Bâle 3 : des exigences de solvabilité non dénuées d’incidence

par Laurent Quignon, économiste chez BNP Paribas

  • Le 12 septembre dernier, le comité de Bâle a dévoilé le calibrage des nouveaux ratios de solvabilité dans le cadre de la réforme prudentielle dite « Bâle 3 », le calendrier d’application.
  • Les nouveaux seuils réglementaires équivalent au moins à un triplement des exigences entre Bâle 2 et Bâle 3 en raison des redéfinitions du numérateur et du dénominateur.
  • Les efforts de recapitalisation accomplis depuis la crise financière et le calendrier d’application relativement étalé permettront toutefois à la plupart des grandes banques européennes de se conformer aux nouvelles exigences sans augmentations de capital substantielles. Les exigences implicites de marché pourraient néanmoins conduire à un raccourcissement des délais.

par Laurent Quignon, économiste chez BNP Paribas

  • Le 12 septembre dernier, le comité de Bâle a dévoilé le calibrage des nouveaux ratios de solvabilité dans le cadre de la réforme prudentielle dite « Bâle 3 », le calendrier d’application.
  • Les nouveaux seuils réglementaires équivalent au moins à un triplement des exigences entre Bâle 2 et Bâle 3 en raison des redéfinitions du numérateur et du dénominateur.
  • Les efforts de recapitalisation accomplis depuis la crise financière et le calendrier d’application relativement étalé permettront toutefois à la plupart des grandes banques européennes de se conformer aux nouvelles exigences sans augmentations de capital substantielles. Les exigences implicites de marché pourraient néanmoins conduire à un raccourcissement des délais.
  • Plusieurs éléments de la réforme (surcouche banques systémique, définition du ratio de liquidité à long terme) restent à préciser et l’impact économique fondé sur les éléments connus doit donc être considéré comme partiel.

 

Après plusieurs mois de négociations, les régulateurs et banquiers centraux de 27 pays réunis au sein du Comité de Bâle sont parvenus à un accord qui imposera aux banques de disposer de capitaux propres durs (actions ordinaires et réserves diminuées des déductions prudentielles) s’élevant au minimum à 7% des risques pondérés (conservation buffer inclus), soit plus du triple des exigences antérieures de Bâle 2 (la composante « common equity » du core tier one devait atteindre au moins 2% des risques pondérés sous Bâle 2).

Le relèvement des seuils réglementaires entre Bâle 2 et Bâle 3 ne donne, toutefois, pas la juste mesure du renforcement de la contrainte réglementaire. En effet, la définition des différents numérateurs (Tier one et core tier one) a été considérablement resserrée tandis que, toutes choses égales par ailleurs, de nouvelles modalités de calcul entraînent une inflation des risques pondérés, qui constituent le dénominateur du ratio.

Le calendrier finalement retenu par le Comité de Bâle apparaît plus étalé que ne le laissaient présager certaines informations du Comité de Bâle, mais la pratique pourrait conduire à un raccourcissement des délais.

Numérateur : une définition plus stricte du capital réglementaire

Dans son acception la plus restrictive (Common equity tier one), le capital réglementaire visera à satisfaire aux exigences minimales, portées progressivement de 3,5% des risques pondérés en 2013 à 4,5% en 2015 et le conservation buffer obligatoire à partir de 2016 (0,625% des risques pondérés) et qui atteindra son niveau définitif en 2019 (2,5%). La définition du capital réglementaire a été précisée dans le Communiqué du Comité de Bâle du 26 juillet dernier.

Tout d’abord, certains titres hybrides jusqu’à présent éligibles au Tier 1 en seront désormais progressivement exclus. Cette restriction concerne, notamment, les instruments de dette Tier 1 assortis d’une option de rachat, lesquels sortiront du périmètre des fonds propres à leur date de maturité effective, c'est-à-dire lors de la première date d’exercice du call. Une exception a, toutefois, été prévue pour les fonds d’origine publique injectés sous cette forme, qui échapperont à cette règle et demeureront comptabilisés en fonds propres durs jusqu’en 2018.

Ensuite, outre les déductions opérées sous Bâle 2, seront désormais retranchées du numérateur :

  • une quote-part des intérêts minoritaires des filiales bancaires. La quote-part correspondant à l’excédent de capital d’une filiale bancaire, au-delà des exigences réglementaires applicables à une filiale, sera déduite. 
  • les participations significatives au capital d’autres institutions financières (banques, assurances, au-delà d’un double plafond : 10% du capital de l’institution financière dans laquelle la banque détient une participation, et 10% de la composante « common equity » de la banque détentrice.
  • les participations significatives au capital d’autres institutions financières, les mortgage servicing rights (spécificité américaines) et les impôts différés liés à la variation dans le temps des résultats au-delà d’un double seuil. Non seulement chacune de ces trois composantes ne doit pas excéder 10% de la composante common equity, mais encore la somme de ces trois composantes.

Ces modalités de calcul pourraient conduire à une rationalisation des participations bancaires dans d’autres institutions financières et à une remise en cause, notamment, du modèle de la bancassurance.

Dénominateur : les nouvelles règles de calcul accroissent les risques pondérés

Même si l’accent a été régulièrement placé sur la redéfinition du capital réglementaire, l’incidence du nouveau calcul des risques pondérés sur le niveau des ratios est loin d’être négligeable. Elle apparaît même au moins aussi importante que celle tenant à l’exclusion d’une partie des instruments hybrides, dès lors que les grandes banques européennes ont privilégié les émissions d’actions ordinaires plutôt que celles d’instruments hybrides au cours de la vague de recapitalisation qui a suivi la crise financière.

Le régulateur a abandonné le multiple de 5 appliqué à la mesure des pertes calculées d’un portefeuille de crédit selon la méthode dite CVA (Credit Valuation adjustment), initialement envisagée dans le document consultatif de décembre 2009. En dépit de cet amendement, l’incidence de la CVA sur les risques pondérés et les exigences de fonds propres resterait, néanmoins, très conséquente.

Un coussin supplémentaire contracyclique pouvant atteindre 2,5% des risques pondérés

Au-delà des exigences minimales, constituées du common equity tier one (4,5%) et du conservation buffer (2,5%), qui s’appliqueront de manière permanente, les régulateurs nationaux pourront, de manière discrétionnaire, imposer un matelas contracyclique supplémentaire lorsqu’ils estimeront que certaines évolutions macroéconomiques, en particulier l’évolution du ratio endettement du secteur privé résident/PIB au regard de sa tendance, constituent une menace susceptible d’entraîner un risque systémique.

Chaque régulateur national déterminera le matelas requis pour les actifs bancaires localisés dans son pays. Le calcul de l’exigence sera donc spécifique à chaque établissement en fonction de la structure et de la ventilation géographique de son portefeuille. Ainsi que le souligne le Comité de Bâle, les banques détenant un portefeuille diversifié seront astreintes à la constitution d’un matelas contracyclique permanent mais de niveau relativement faible, tandis que les banques dont le portefeuille est concentré sur un pays seront le plus souvent dispensées de matelas contracyclique mais pourront ponctuellement se voir imposer des exigences substantielles à ce titre.

Le coussin de capital contracyclique se composera de common equity et de « other fully loss absorbing capital ». Même si le régulateur n’en fait pas explicitement mention, il est vraisemblable que le capital contingent (cocos), qui désigne des dettes qui se transforment en capital dans certaines circonstances, entrera dans le périmètre du matelas contracyclique.

Un calendrier d’application étalé Mais relativement complexe

Le calendrier d’application de la réforme apparaît moins sévère que ne le laissaient présager les hypothèses de l’étude d’impact économique publiée par le Comité de Bâle en août (périodes de transition de 2 et 4 ans).

Ainsi, le ratio minimum exigé pour le ratio Tier one, de 4% aujourd’hui, sera porté à 4,5% en 2013 puis progressivement à 6% dès 2015. Les instruments de capital hybrides, qui ne seront plus éligibles au capital Tier one en 2018, seront progressivement retranchés du numérateur par tranche de 10% chaque année à partir de 2013 et sur une période de 10 ans. Ils compteront donc encore pour 90% de leur valeur en 2013, 80% en 2014 et ainsi de suite jusqu’à être définitivement exclus du périmètre de calcul en 2023. Les nouvelles déductions Bâle 3 ne seront pas appliquées en 2013 mais progressivement à compter de 2014 et dans leur totalité à partir de 2018.

L’étalement du calendrier constitue évidemment une nouvelle favorable, de nature à lisser les effets de la contrainte réglementaire sur les comportements bancaires et sur le financement de l’économie. Plusieurs raisons incitent, néanmoins, à considérer ce calendrier théorique avec prudence.

– Il s’agit d’un calendrier indicatif et certains régulateurs nationaux pourraient raccourcir la période de transition (Royaume-Uni, Suisse). – Les grandes banques étant arbitrées à l’échelle internationale, le marché pourrait exiger des banques non soumises à un calendrier accéléré qu’elles se conforment, néanmoins, plus rapidement aux nouvelles normes.

Ces éléments incitent à considérer que la durée de transition de 4 ans retenue par le Comité de Bâle, dans son étude d’impact économique, demeure pertinente. Alors même que plusieurs choix méthodologiques nous semblent de nature à minimiser l’évaluation des effets négatifs de la réforme, le Comité de Bâle ne conteste pas l’incidence globalement négative de la réforme prudentielle sur la croissance économique durant la phase de transition. Chaque augmentation d’1 point du ratio de capital des banques (Tangible Common Equity rapporté aux risques pondérés) réduirait le niveau du PIB des pays concernés de 0,16% à l’issue de quatre ans et demi. Sous l’hypothèse que les banques européennes augmenteront leur composante tangible common equity dans une proportion comprise entre 2% et 5% des risques pondérés selon leur situation initiale et l’exigence implicite de marché au-delà des exigences réglementaires, l’incidence négative se situerait entre 0,3% et 1% du PIB, hors effet de la contrainte de liquidité.

Recours peu probable aux levées defonds propres

Les durcissements des définitions et le caractère privé des paramètres entrant dans le nouveau calcul des nouveaux ratios de solvabilité ne permettent pas de prendre la véritable mesure de l’évolution de la contrainte réglementaire au cours du temps. Ainsi, le niveau exigé de 3,5% en 2013 ne se mesure pas sur la même échelle que le 7% de 2019 et traduit plus sûrement un triplement qu’un doublement de la contrainte réglementaire.

Aussi, même si les grandes banques disposent désormais d’une marge de sécurité confortable au regard des exigences bâloises actuelles, des efforts doivent encore être accomplis pour atteindre les nouveaux seuils applicables en 2019. L’information financière publiée ne permet, toutefois, pas la détermination exacte des niveaux effectifs des ratios de solvabilité dans leur nouvelle définition et contraignent les analystes à fonder leurs calculs sur certaines approximations. Selon les premières estimations disponibles, l’application fictive des nouvelles normes telles qu’elles s’appliqueront en 2019 ne permettrait pas à la majorité des grandes banques européennes d’atteindre d’ores et déjà les seuils réglementaires, ce qui a sans doute incité le Comité de Bâle à retenir un calendrier de mise en œuvre relativement long. En revanche, moyennant une limitation de l’offre de financement et des risques pondérés et des politiques de distribution prudentes, les grandes banques européennes devraient, à quelques exceptions près, se conformer aux normes en vigueur en 2012 sans augmentations de capital substantielles.

Champ d’application et incidenceéconomique

Le Commissaire européen en charge des services financiers a confirmé la présentation, au premier trimestre 2011, d’une directive transposant ces règles, sous réserve qu’elles soient confirmées lors de la prochaine réunion du G20 les 11 et 12 novembre prochains.

Les régulateurs bancaires américains ont, pour leur part, accueilli favorablement la réforme bâloise1. La référence explicite aux grandes banques internationalement actives laisse, toutefois, présager que le périmètre ne serait pas élargi à l’ensemble des banques américaines mais restera circonscrit à la dizaine de «core banking organisations», dont le bilan est supérieur à 250 milliards de dollars ou dont les actifs détenus à l’étranger dépassent 10 milliards de dollars, déjà soumises à l’approche avancée Bâle 2. Si tel était le cas, les champs d’application de Bâle 3 qui en résulteraient seraient très différents entre l’Europe et les Etats-Unis. Le bilan agrégé des douze core banking organizations (10 banques dont 3 filiales de banques étrangères ) ne représenterait, selon nos calculs, que 61% de l’ensemble des actifs bancaires, ce qui signifie que la réforme «Bâle 3» ne sera en réalité susceptible de contraindre qu’une proportion comprise entre 15% et 20% des financements du secteur privé non financier américain, contre plus de 80% de ceux de la zone euro, ces proportions indicatives étant obtenues en multipliant la proportion d’établissements susceptibles d’être soumis à Bâle 3, exprimée en pourcentage des actifs bancaires, par la part du crédit bancaire dans le total des financements du secteur privé non financier.

Il convient, enfin, de souligner que tous les éléments constitutifs de la réforme réglementaire ne sont pas encore définis avec suffisamment de précision pour voir leurs effets économiques évalués. Concernant la solvabilité, le Comité de Bâle doit encore décider du calibrage du ratio de levier dont les banques devront publier le niveau à partir de 2015 en vue d’une migration en pilier 1 (caractère obligatoire et public) envisagée pour 2018. Une surcouche de capital spécifique aux établissements présentant un caractère systémique est également prévue. Concernant le ratio de liquidité à court terme, le périmètre des actifs considérés comme liquides a été élargi tandis que la date d’application a été fixée à 2015. Enfin, la définition initiale du ratio de liquidité de long terme (Net Stable Funding ratio) qui rendait à notre sens l’exigence insoutenable, compte tenu de l’écart entre les besoins en ressources bancaires longues qu’elle suscitait et la capacité d’absorption du marché obligataire, sera également modifiée, pour une application prévue à partir de 2018.

NOTES

  1. « US. Banking Agencies Express Support for Basel Agreement », Joint Release, Board of Governors of the Federal Reserve System, Office of the Comptroller of the Currency, Federal Deposit Insurance Corporation, NR 2010-107, September 12, 2010.

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