BCE : une course contre la montre

par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas

•  Les politiques monétaires conventionnelles peuvent être graduelles et le sont souvent, un luxe que les politiques non- conventionnelles ne peuvent se permettre.

  Quatre raisons sont derrière la nécessité d’agir vite et amplement une fois ces politiques initiées.

Les banques centrales utilisent la politique monétaire conventionnelle afin de lisser les fluctuations cycliques, soit de l’inflation uniquement ou aussi de l’activité selon le mandat. Ces politiques se caractérisent en général par leur progressivité.

En phase de resserrement monétaire, une approche trop agressive peut vite devenir excessive et entraîner une récession. En phase d’assouplissement, le gradualisme traduit la volonté d’éviter une panique des agents économiques, reflétant la crainte de déclencher, en cas de détente excessive, un cycle de surchauffes/dépressions. On peut aussi y voir l’idée selon laquelle une politique non conventionnelle pourrait toujours être adoptée, en dernier recours, si l’objectif n’était pas atteint. C’est exactement ce qui s’est passé ces dernières années avec les programmes d’assouplissement quantitatif de la Fed, de la BoE, de la BoJ ou de la BCE.

Une politique monétaire non conventionnelle est, par définition, différente d’une politique classique. Lorsqu’une banque centrale augmente la taille de son bilan, le cours des actifs financiers joue un rôle prépondérant, alors que dans le cadre conventionnel, c’est le canal du crédit qui prédomine. De telles différences impliquent cependant que dès qu’une banque centrale adopte une politique non conventionnelle, elle entame une course contre la montre.

Premièrement, l’assouplissement quantitatif a ses limites. En effet, avec l’expansion de la taille du bilan, la vulnérabilité de ce dernier au risque de taux augmente. La banque centrale s’expose alors à des moins-values latentes. De fait, l’assouplissement quantitatif a pour objet de stimuler la croissance (objectif intermédiaire) et l’inflation (objectif final) de sorte que, en cas de succès, les rendements obligataires remontent. Pour ce qui est de la BoJ, qui a également acheté des ETF (fonds négociés en bourse), la sensibilité du bilan aux prix des actions est un autre élément. Cependant, cet argument n’est pas le plus important : il est généralement admis qu’une banque centrale peut fonctionner avec un capital faible voire négatif.

Le facteur de rareté des titres est un argument plus important, compliquant la mise en œuvre d’une politique d’assouplissement quantitatif, d’autant plus si elle dure et si elle est massive, réduisant d’autant la marge de manœuvre en termes d’augmentation des volumes et/ou de prolongement du programme. Dans la zone euro, l’émission nette de titres d’Etat, compte tenu des achats de la BCE, sera négative à hauteur de EUR 303 mds au second semestre 2016. La BCE a récemment annoncé qu’elle achèterait aussi des obligations d’entreprises de qualité « investment grade » même si, là encore, l’offre est limitée. De plus, le taux de la facilité de dépôt a été abaissé pour faire reculer les taux sur l’ensemble de la courbe.

Le recours à des taux négatifs pour stimuler l’inflation a aussi ses limites. La raison d’être d’un tel taux est qu’il permet d’échapper à la contrainte de la borne zéro pour les taux d’intérêt. Le taux de refinancement peut être positif, mais le taux négatif appliqué aux réserves excédentaires déposées auprès de la BCE conduit à la baisse l’ensemble de la courbe des taux, et ce de façon plus marquée que si seul l’assouplissement quantitatif était utilisé. Ce taux négatif présente plusieurs intérêts. Il encourage l’octroi de crédit par les banques ; il peut aussi engendrer un rééquilibrage des portefeuilles, des titres d’Etat au profit d’actifs plus risqués, et il joue, enfin, un rôle de signal : avec un taux négatif, il faudra d’autant plus de temps avant une augmentation du taux refi. Toutefois, cet outil se heurte à bien des critiques. Lorsque la BoJ y a eu recours, par surprise, en début d’année, elle a provoqué un repli du marché d’actions, en particulier des valeurs bancaires, ainsi qu’un raffermissement du yen. Ce dernier mouvement allait à l’encontre du but recherché, contraignant un peu plus une accélération de l’inflation, et traduisait les doutes quant à l’aptitude de la BoJ à relancer l’inflation. Tout ceci explique en partie la récente décision de la BCE de limiter la baisse supplémentaire du taux de rémunération des dépôts. Selon les déclarations récentes, la BCE a semble-t-il fixé la barre assez haut pour tout abaissement ultérieur de ce taux.

Des progrès trop lents en matière d’inflation pourraient peser sur la crédibilité de la banque centrale ou, plus précisément, sur la confiance du marché en la capacité de la banque centrale à stimuler l’inflation. De tels doutes engendrent l’incertitude, voire conduisent à une appréciation, qui pèse sur la croissance et l’inflation.

Enfin, la sensibilité de la zone euro au reste du monde rend la réalisation de progrès en matière d’inflation encore plus nécessaire. En effet, l’objectif d’inflation serait plus difficile à atteindre en cas de détérioration de l’environnement extérieur. Il est à espérer que l’inflation dans la zone euro se rapproche suffisamment de l’objectif de la BCE avant que les Etats-Unis n’entrent en récession. Ce n’est, bien sûr, pas notre scénario central, mais il est clair qu’une récession américaine provoquerait un choc déflationniste dans la zone euro via la détérioration des exportations et le raffermissement de l’euro.

L’introduction d’une politique monétaire non conventionnelle revient, du point de vue des marchés, à lancer le chronomètre : les investisseurs attendent des résultats rapides en termes d’inflation. On ignore quand l’inflation aura suffisamment augmenté. On comprend dès lors l’accent mis par la BCE sur son aptitude à faire plus si nécessaire. Nous devons également nous féliciter de la suppression, dans un communiqué récent, du passage sur la nécessité d’aboutir à un rebond de l’inflation dès que possible. La patience, conjuguée à la détermination et à l’aptitude à agir si nécessaire, nous semble être en effet la meilleure façon d’engager une course contre la montre, dans une épreuve dont on ignore la distance.

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