces programmes temporaires et le réaménagement du guichet de l’escompte doivent être considérés comme des pas vers une normalisation de la politique monétaire et non pas comme des moyens de « durcir » la politique monétaire.

Par ailleurs, le programme d’achat de titres MBS (USD 1 250 milliards) et d’obligations d’agences (175 milliards) s’est achevé le 31 mars, comme prévu initialement.

– Un pas en arrière : la réactivation des lignes de swap entre banques centrales, en mai

La crise de la dette souveraine qui a frappé la zoneeuro au cours des derniers mois a été à l’origine d’une nette recrudescence des tensions sur les marchés financiers en mai 2010. Pour faciliter le refinancement des banques étrangères en dollar, la Réserve fédérale et d’autres banques centrales (au premier rang desquelles figure la BCE) ont dû réactiver les lignes de swap imaginées en décembre 2007 et temporairement fermées en février 2010 (lorsque les tensions semblaient durablement apaisées). Il est prévu que ces lignes soient actives jusqu'en janvier 2011.

Le fait que ce mécanisme de soutien exceptionnel soit le dernier encore en place (avec le TALF, dont l’extinction est prévue le 30 juin) met en évidence le déplacement du centre de gravité de la crise financière au cours des derniers trimestres, des Etats-Unis (où la crise financière a son origine) vers l’Europe (où le bond de la dette souveraine consécutif à la crise financière et à la récession pose pour l'instant les problèmes les plus sérieux).

Quelles sont les autres actions préalables à un relèvement des taux ?

Sauf regain sérieux des tensions financières, le retour progressif à une politique monétaire conventionnelle se poursuivra dans les trimestres à venir. Avant de relever le taux des Fed funds, la Réserve fédérale devra notamment corriger son discours et diminuer les réserves des banques commerciales.

– Altération du discours et possible hausse du taux d’escompte

Avant de relever le taux desFed funds, la Réserve fédérale devra naturellement altérer son discours, en supprimant la mention du maintien des taux à un «niveau exceptionnellement bas pendant une période prolongée» des communiqués diffusés à l’issue des réunions de politique monétaire.

La Réserve fédérale pourrait également décider de relever l’écart entre le taux d’escompte et l’objectif des Fed funds. Avant la crise, la pénalité associée au guichet de l’escompte était de 100 pb. Au plus fort de la crise, elle a été abaissée à 25 pb, avant d’être relevée à 50 pb en février (si l’on prend en considération le haut de la fourchette retenue pour le taux des Fed funds).

D’autres hausses du taux d’escompte seront probablement décidées à l’avenir, afin de ramener l’écart à 100 pb. Ce mouvement s’inscrirait dans le cadre de la normalisation de la politique monétaire et donnerait à la Réserve fédérale davantage de latitude dans sa fixation du taux de rémunération des réserves des banques13 (sachant qu’elle ne peut pas rémunérer ces réserves à un taux supérieur au taux d’escompte, pour éviter toute possibilité d’arbitrage).

– Diminution des réserves des banques

Sur un plan plus technique, la Réserve fédérale fera diminuer les réserves détenues auprès d’elle par les banques commerciales, avant de relever le taux des Fed funds. En l’état actuel des choses, en raison du montant exceptionnel de réserves accumulées par les banques, la Réserve fédérale n’a plus la pleine maîtrise du taux des Fed funds pratiqué sur le marché interbancaire14. La diminution des réserves est donc une étape préalable à la remontée des taux, car elle permet de réduire l’écart entre le taux desFed funds effectif et le taux de rémunération des réserves des banques (cf. encadré).

Plusieurs options sont considérées par la Réserve fédérale en vue de réduire les réserves des banques : 

* La vente de titres avec l’engagement de les racheter ultérieurement (reverse repurchase agreements ou reverse repos). Par le biais de ces opérations, la Réserve fédérale emprunte des liquidités auprès des primary dealers, sur une période d’une ou plusieurs semaines, et leur prête en échange des titres15. Pendant la durée de l’opération, le montant des réserves est diminué.

Cette opération fait partie de l’arsenal classique de la Réserve fédérale mais elle serait mise en œuvre à une échelle sans précédent, le montant des réserves à drainer étant lui-même exceptionnel.

Pour cette raison, en mars 2010, la Réserve fédérale a indiqué qu’elle considérerait les money market mutual funds (MMMF) comme contreparties dans le cadre de ces opérations, et pas seulement lesprimary dealers. Ces opérations se traduiraient par une évolution de la structure du passif du bilan de la Réserve fédérale, la part desreverse repos augmentant au détriment de celle des réserves.

* La création de comptes de dépôts à terme (Term Deposit Facility), sur lesquels les banques pourraient déposer leurs réserves excédentaires pendant une certaine période (de un ou plusieurs mois) et toucher une rémunération de la Réserve fédérale. En d’autres termes, les banques détiendraient des fonds sur des comptes à terme au lieu de réserves. Les comptes pourraient êtreattribués aux enchères aux banques demandant les rémunérations les plus modérées. Cette procédure permettrait à la banque centrale de contrôler les taux d’intérêt au-delà du taux au jour le jour. Le 30 avril, la Réserve fédérale a annoncé avoir modifié la réglementation en vigueur pour autoriser ses succursales régionales à proposer de tels comptes de dépôts aux institutions dont les réserves peuvent être rémunérées. Ces opérations se traduiraient, au bilan de la Réserve fédérale, par une évolution de la structure du passif, la part des fonds stockés sur les comptes de dépôts à terme augmentant au détriment de celle des réserves.

L’utilisation du Supplementary Financing Account (SFA). Sur ce compte qu’il détient à la Réserve fédérale, le Trésor américain dépose des recettes issues de la vente de titres de dette (dont il n’a pas besoin pour financer ses opérations courantes). Ce mécanisme peut permettre de faire chuter rapidement les réserves des banques : alimenté une première fois en septembre 2008, il totalisait USD 560 milliards un mois plus tard (avant d’être ramené à quelques milliards au début de 2010).

Ces opérations se traduisent, au bilan de la Réserve fédérale, par une évolution de la structure du passif, les réserves des banques étant transférées vers le compte du Trésor.

La vente de titres sur le marché. Un autre moyen de faire baisser les réserves des banques serait pour la Réserve fédérale de vendre les titres qu’elle a achetés au cœur de la crise financière. Contrairement aux autres options citées, la vente de titres impliquerait une diminution de la taille du bilan de la Réserve fédérale (moins de titres à l’actif, moins de réserves de banques au passif). A moyen ou long terme, la Réserve fédérale prévoit d'ailleurs de ne plus détenir de titres hypothécaires (titres MBS et obligations d’agences). Son bilan retrouverait ainsi une forme plus familière, où les seuls titres détenus seraient émis par le gouvernement fédéral (comme c’était le cas avant le déclenchement de la crise financière, en 2007).

A un moment donné, la Réserve fédérale décidera vraisemblablement de vendre des titres, plutôt que de se contenter de les laisser arriver à maturité. Cependant, il est peu probable qu’une telle décision soit prise rapidement, pour éviter d’exercer une pression à la hausse sur les taux d’intérêt (qui serait préjudiciable à l’économie).

Cette solution ne devrait donc être sérieusement considérée que lorsque l’économie ne montrera plus de signes de faiblesse (et, en particulier, lorsque le marché immobilier sera orienté favorablement), c'est-à-dire sans doute lorsque le cycle de hausse des taux aura été enclenché. Ce processus serait mené de façon progressive, sur une période de plusieurs années.

Ainsi, les outils qui seront probablement utilisés à court terme pour réduire les réserves des banques (reverse repos, Term Deposit Facility, voire Supplementary Financial Account) ne feront que transformer les réserves des banques, sans modifier la taille du bilan de la Réserve fédérale. Celle-ci ne diminuera qu’avec la maturation et la vente des titres accumulés par la banque centrale, un processus qui sera très progressif.

A quand une remontée du taux directeur ?

– Un discours prudent au sujet de la reprise

La récession étant achevée depuis l’été dernier et les tensions financières s’étant apaisées (même si la crise de la dette souveraine souligne que la situation reste fragile), il devient légitime de se demander à quel moment la Réserve fédérale décidera de relever le taux des Fed funds.

Le Federal Open Market Committee (FOMC, Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale) tient un discours prudemment optimiste au sujet des perspectives, malgré le bon déroulement de la reprise depuis l’été 2009. Le dernier compte rendu de réunion de politique monétaire (relatif à celle du 27-28 avril) a ainsi indiqué que le FOMC attendait toujours une reprise relativement lente en comparaison de celles du passé, en raison des conséquences de la crise financière16. De même, les membres du FOMC soulignent régulièrement les principaux domaines dans lesquels les évolutions restent peu favorables : le marché immobilier résidentiel, la construction non résidentielle, ou encore le marché du crédit17.

Soulignant que la reprise reste fragile et freinée par certains éléments, les communiqués diffusés à l’issue de ses réunions indiquent depuis un an que les conditions économiques devraient justifier un taux des Fed funds «exceptionnellement bas» pendant une «période prolongée»18. Depuis janvier, un membre du FOMC, M. Hoenig, conteste ce message, jugeant qu’il pourrait favoriser le développement de «déséquilibres futurs» et limiter la marge de manœuvre du FOMC pour relever les taux. Cette vue est actuellement très minoritaire.

De plus, la crise de la dette souveraine européenne, qui a éclaté au cours des derniers mois, a provoqué un net regain de tensions financières et suscité la réactivation des lignes de swap entre banques centrales. Nul doute qu’à court terme ce développement ne fera que renforcer le camp des «prudents» au sein du FOMC.

– Chômage et inflation : pas de tensions en vue

Depuis quelques mois, le FOMC cite explicitement les principaux facteurs justifiant le niveau exceptionnel du taux directeur actuel : une faible utilisation des ressources (en d’autres termes : un chômage élevé et un taux d’utilisation des capacités très bas), une tendance inflationniste modérée et des anticipations d’inflation stables. Sur ces différents points, les évolutions récentes ne montrent pas d’évolutions notables. 

A 9,9% en avril, le taux de chômage reste extrêmement proche de son pic cyclique (10,1% en octobre dernier) et exceptionnellement haut au regard du standard américain (6,2% en moyenne depuis le début des années 1980). Les membres du FOMC n’attendent pas de changement marqué sur le marché du travail à court terme, prévoyant un taux de chômage compris entre 9,1% à 9,5% au quatrième trimestre 2010.

L’inflation sous-jacente – hors énergie et alimentation19 – a fortement décéléré au cours des derniers mois et rejoint en avril son plus bas niveau depuis 1966 (0,9%), et une inversion de tendance n’est pas prévisible à court terme. La tendance des salaires et des loyers reste orientée à la baisse, les entreprises réalisent encore des gains de productivité appréciables, et l’appréciation récente du dollar limitera l’inflation importée dans un avenir proche. Les participants au FOMC anticipent d'ailleurs une inflation inférieure à sa tendance de long terme supposée (1,7%/2,0%) tout au long de leur période de projection (2010-2012), et tout particulièrement en 201020.

Le point mort d'inflation déduit des titres d’Etat à dix ans indexés sur l’inflation (TIPS) indique une inflation anticipée par le marché plus modérée en mai (2,1%) que les mois précédents (2,3% en moyenne entre janvier et avril). Les anticipations d’inflation des ménages à cinq ans, telles que mesurées par l’Université du Michigan, ont peu varié au cours des derniers trimestres. A 2,9% en mai, elles étaient au même niveau qu’en moyenne l’an dernier.

Au-delà du contexte macroéconomique, les étapes devant précéder le relèvement du taux directeur réclameront quelques mois. La mention de «niveaux exceptionnellement bas de taux des Fed funds pendant une période prolongée» devra avoir été retirée des communiqués du FOMC, tandis que les réserves excédentaires des banques devront avoir été réduites de façon significative.

– Pas de hausse des taux avant 2011

Pour ces différentes raisons, le relèvement du taux des Fed funds ne devrait pas intervenir avant 2011 (nous anticipons actuellement un redressement du taux des Fed funds à partir du deuxième trimestre 2011). Les anticipations de marché, qui montrent des attentes de hausse du taux des Fed funds dès la fin de cette année, paraissent trop précoces.

Lorsque la Réserve fédérale décidera de relever le taux au jour le jour, elle le fera sans doute en modifiant le taux de rémunération des réserves des banques, qui constitue un quasi-taux plancher sur le marché monétaire21. Cet instrument sera d’une grande utilité tant que les réserves des banques seront largement excédentaires (et que la Réserve fédérale ne pourra pas, par conséquent, viser un taux des Fed funds très précis).

La Réserve fédérale pourrait aussi être amenée à communiquer au sujet du niveau des réserves ou de l’écart entre le taux de rémunération des réserves des banques et le taux des Fed funds effectif, voué à diminuer. La réduction de cet écart de taux constituera, en effet, l’autre objectif de la Réserve fédérale dans les trimestres à venir.

Lorsque le taux de rémunération des réserves des banques et le taux des Fed funds effectif seront en phase, la Réserve fédérale pourra revenir à une politique monétaire classique, axée sur l’annonce d’un objectif pour le taux desFed funds. A ce moment-là, le taux de rémunération des réserves des banques constituera un taux plancher, qui permettra d’encadrer, avec le taux d’escompte (taux plafond), l’objectif des Fed funds.

Conclusion

La BCE et la Réserve fédérale ont toutes deux pris des décisions exceptionnelles pour limiter l’ampleur de la crise financière et ses répercussions sur l’économie réelle. Chacune d’entre elles a abaissé son taux directeur à son plus bas niveau historique et mis en œuvre des mesures de soutien innovantes, afin d’alimenter les marchés et les institutions financières en liquidités.

Dans le détail, les actions des deux banques centrales ont, bien entendu, été distinctes de nombreux points de vue. Ces différences peuvent, cependant, fréquemment s’expliquer par des mandats distincts, ou des structures et des circonstances économiques diverses. Le fait que le mandat de la Réserve fédérale comprenne un objectif de taux d’intérêt à long terme modéré (en plus d’un emploi maximal et de prix stables) et l’ampleur de la contraction immobilière aux Etats-Unis contribuent à expliquer la décision, prise par la Réserve fédérale dès la fin de 2008, d’acheter des titres. Le fait que le financement de l’économie européenne soit, par rapport aux Etats-Unis, relativement plus dépendant des banques (et donc moins dépendant des marchés financiers) justifie pleinement que l’action de la BCE ait été davantage tournée vers les banques, et celle de la Réserve fédérale davantage concentrée sur le fonctionnement des marchés.

Les mesures déployées par les banques centrales ont permis de limiter les conséquences de la crise financière. Aujourd’hui, cependant, des difficultés et des défis sérieux demeurent. La reprise est encore fragile, surtout en Europe, contraignant les banques centrales à adopter une attitude prudente en ce qui concerne la « sortie » des dispositifs de soutien exceptionnels. Le gonflement des déficits publics consécutif à la crise crée un dilemme à court terme (laisser les déficits à des niveaux exceptionnels pour ne pas freiner la reprise, ou les corriger rapidement au risque de voir la croissance rechuter) et confirme que l’assainissement de la dette publique constituera un défi majeur pour tous les pays développés dans les années à venir (dans un contexte démographique très défavorable).

La crise de la dette souveraine et le regain de tensions qu’elle occasionne ne sont pas sans conséquences sur l’action des banques centrales, comme l’a montré la réactivation des lignes de swap en mai. Ces événements rendront la BCE et la Réserve fédérale encore plus prudentes dans les trimestres à venir, renvoyant la perspective d’une hausse des taux à 2011. Par ailleurs, ils tendent, pour l'instant, à limiter les perspectives de reprise dans la zone euro (relativement aux Etats-Unis) et suggèrent un durcissement de la politique monétaire plus tardif dans la zone euro qu’aux Etats-Unis.

(Achevé de rédiger le 31 mai 2010)

Encadré 1 : Article 105 du Traité – les missions fondamentales de la BCE

1. L'objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l'article 2. Le SEBC agit conformément au principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l'article 4.

2. Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à :

– définir et mettre en œuvre la politique monétaire de la Communauté ;
– conduire les opérations de change conformément à l'article 111 ;
– détenir et gérer les réserves officielles de changes des Etats membres ;
– promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

Encadré 2 : Taux d’intérêt directeurs et orientation de la politique monétaire

Le Conseil des gouverneurs de la BCE fixe les taux d'intérêt directeurs qui sont le reflet de l'orientation de la politique monétaire. Ces taux sont les suivants :

i) taux d'intérêt des opérations principales de refinancement (ou taux de refinancement) qui peut être le taux fixe dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres à taux fixe ou le taux de soumission minimum s'il s'agit d'une adjudication à taux variable. Généralement, le taux de refinancement permet de signaler l'orientation de la politique monétaire de la BCE ;
ii)taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal ; il s'agit du taux d'intérêt appliqué à une facilité permanente de l'Eurosystème à laquelle les contreparties peuvent avoir recours pour se procurer des liquidités au jour le jour auprès de la BCE ;
iii) taux d'intérêt de la facilité de dépôt : facilité permanente de l'Eurosystème à laquelle les contreparties peuvent avoir recours pour placer des liquidités auprès de la BCE. Ces dépôts sont rémunérés au taux d'intérêt fixé par la BCE.

Encadré 3 : Le mécanisme de transmission des taux d’intérêt durant la crise financière

L'ajustement des taux pratiqués par les banques de détail aux modifications des taux directeurs constitue un élément essentiel du mécanisme de transmission de la politique monétaire. C'est notamment le cas dans la zone euro où les sociétés non financières dépendent plus que dans les autres économies avancées du système bancaire pour assurer leur financement. Habituellement, la politique monétaire exerce un effet important et relativement immédiat sur les taux du marché monétaire à différentes échéances. Les taux à court terme du marché monétaire en blanc, comme l'Eonia, réagissent fortement aux variations des taux directeurs, alors que les répercussions sur les taux Euribor à terme sont moins prononcées. Les banques privées ne répercutent généralement qu'une partie des modifications des taux du marché monétaire sur leurs propres taux. En outre, la rapidité et l'ampleur de l'ajustement varient en fonction des différentes catégories de prêts bancaires. Par exemple, le degré de concurrence entre les banques et l'élasticité de la demande dans un secteur donné figurent parmi les acteurs susceptibles d’affecter la transmission des modifications des taux du marché monétaire aux taux bancaires. Généralement, les taux d'intérêt appliqués par les banques de détail aux prêts consentis aux sociétés non financières s'ajustent plus rapidement et de façon plus prononcée que les taux des prêts aux ménages qui se caractérisent par une demande habituellement plus rigide. En outre, les entreprises ont la possibilité de se financer via d'autres canaux (comme les marchés financiers, crédits commerciaux et autres intermédiaires financiers), autant d'éléments qui contribuent à accroître la concurrence et, partant, l'ampleur de la répercussion sur les taux bancaires.

L'intensification des turbulences sur les marchés financiers dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers avait fortement compromis le fonctionnement du marché monétaire. Ces tensions sur le marché se sont traduites par un creusement important de l'écart entre les taux de l'Euribor et de swaps au jour le jour (overnight index swap – OIS). Comme de nombreux taux bancaires sont fixés en fonction des taux Euribor, la distorsion affectant le lien étroit qui existe entre les taux de l'Euribor et les taux de swaps au jour le jour – qui sont généralement des substituts des taux directeurs -, a potentiellement compromis le mécanisme de transmission des taux directeurs aux taux bancaires. En outre, l'effondrement de l'activité a pu inciter les banques à relever leurs primes de risque, provoquant un nouveau durcissement de leurs conditions d'attribution des crédits, facteur supplémentaire ayant entravé le mécanisme de transmission de la politique monétaire.

En vue d'évaluer le processus de transmission des modifications des taux d'intérêt aux taux bancaires, le modèle à correction d'erreurs suivant a été utilisé (il s'agit d'une version simplifiée du modèle utilisé par Sørensen et Werner (2006)) :

où BR représente les taux bancaires et MR les taux du marché monétaire. Nous nous sommes tout particulièrement intéressés aux taux bancaires à court terme appliqués aux prêts aux ménages et aux prêts aux sociétés non financières. Nous avons retenu le taux du marché monétaire à trois mois comme taux du marché. Dans l'équation, l'expression entre parenthèses (0.1) indique l'équilibre à long terme entre les taux bancaires et les taux du marché. Les tests standard de co-intégration confirment la relation à long terme décrite par l'équation (0.1). Les résultats des estimations (cf. tableau) font apparaître certaines différences dans la transmission des taux du marché monétaire aux taux bancaires. Tout particulièrement, les taux des prêts aux ménages à court terme ont un délai d'ajustement plus long (qui dépend des valeurs antérieures). En outre, l'effet immédiat des modifications des taux du marché sur les taux au détail est aussi plus faible pour les prêts aux ménages que pour les prêts aux sociétés non financières. Ainsi que nous l'avons souligné ci-dessus, ces éléments peuvent s'expliquer, dans une certaine mesure, par le degré de concurrence et l'élasticité de la demande qui sont différents dans les deux secteurs.

Pour voir si le processus de transmission de la politique monétaire a été d'une certaine façon perturbé durant la crise, nous nous sommes livrés à un test hors échantillon. Nous avons notamment examiné les projections du modèle « N-steps ahead » afin de vérifier si elles étaient sensiblement différentes des taux bancaires observés.

Dans les deux cas, les résultats des projections du modèle sont inférieurs aux taux bancaires observés. Ce qui pourrait signaler que le mécanisme de transmission des taux d'intérêt a été quelque peu compromis pendant la crise. Cihak, Harjes et Stavres (2009) ont utilisé un modèle différent mais sont parvenus aux mêmes conclusions. L'écart entre les données effectives et les résultats du modèle est plus important dans le cas des ménages. Les spécificités de chaque secteur comme une concurrence moins forte et la rigidité de la demande peuvent expliquer ces résultats.

Même si, d'un point de vue qualitatif, le modèle semble suggérer que le processus de transmission de la politique monétaire a pu être perturbé durant la crise financière, une certaine prudence s'impose. En premier lieu, l'échantillon utilisé est relativement étroit. En outre, les variables omises et d'autres éléments pourraient avoir influencé les résultats observés. La relation à long terme entre les taux bancaires et les taux du marché pourrait, notamment, être déterminée par d'autres facteurs difficiles à mesurer comme le pouvoir de marché et l'efficience des banques. Néanmoins, les tests résiduels ne font pas apparaître d'erreur de spécification significative du modèle.

Encadré 4 : Appels d’offres à taux fixe et à taux variable

L’Eurosystème peut effectuer des appels d’offres à taux fixe ou à taux variable. Dans le premier cas, le taux d’intérêt est déterminé à l’avance par le Conseil des gouverneurs et les contreparties soumissionnent pour le montant auquel elles souhaitent être servies à ce taux. Dans le second cas, les soumissions des contreparties portent à la fois sur le montant qu’elles souhaitent obtenir et sur le taux auquel elles veulent participer à l’opération. Pour les appels d’offres à taux variable, le Conseil des gouverneurs peut fixer un taux de soumission minimal afin de signaler l’orientation de la politique monétaire.

Quelle que soit la procédure utilisée, c’est la BCE qui décide du montant de liquidité alloué. Dans le cas d’un appel d’offres à taux fixe, la demande est satisfaite au prorata, sur la base du rapport entre le nombre de soumissionnaires et le montant des liquidités à allouer. Pour un appel d’offres à taux variable, les soumissions assorties des taux d’intérêt les plus élevés sont satisfaites en priorité, puis les offres à taux d’intérêt moins élevés sont successivement acceptées jusqu’à épuisement du montant total des liquidités à adjuger. Au taux d’intérêt le plus bas accepté, appelé « taux marginal d’adjudication » (qui ne peut pas être inférieur au taux de refinancement), les offres sont satisfaites au prorata.

Encadré 5 : principales mesures non conventionnelles prises par la Réserve fédérale

Encadré 6 : questions/réponses au sujet des réserves des banques commerciales

Que sont les réserves des banques auprès de la Réserve fédérale ? A quoi servent-elles ? Les réserves sont des actifs des banques commerciales déposés auprès de la Réserve fédérale. Elles sont donc inscrites au passif de la banque centrale.

Elles permettent de régler les paiements (ou de matérialiser les prêts) entre banques commerciales (et entre clients des banques commerciales), et de satisfaire aux obligations de réserves légales (10% de certains dépôts bancaires doivent donner lieu à la constitution de réserves auprès de la banque centrale).

Les transactions entre les banques commerciales et la Réserve fédérale donnent lieu à une variation du niveau des réserves : lorsque la Réserve fédérale achète des titres auprès des banques commerciales ou qu’elle leur accorde un prêt, les réserves s’accroissent (et vice versa).

Quel lien existe-t-il entre les réserves et le taux des Fed funds ? Comment la Réserve fédérale peut-elle contrôler le taux des Fed funds ? Pourquoi ce contrôle est-il moins précis ?

Le « marché des réserves », sur lequel les banques commerciales se prêtent des fonds, est aussi appelé le marché des Fed funds. Le taux qui équilibre offre et demande sur ce marché est le taux effectif des Fed funds. En achetant ou en vendant des titres, la Réserve fédérale est en mesure de faire varier le montant des réserves et ainsi d’influencer le taux effectif des Fed funds. Lorsqu’elle retire des réserves du marché, elles sont plus rares et leur prix, le taux effectif des Fed funds, est plus élevé (etvice versa).

Pour influencer avec précision le taux des Fed funds, la Réserve fédérale doit pouvoir contrôler le volume des réserves. Cette capacité a été de facto abandonnée au second semestre 2008. Pour soutenir les marchés financiers et les institutions financières, la Réserve fédérale a dû accroître les réserves de façon marquée. En présence d’un tel montant de réserves (plus de USD 1 000 milliards), le niveau des taux d’intérêt ne réagit plus de façon significative aux variations de l’offre et de la demande sur le marché des fonds, rendant la maîtrise du taux au jour le jour par la banque centrale moins précise. Pour cette raison, le taux effectif desFed funds s’est écarté de l’objectif fixé par la Réserve fédérale, incitant la banque centrale à fixer non plus un taux objectif mais une fourchette (de 0% à 0,25%).

Pourquoi rémunérer les réserves des banques ?

Quel rôle le taux de rémunération des réserves joue-t- il ? Pour renforcer le contrôle de la Réserve fédérale sur les taux à court terme, la possibilité lui a été donnée, en octobre 2008, de rémunérer les réserves des banques.

Ce taux de rémunération des réserves avait vocation à constituer un taux plancher sur le marché des Fed funds, les institutions financières n’ayant pas intérêt à prêter des fonds à un taux inférieur à celui auquel la Réserve fédérale rémunère leurs réserves. Cependant, le taux effectif des Fed funds s’est régulièrement établi en deçà du taux de rémunération des réserves des banques (à respectivement 0,16% et 0,25% en moyenne en 2009). Cet écart peut s’expliquer par le fait que certaines institutions non bancaires, les Government-Sponsored Enterprises (GSEs), interviennent sur le marché des Fed funds sans que la Réserve fédérale rémunère leurs réserves. Ces institutions peuvent donc avoir intérêt à prêter des fonds à un taux inférieur à celui qui rémunère les réserves des banques. Le taux de rémunération des réserves des banques devrait devenir le principal taux directeur de la Réserve fédérale dans les trimestres à venir, car c’est l’outil le plus pratique pour influencer le niveau du taux au jour le jour.

Pourquoi réduire les réserves des banques ?

Afin de réduire l’écart entre le taux de rémunération des réserves des banques et le taux des Fed funds, la Réserve fédérale a intérêt à diminuer les réserves avant de relever son taux directeur.

Par ailleurs, certains observateurs jugent que l’accumulation de réserves aussi importantes est porteuse de risques inflationnistes. Même si la Réserve fédérale ne partage pas ce point de vue, elle peut craindre que le gonflement des réserves conduise à un dérapage des anticipations d’inflation, qui peut, in fine, déboucher sur des pressions inflationnistes réelles. La diminution des réserves excédentaires peut donc aider la Réserve fédérale à ancrer les anticipations d’inflation.

Dans le contexte actuel, cependant, la forte décélération de l’inflation sous-jacente limite ce risque à court terme.

Les réserves excédentaires des banques sont-elles porteuses de risques inflationnistes ? L’existence du taux de rémunération des réserves des banques limite ou annule ce risque. Si les réserves n’étaient pas rémunérées, elles pourraient être prêtées à n’importe quel taux supérieur à zéro (corrigé du risque de contrepartie). Une fois dépensés, ces fonds soutiendraient l’activité, alimentant les pressions inflationnistes. Cependant, le taux de rémunération des réserves des banques fait office de taux plancher auquel les banques peuvent vouloir prêter. Il suffit à la Réserve fédérale de relever ce taux pour accroître le coût du crédit, décourager les banques de prêter et ainsi contrer les pressions inflationnistes.

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