Aperçu sur la BCE : le temps est venu d’honorer les promesses !

par Johannes Gareis, économiste chez Natixis

La BCE a de nouveau placé la barre haute, alimentant les anticipations de mesures de politique monétaire significatives. Selon notre scénario central, la BCE baissera son taux de dépôt de 10 points de base et donnera plus de précisions sur l’adoption d’un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux, laissant la porte ouverte à de nouvelles baisses de taux. Par ailleurs, nous anticipons un changement au niveau de son programme QE. Notre sentiment est que la BCE se concentrera sur la taille globale du programme et nous tablons sur un prolongement de celui-ci de 6 mois jusqu’à septembre 2017. Nous estimons que cette approche serait la moins controversée au sein du Conseil des gouverneurs.

De plus, un prolongement des achats d’actifs constituerait une mesure d’assouplissement naturelle dans le contexte de faiblesse persistante de l’inflation. Enfin, ceci renforcerait la forward guidance de la BCE, signalant que la politique resterait accommodante pendant longtemps. Le risque le plus important de notre scénario vient du fait que la BCE souhaite accélérer l’impact d’un assouplissement supplémentaire en augmentant la taille des achats mensuels d’actifs. Néanmoins, il est possible que la BCE opte pour une combinaison entre une augmentation et un prolongement des achats mensuels d’actifs.

L’inflation de la zone euro déçoit en février…

Tous les regards se porteront sur la BCE cette semaine, alors que l’institut doit annoncer sa décision de politique monétaire. Les derniers chiffres d’inflation pour la zone euro ont augmenté la pression sur la BCE pour agir. Le taux d’inflation de la zone euro a été plus faible que prévu en février, retombant en territoire déflationniste. L’inflation totale est tombée à -0,2% en GA contre +0,3% en GA en janvier, s’inscrivant nettement en-deçà du consensus tablant sur une inflation à zéro. La mauvaise nouvelle pour la BCE est également venue de l’inflation sous-jacente, reculant de façon inattendue à +0,7% en GA contre +1,0% en GA en janvier.

…et la BCE signale une action

Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, a envoyé récemment le signal d’une action de la BCE. Dans un discours à Francfort mercredi, il a indiqué que la BCE était prête à baisser à nouveau ses taux, la banque examinant des moyens de compenser les coûts des taux négatifs pour les banques. Le même jour, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a déclaré devant les députés français que la BCE était prête à adopter de nouvelles mesures si nécessaire. Mario Draghi, le président de la BCE, a également annoncé de nouvelles mesures de relance monétaire. Dans une lettre au parlement européen mardi, Mario Draghi a réitéré la communication de janvier de la BCE selon laquelle la banque centrale « réexaminera et reconsidèrera potentiellement » sa politique monétaire lors de sa réunion de mars. Il a également déclaré que la BCE dispose d’une «variété d’instruments » et qu’ « il n’y a pas de limites » à l’étendue de l’utilisation de ces instruments, alimentant les anticipations de marché actuelles tablant sur des mesures agressives.

Les mesures d’assouplissement – notre point de vue

Notre scénario de base table sur une baisse de 10 points de base (pb) du taux de dépôt cette semaine afin de fournir une orientation relative à un système de taux de dépôt à plusieurs niveaux si d’autres réductions de taux d’intérêt s’avéraient nécessaires, et une modification du programme de QE. Notre sentiment est que la BCE se concentrera sur la taille globale du programme et nous anticipons un prolongement de ce dernier de 6 mois jusqu’à septembre 2017. Cette approche serait probablement la moins controversée au sein du Conseil des gouverneurs. Les minutes de la réunion de décembre révèlent en effet que les discussions ont porté sur un prolongement de 12 mois plutôt que de 6 mois. De plus, nous estimons qu’un prolongement des achats d’actifs constituerait une mesure d’assouplissement naturelle dans le contexte de faiblesse persistante de l’inflation. Enfin, un tel geste conforterait la forward guidance de la BCE, signalant que la politique resterait accommodante pendant longtemps.

La balance penchera plutôt du côté plus agressif que moins agressif

La balance des mesures de relance monétaire de la BCE penchera probablement du côté plus agressif que moins agressif. Ceci peut sembler étrange à la lumière de la déception de décembre, lorsque la banque centrale n’avait pas donné suite aux signaux d’assouplissement qu’elle avait envoyés. Néanmoins, nous estimons cette fois qu’il y a de bonnes raisons de croire aux signaux d’assouplissement envoyés par Mario Draghi :

1/ Premièrement, la conjoncture semble avoir évolué depuis décembre dernier. Si nous n’estimons pas que l’économie de la zone euro traverse des difficultés majeures, il nous faut admettre que les risques baissiers sur la croissance de la zone euro ont augmenté. Le PMI composite comme l’indice de confiance économique de la Commission européenne ont baissé en janvier et en février, brossant un tableau plus morose de l’économie de la zone euro au début de l’année. Par ailleurs, il faut prendre en compte la nouvelle baisse des prix du pétrole en décembre et en janvier et son impact sur l’inflation et les anticipations d’inflation de la zone euro.

2/ Deuxièmement, nous pensons que la BCE veut éviter de décevoir à nouveau. Une répétition de la déception de décembre pourrait nuire à la crédibilité de la banque. Nous anticipons donc un ton très accommodant de la part de Mario Draghi lors de la conférence de presse.

Scénario de risque

Le plus grand risque entourant notre scénario vient de ce que la BCE pourrait vouloir accélérer l’impact de nouvelles mesures d’assouplissement en accroissant la taille des achats mensuels d’actifs. Offrant un argument en faveur d’une hausse des achats mensuels dans le cadre de son QE, la BCE a envoyé un signal fort de sa volonté de combattre le ralentissement récent de l’inflation et les risques baissiers pesant sur la croissance. Pour produire un impact significatif sur son bilan, nous estimons que la BCE devrait porter ses achats mensuels de 60 Mds d’EUR à 90 Mds d’EUR, atteignant le même volume d’achats supplémentaires que dans le cadre d’un prolongement de 6 mois des achats mensuels actuels de 60 Mds d’EUR. Cependant, ceci pourrait s’avérer problématique si la BCE envisageait de prolonger ses achats de QE à une date ultérieure. Parallèlement, une hausse mensuelle des achats pourrait être perçue comme plus agressive qu’un « simple » prolongement du programme de QE, et ce même si elle se traduisait dans les faits par une réduction du volume total du programme. En conséquence, nous estimons qu’une hausse des achats mensuels d’actifs ou une combinaison d’un accroissement et d’un prolongement des achats mensuels d’actifs pourraient constituer une issue possible de la réunion de la BCE de cette semaine.

Existe-t-il d’autres alternatives ?

La BCE pourrait recourir à plusieurs autres mesures pour conforter la politique de relance monétaire et surprendre les anticipations de marché. Tout d’abord, la BCE pourrait adopter un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux et abaisser le taux de dépôt beaucoup plus significativement. De telles mesures présenteraient l’avantage d’entraîner une réduction marquée des taux du marché monétaire, créant ainsi une pression baissière sur le taux de change de l’euro. Toutefois, nous ne pensons pas que la BCE optera pour une baisse de taux significative cette semaine. L’euro s’est légèrement déprécié récemment, réduisant le besoin d’une action radicale. De plus, un abaissement significatif du taux de dépôt aurait un impact important pour les autres banques centrales opérant avec un taux de dépôt plus négatif. Aussi une action agressive de la BCE pourrait-elle marquer le début d’une guerre des devises déplaisante. Cela ne signifie pas pour autant que la BCE s’abstiendra de réduire le taux de dépôt en mars. Ainsi, une appréciation significative du taux de change de l’euro à court terme pourrait conduire la BCE à assouplir davantage sa politique monétaire.

Outre une action plus radicale sur les taux d’intérêt, la BCE pourrait également modifier davantage son programme de QE. La banque centrale pourrait, par exemple, éliminer la limite d’émission (33%), acheter des obligations dont le rendement est inférieur au taux de dépôt et élargir la fourchette d’échéances (sous 2 ans et au-dessus de 30 ans). Par ailleurs, la BCE pourrait basculer d’une allocation géographique des achats d’actifs basée sur la clé de capital vers une allocation reposant sur la taille actuelle des encours de dette. L’allocation par pays basée sur la clé de capital signifie que la BCE achète plus de dette émise par les grandes économies, à commencer par l’Allemagne, que de dette émise par des petits pays. D’autre part, la BCE pourrait ajuster la composition des achats d’actifs pour ajouter des obligations d’entreprises et des obligations de banques non sécurisées au portefeuille. Actuellement, le portefeuille d’actifs éligibles aux achats dans le cadre du programme de QE se chiffre à environ 10 000 Mds d’EUR sans tenir compte des limites d’émission. Cependant, un élargissement du portefeuille d’actifs éligibles pour inclure tous les actifs que la BCE accepte en collatéral dans le système actuel d’éligibilité entraînerait une augmentation du portefeuille de 3 500 Mds d’EUR à 13 500 Mds d’EUR (dont 2 100 Mds d’EUR en obligations bancaires non sécurisées et 1 400 Mds d’EUR en obligations d’entreprises.

Toutes ces options accroîtraient l’univers des actifs éligibles dans le cadre du programme de QE et amélioreraient très probablement l’efficacité du programme. Eventuellement, la BCE pourrait être amenée à modifier son programme QE pour apaiser les craintes de pénurie. Cependant, à ce stade, il est improbable que la banque choisisse l’une ou l’autre de ces alternatives qui soulèveraient des problèmes juridiques (limite d’émission) ou politiques (contrainte de clé de capital et de taux de dépôt pour les achats d’actifs).

Les modalités d’un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux

Nous ne tablons pas sur l’instauration d’un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux par la BCE cette semaine. Cependant, l’adoption d’un tel système semble probable si la BCE envisageait de réduire davantage ses taux d’intérêt après la réunion de mars.

L’idée d’un système de taux de dépôt à plusieurs niveaux est assez simple. Elle consisterait à imposer aux banques un taux de dépôt différent en fonction de l’excès de liquidités qu’elles déposent auprès de la banque centrale. Une option probable consisterait à introduire deux facilités de dépôt différentes. La banque centrale pourrait fixer un taux de dépôt « principal », à disons 0%, et un nouveau taux de dépôt à un niveau préétabli de disons -0,5%, s’appliquant aux fonds excédentaires. Un tel système dual est utilisé à la fois au Danemark et en Suisse, où les taux directeurs sont en territoire très négatifs, à -0,75%.

Ce système dual amortirait le coup porté aux bénéfices des banques tout en entraînant une baisse des taux du marché monétaire et du taux de change de l’euro. Ceci s’explique par le fait que l’intérêt s’applique à la position marginale des banques (auprès de la banque centrale) qui détermine les taux du marché monétaire. Ainsi, tant que le montant de liquidités excédentaires dans le système soumis au taux de « pénalité » de la facilité est suffisant, les taux du marché monétaire s’ajusteraient en conséquence. A en juger par la relation passée entre l’excès de liquidités et le fixing de l’EONIA par rapport au taux de facilité de dépôt, il semble que la BCE devra s’assurer que le taux d’intérêt négatif s’applique à un montant d’au moins 200 Mds d’EUR de liquidités excédentaires afin de faciliter la transmission de la pénalité aux marchés.

Les coûts directs pour l’ensemble du système bancaire viennent du fait que toutes les réserves excédentaires sont actuellement sujettes au taux négatif, ce qui signifie que 85% de l’ensemble des comptes courants des banques à la banque centrale sont soumis à un taux d’intérêt négatif. Un simple calcul approximatif suggèrerait que le niveau actuel des excès de réserves de 670 Mds d’EUR encourt un coût annualisé direct de 2 Mds d’EUR, ou 0,02% du PIB, pour l’ensemble du système bancaire. Cependant, comme expliqué précédemment, il n’est pas nécessaire d’appliquer un taux d’intérêt négatif à l’ensemble des dépôts. La BCE pourrait introduire des provisions réduisant le coût pour le secteur bancaire, à l’instar de ce qui se pratique par exemple en Suisse. Le taux de pénalité ne s’applique qu’à la part du solde du compte de dépôt à vue excédant un certain seuil. Pour les banques domestiques, le seuil correspond actuellement à 20 fois l’exigence de réserve minimum. Pour les détenteurs de comptes non soumis à l’exigence de réserve minimum (banques étrangères), la SNB établit un seuil fixe d’un niveau minimum de 10M CHF. Selon une estimation approximative, ceci signifie que 40% de l’ensemble des comptes courants des banques sont sujets à un taux de dépôt négatif, tandis que les 60% restants en sont exempts.1

Le système dual de taux de dépôt présente un avantage évident. Il permettrait à la BCE d’ouvrir la porte aux spéculations de nouvelles baisses de taux, ce qui pourrait maintenir la pression baissière sur le taux de change de l’euro. Cependant, le système présente l’inconvénient de rendre le système plus complexe. De plus, comme avec le taux de dépôt négatif dans le système actuel, il présente le risque d’un impact négatif sur les canaux de crédit. En cas de baisse excessive du taux de dépôt (ou si les provisions pour les excès de réserves sont trop faibles), les banques pourraient être tentées de compenser la baisse de leur rentabilité.

La prévision d’inflation de la BCE pour 2016 sera significativement révisée à la baisse

La BCE actualisera ses prévisions d’inflation et de croissance pour 2016 et 2017 et publiera pour la première fois les prévisions d’inflation pour 2018. Les « hypothèses techniques » pour le prix du pétrole et le taux de change de l’euro constituent les données les plus importantes du modèle de prévision de la BCE. Ces hypothèses sont généralement finalisées environ deux semaines avant la réunion de politique monétaire de la BCE. Ainsi peut-on comparer les données utilisées dans leurs dernières projections en décembre aux cours de marché actuels, en supposant que les hypothèses aient été arrêtées le 26 février 2016.2

Les hypothèses techniques sur les prix du pétrole reposent sur les anticipations de marché. La prévision de décembre s’appuyait sur un prix du Brent de 53,8 USD/b en moyenne en 2015, 52,2 USD/b en 2016 et 57,5 USD/b en 2017. Le prix du pétrole a significativement baissé en-deçà de 52,2 USD/b cette année et, sur la base de la courbe des futures, il devrait atteindre en moyenne 35,1 USD/b sur l’ensemble de 2016. De plus, la courbe des futures reflète une hausse du prix du Brent à 41,9 USD/b en 2017, puis à 45,4 USD/b en 2018. Il y aura également une révision de l’hypothèse de taux de change, toutefois mineure. Sur la base d’une hypothèse de stabilité du taux de change, les projections de décembre anticipaient l’EUR/USD à 1,09 en 2016 et 2017. Cependant, les projections de mars devraient montrer une prévision de l’EUR/USD légèrement supérieure, à 1,11 pour 2016 et 2017.

Un abaissement de l’hypothèse de prix du pétrole et un relèvement de l’hypothèse du taux de change EUR/USD sous-tendant les projections de la BCE se traduiront par une trajectoire plus basse du taux d’inflation. Nous avons actualisé notre modèle d’inflation trimestriel pour la zone euro, qui par le passé s’est bien aligné sur les prévisions des économistes de la BCE (pour les détails, cf. Special Report Natixis du 16 septembre 2015). A en juger par ce modèle, nous anticipons une révision en forte baisse de la projection d’inflation de la BCE pour 2016. Tandis qu’en décembre la BCE prévoyait une inflation moyenne de +1,0% en GA en 2016, un chiffre autour de +0,2% en GA semble très probable. Les projections d’inflation pour 2017 devraient également être revues à la baisse, de 1,6% en GA en décembre à +1,5% en GA. La nouvelle prévision pour 2018 pourrait ressortir à +1,9% en GA.

Nous anticipons également une légère révision à la baisse des projections de croissance de la BCE en raison d’une performance moins bonne qu’attendu au quatrième trimestre 2015 et du léger relèvement de l’hypothèse de taux de change EUR/USD. En décembre, la BCE anticipait une croissance du PIB réel de +1,7% en GA pour cette année et de +1,9% en GA pour l’année prochaine. Désormais, elle devrait attendre respectivement +1,6% en GA et +1,8% en GA. La projection de croissance réelle du PIB en 2018 pourrait également ressortir à +1,8% en GA.

NOTES

  1. Les coûts directs d’un taux de dépôt négatif sont significativement plus élevés en Suisse que dans la zone euro. Actuellement, environ 190 MdCHF sont soumis à un taux de dépôt négatif de -0,75%, générant un coût direct annualisé de 1,4 MdCHF, soit 0,2% du GDP.
  2. Pour isoler les hypothèses de la volatilité durant une journée de cotation, nous avons pris les moyennes sur une période de référence de 10 jours.

Retrouvez les études économiques de Natixis