Action-réaction

par Xavier Lespinas, Directeur de la gestion Actions, Laurent Géronimi, Directeur de la gestion Taux, Gérard Cercet, Responsable de la Multigestion chez Swiss Life Banque Privée

Les événements s’étaient précipités depuis quelques trimestres sur les taux, le pétrole et la parité euro/dollar, à tel point qu’on était sans doute en phase d’excès ou en territoire inconnu, en tout cas pour les taux devenus négatifs sur certains emprunts souverains. La conjonction de ces trois paramètres avait fini, avec plus ou moins de rapidité, par provoquer un retournement conjoncturel en zone euro largement pris en compte, voire anticipé, par les marchés actions.

Il aura suffi de quelques statistiques ou propos tenus dans l’entourage des banquiers centraux ou par les milieux économiques pour que chacun reprenne ses esprits ; la réaction n’a pas tardé et certains ajustements techniques, sans doute plus que fondamentaux, ont ramené les cours sur des niveaux plus raisonnables, en attendant l’analyse des prochaines publications.
Les marchés de taux ont semblé oublier soudainement, qu’une des problématiques récentes était l’éventualité d’une déflation.

Et les esprits chagrins, de réfléchir à ce que serait la croissance en zone euro en 2015, si d’aventure, la réaction technique sur les trois facteurs qui ont créé un effet d’aubaine pour le Vieux Continent, devait se transformer en mouvement plus durable dans les prochains mois. Ainsi, la Commission Européenne, tout en revoyant à la hausse ses projections pour cette année, a souligné que l’impact positif pouvait être estimé à 1.3 % pour un PIB attendu en progression de 1.5 %.Il faudra donc bien regarder, si la croissance en zone euro est capable de s’émanciper et s’auto-entretenir.

Etats-Unis : la croissance en panne fait hésiter la Fed

Après le très fort coup de frein enregistré par la croissance américaine en début d’année, les anticipations de hausse des taux directeurs de la Fed se sont plus ou moins évanouies, la grande majorité des économistes tablant maintenant sur un statu quo jusqu’en 2016 ou, éventuellement, un seul mouvement à l’automne avant de poursuivre l’année suivante.

En effet, les conditions climatiques défavorables ne peuvent à elles seules justifier le chiffre de 0.2 % publié pour le premier trimestre. L’impact négatif du ralentissement dans le secteur pétrolier (et on prend ainsi pleinement la mesure du poids qu’il représente aujourd’hui aux Etats-Unis) ou au niveau des exportations explique également cette tendance, mais les chiffres de mars ne traduisent pas une très forte amélioration.

Dans la construction, il est logique que les conditions climatiques aient perturbé l’activité ; en revanche, le lien semble moins évident pour les permis de construire, or les chiffres étaient en deçà des attentes.

Il a fallu les commandes de biens durables pour « sauver l’honneur » : en hausse de 4 %, elles doivent leur rebond aux ventes d’avions et d’automobiles favorisées par des conditions de crédit très attractives.

Notons que la Fed ne donne plus de forward guidance, mais la situation du marché du travail reste un de ses paramètres essentiels ; or on pourrait connaître une amélioration du taux de chômage et des créations d’emplois. Reste à voir comment évoluent les salaires, qui étaient, sur mars, en hausse de 2.1 % en rythme annuel.

On devrait pouvoir tabler sur un rebond de la croissance au deuxième trimestre, mais sans doute moins fort qu’en 2014.

Japon : toujours un certain attentisme et une BoJ en stand-by

La BoJ a déçu en observant un statu quo tranchant quelque peu avec la politique très volontariste affichée depuis des mois.
L’inflation retraitée de la hausse de T.V.A. entrée en vigueur en 2014 demeure à zéro ; par ailleurs, l’annulation de la seconde hausse, initialement programmée pour 2015 et annulée par la suite, n’a fait l’objet d’aucune mesure de compensation dans le projet de budget du gouvernement. En toute logique, après Moody’s en décembre dernier, Fitch en a tiré les conclusions et a abaissé la note de l’archipel à « A ». Seule consolation : la balance du commerce extérieur, qui repasse dans le vert pour la première fois depuis 2012.

Zone euro / Europe : reprise avec une stabilisation des prix mais sans accompagnement de l’investissement.

Plus de doute sur l’amélioration de la conjoncture, mais dépendra-t-elle uniquement des facteurs ayant provoqué ce retournement ou la croissance pourra- t- elle s’émanciper? Nous le réaffirmons, il faudra que l’investissement prenne le relais et, à cet égard, gageons que l’embellie sur le crédit (M3 a augmenté de 4.6 %) va se poursuivre et que le redressement du climat des affaires ne sera pas éphémère ; ce sont les indices INSEE, IFO et autres PMI (légère déception en avril).

Pays par pays on observe peu de changement : l’Allemagne sur la bonne trajectoire, la France avec des données toujours contrastées et l’Espagne qui se distingue et enregistre une croissance de 0.9 % au premier trimestre (à ce propos le risque politique sur le marché espagnol se réduit sensiblement, du fait des résultats obtenus par Mariano Rajoy, mais aussi des problèmes internes à Podemos).

Situation différente au Royaume – Uni, où, malgré des PMI bien orientés en mars (surtout dans les services), la croissance a stoppé net, comme aux Etats-Unis au premier trimestre. Or les élections s’annoncent très serrées, au point que les deux principaux partis préparent déjà des alliances, qui semblent inévitables. Le sterling, quant à lui, subit des prises de bénéfices.

Et pendant ce temps, le feuilleton grec se poursuit, sans que l’on puisse envisager une autre solution que celle consistant à effacer tout ou partie de la dette ; et la Commission Européenne dépeint une situation sensiblement détériorée depuis le début 2015.

Bonne nouvelle sur le front des prix : l’inflation se stabilise à 0 % en avril et les anticipations déflationnistes se dégonflent légèrement, ce qui explique sans doute en partie l’échec de l’adjudication allemande du 29 avril à taux négatif.
Du côté de la BCE, tout se déroule comme prévu pour les rachats d’actifs obligataires, près de 48 milliards d’emprunts souverains et près de 13 en covered bonds et ABS.
Enfin, les chiffres du PIB du premier trimestre devraient traduire une accélération, mais essentiellement portée par la demande domestique en zone euro, les exportations venant en renfort dans un second temps.
Les estimations de croissance de la Commission Européenne pour 2015 anticipent une progression de 1.5 %, mais en incluant un effet pétrole, taux et parité euro/dollar de 1.3 %…

Zones émergentes : la Chine toujours en mode ralentissement

En Chine on est bien loin du hardlanding, mais les chiffres vont tous dans le même sens : PIB à 7 %, production industrielle, nouveaux crédits, PMI manufacturier HSBC, etc…Et donc la banque centrale a dû annoncer, le 19 avril, une baisse de 100pdb des ratios de réserves obligatoires (équivalent à 2 % de PIB) et il est probable que l’assouplissement monétaire va continuer.

Dans ce contexte, la spéculation immobilière fait place à la frénésie boursière, dont les banques sont, pour l’instant, les grandes bénéficiaires en termes de cours, mais aussi d’ouvertures de comptes. Il n’empêche que la légère reprise des prix de l’immobilier à Shanghaï et Pékin ont dopé les transactions en avril à Shanghaï, qui bondissent de 59 %.

En Inde, le gouvernement Modi finit par voir fondre son capital confiance à l’intérieur, comme au niveau international. De plus, il se trouve que l’office indien des statistiques utilise, depuis janvier, de nouvelles méthodes de calcul pour la croissance, ce qui sème le doute sur l’état réel de l’économie indienne.

Au Brésil, malgré une nouvelle révision à la baisse très minime (-1.1 % vs. -1 %) des prévisions de croissance pour 2015, une légère détente politique, liée à une clarification de la situation chez Petrobras, a ramené les investisseurs internationaux sur les valeurs brésiliennes et sur le real, qui reprend plus de 6 % contre dollar.