Autriche : l’Allemagne en mieux ?

par Christian Ott et Peter Kaidusch, économistes chez Natixis

Depuis le début de la crise de la dette européenne, la liste des pays de la zone euro pâtissant d’un endettement élevé et d’une croissance atone ne cesse de s'allonger. La seule exception souvent mentionnée est l’Allemagne.

Cela étant, l’économie autrichienne est très similaire et se caractérise par une balance commerciale durablement excédentaire, un marché du travail dynamique et une dette publique peu élevée. De plus, son redressement après 2009 a été aussi prononcé que celui de l’économie allemande. En Autriche, le taux de chômage (selon la définition d’Eurostat), l'impôt sur les sociétés et le niveau de la dette publique sont par contre largement moins élevés qu’en Allemagne, les ménages sont moins endettés et le vieillissement démographique moins prononcé. C’est donc l’Autriche et non l’Allemagne qu’on devrait qualifier d’« élève modèle de la zone euro ».

Cela étant, l’économie autrichienne est largement tributaire de celle de l’Allemagne en raison de l’étroitesse des échanges commerciaux entre ces deux pays. Enfin, l’Autriche pourrait fortement pâtir de l’exposition de ses banques à celles d’Europe de l’Est.

1 Ralentissement économique après une croissance soutenue en 2011

Après avoir affiché une forte croissance début 2011, l’économie autrichienne s’est essoufflée vers la fin d’année (T4 : -0,1% t/t). Elle a surtout fait les frais de la décélération du commerce mondial, qui s’est traduite par deux baisses trimestrielles consécutives des exportations et de la formation de capital fixe au second semestre. Cela étant, les récents indicateurs (sentiment économique, enquête Ifo sur le climat des affaires, commandes industrielles) laissent entrevoir un retournement de tendance qui nous incite à nous montrer relativement optimistes pour le T1 2012, avec une stagnation du PIB autrichien (t/t) plutôt qu’une récession technique.

Compte tenu de l’atonie observée en début d’année, nous anticipons une croissance du PIB de seulement 0,7% en 2012 (contre 3,1% en 2011) et de 1,6% l’an prochain, mais la poursuite de la crise dans la zone euro et le manque de dynamisme du commerce mondial rendent ces prévisions très incertaines. Dans notre scénario (optimiste), nous misons sur un redressement de l’activité économique dès le deuxième trimestre.

2 Prix à la consommation

En Autriche, les prix à la consommation ont enregistré leur taux de progression annuelle le plus élevé depuis 1993 (+3,6% selon Eurostat).

Ce mauvais résultat est imputable principalement au renchérissement des produits pétroliers et alimentaires, mais également à la hausse des prix dans le secteur des services (assurance, restauration et hôtellerie). En 2012, le taux de progression annuelle des prix devrait tomber à 2,2% en réponse à la baisse des prix de l’énergie et d’effets de base favorables.

3 Marché du travail

A 4,2% en décembre 2011, selon la définition d’Eurostat, l’Autriche affiche le taux de chômage le plus faible de tous les pays de la zone euro. À titre de comparaison, en Allemagne le taux de chômage est de 5,5% et dans la zone euro de 10,7%.

La croissance continue de l’emploi a été particulièrement remarquable (+0,9% en 2011), mais s’est accompagnée d'une baisse moins prononcée du taux de chômage (-0,2%) en raison de la libéralisation en mai 2011 du marché du travail, qui a entraîné un afflux de milliers de travailleurs des pays devenus membres de l’UE en 2004.

Rappelons toutefois qu’il existe des différences considérables entre les définitions du chômage retenues par Eurostat et les définitions nationales. Sur la base des définitions nationales, le taux de chômage est plus élevé tant en Autriche qu'en Allemagne (8,4% et 6,8% respectivement, en février 2012). La différence des taux autrichiens (décembre 2011 : 4,2% contre 8,2) est remarquable.

4 Marché de l’immobilier résidentiel

Le marché autrichien de l’immobilier résidentiel se caractérise par un taux d’augmentation des prix supérieur depuis des années à l’inflation, ce qui pourrait suggérer la formation d’une bulle. Rien ne prouve cependant que tel soit le cas. Premièrement, avec environ 20% de la population du pays et la hausse des prix la plus élevée, la métropole viennoise introduit un biais dans les prix de l’immobilier en général.

Deuxièmement, les caractéristiques traditionnelles d’une bulle, comme la hausse du taux de propriétaires et de l’endettement des ménages associé à un crédit bon marché, sont absentes: en Autriche, le taux de propriétaires ressort à 56%, l’un des plus faibles de l’UE. En outre, l’endettement des ménages autrichiens est resté relativement stable.1

(On constate) baisse de l’investissement dans le secteur de l’immobilier résidentiel depuis 2008, (ce qui) invalide donc lui aussi la thèse d’une bulle.

5 Impôt sur les sociétés

En 2005, l’Autriche a réduit le taux de l’impôt sur les sociétés de 34 à 25%, le ramenant ainsi à un niveau moyen selon une comparaison avec 34 pays. Cette réforme a été entreprise dans le cadre de l’élargissement de l’UE pour dissuader les entreprises de délocaliser leurs capacités de production dans les nouveaux États membres d’Europe de l’Est.

En 2008, l’Allemagne avait pour sa part ramené ce taux de 38,9% à 30,2%. Le taux de l’IS en Allemagne demeure toutefois le cinquième le plus élevé parmi les pays considérés.

6 Démographie

En Autriche, le ratio de dépendance, c'est-à-dire le nombre d’habitants ne faisant pas partie de la population active, exprimé en % de la population active, est actuellement de 48% et est donc légèrement inférieure à la moyenne de l’UE (49%). Il devrait augmenter pour s’établir à 71% d’ici 2050. Les réformes des retraites en réaction à l’évolution démographique sont déjà entrées en vigueur.

En 2004, le gouvernement a décidé d’augmenter progressivement l’âge minimum de départ à la retraite de 61,5 à 65 ans pour les hommes (63,5 ans actuellement) et de 56,5 à 60 ans pour les femmes (58,5 actuellement). En 2017, il ne sera plus possible de partir en retraite anticipée. Entre 2024 et 2033, l’âge obligatoire de départ à la retraite des femmes augmentera progressivement jusqu’à atteindre le même niveau que pour les hommes (65 ans).

En décembre 2010, le gouvernement a également réduit l’enveloppe consacrée aux pensions d’invalidité. En outre, les années d’études ne seront plus prises en compte.

En Allemagne, en revanche, avant la réforme entreprise en 2007, l’âge légal de départ à la retraite était déjà de 65 ans. Le gouvernement a toutefois décidé de l’augmenter à 67 ans pour les personnes nées en 1964 ou plus tard (et progressivement pour celles nées avant 1964). L’âge de départ anticipé à la retraite reste fixé à 63 ans.

Les chiffres ci-dessus donnent à penser que l’Allemagne est mieux armée pour faire face à l’évolution démographique. Cela étant les projections du pays concernant le vieillissement de la population atténuent cette impression. Le ratio de dépendance, qui se situait déjà à 52% en 2010, devrait atteindre 80% en 2050, soit un niveau supérieur de 9 points à celui attendu alors en Autriche. Ceci montre que les mesures adoptées par le gouvernement allemand étaient inéluctables. 2

7 Finances publiques

À 70,4% du PIB, la dette de l’Autriche en 2011 demeure largement inférieure à la moyenne de la zone euro (87,6% selon les prévisions). A 79%, la dette publique de l’Allemagne dépasse elle aussi largement celle de l’Autriche.

L’an dernier, le déficit de l'Autriche s'établissait à 3% du PIB. Cette année et l’an prochain, son déficit budgétaire devrait rester très proche du maximum autorisé par le Traité de Maastricht.

Les mesures préconisées par le gouvernement autrichien pour réduire le déficit budgétaire jusqu’en 2014 sont déjà entrées en vigueur. Cela étant, l’essentiel de la consolidation nette aurait déjà dû être entrepris (mesures de réduction du déficit moins mesures de relance : 0,7% du PIB en 2011). La dernière version du budget proposé pour 2012 ne contenant aucune mesure d’austérité supplémentaire, les efforts budgétaires réalisés cette année pourraient ne représenter que 0,4% du PIB.

En décembre dernier, le parlement autrichien a approuvé un frein à la dette visant à limiter le déficit structurel de l’administration centrale à 0,35% du PIB en 2017. Toutefois, cette mesure n’est pas inscrite dans la Constitution (alors que c'est le cas en Allemagne par exemple) et pourrait être abolie avec une simple majorité parlementaire.

8 Exposition des banques autrichiennes

Autre différence avec l’Allemagne : les banques autrichiennes sont fortement exposées à celles d’Europe de l’Est, où la crise économique empêche un nombre croissant de ménages et d’entreprises d’honorer leur dette. C’est l’une des raisons pour lesquelles Standard & Poor’s a récemment abaissé la note des obligations d’État autrichiennes de AAA à AA+. La part de loin la plus élevée des créances étrangères porte sur la République tchèque, suivie de la Roumanie, de la Hongrie et de la Croatie.

L’Autriche, en revanche, est relativement peu exposée aux pays périphériques, l’essentiel de ses créances portant sur des pays d’Europe de l’Est. Elle pourrait pâtir de son exposition à l’Italie (environ 15 Md€, contre une exposition totale aux pays périphériques de 24 Md€). Cela étant, son exposition modeste à ces pays pourrait limiter le risque associé au secteur bancaire. L’Allemagne, en revanche, est fortement exposée aux pays périphériques (335Md€). La majorité de ses créances portent sur l’Espagne (114Md€) et l’Italie (102 Md€), et dans une moindre mesure l’Irlande (72 Md€), la Grèce (26 Md€) et le Portugal (21 Md€).

9 Autriche : l'Allemagne en mieux ?

La performance économique et financière de l’Autriche illustrée ci-dessus soulève la question de savoir si ce n'est en fait ce pays, et non l’Allemagne, qui mériterait d’être considéré comme l’« élève modèle » de la zone euro. Cela étant, l’économie autrichienne est fortement intégrée à l’économie allemande. (Cela) permet de mieux apprécier le lien étroit des cycles économiques de ces deux pays.

Environ un tiers des exportations autrichiennes sont destinées à l’Allemagne. En outre, l’essentiel de ces exportations entrent dans les catégories « Voitures et cycles » et « Moteurs », piliers de l’industrie allemande. Globalement, les exportations allemandes ont un très fort contenu en importations, ce qui est reflété ici. La dynamique des exportations autrichiennes est donc très étroitement corrélée à celle des exportations allemandes. La croissance du PIB autrichien – à l'instar de celle du PIB allemand – dépendant essentiellement des exportations, on voit mal comment elle pourrait être soutenue si l'économie allemande se portait mal.

Globalement, ces deux économies se portent bien et sont compétitives actuellement, mais compte tenu de leur degré d’ouverture, elles pourraient toutes deux pâtir d’un affaiblissement de la demande étrangère, d’un nouveau choc pétrolier ou d’une éventuelle aggravation de la crise dans la zone euro.

NOTES

  1. En Allemagne, la hausse des prix de l'immobilier est également supérieure à l'inflation depuis peu et le taux de propriétaires est même inférieur à celui de l’Autriche.
  2. Commission européenne : The 2012 Ageing Report: Underlying Assumptions and Projection Methodologies, European Economy 4/2011.

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