BCE : une pause s’impose

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • En réponse aux événements dramatiques de cet été, la BCE devra réévaluer les perspectives d’évolution de l’activité et des prix en zone euro. Les projections du staff des économistes de la BCE devraient être revues en nette baisse en ce qui concerne la croissance pour 2012.
  • Le Conseil des Gouverneurs va probablement maintenir ses taux directeurs inchangés dans les mois qui viennent, en mentionnant des risques baissiers sur la croissance et des risques plus équilibrés sur l’inflation. Il devrait ainsi adopter un ton plus neutre lors de sa réunion du 8 septembre, en ligne avec le discours de M. Trichet devant le parlement européen cette semaine.
  • Selon nous, une baisse des taux ne serait envisagée qu’en cas de récession majeure en zone euro, faisant resurgir des risques déflationnistes.

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • En réponse aux événements dramatiques de cet été, la BCE devra réévaluer les perspectives d’évolution de l’activité et des prix en zone euro. Les projections du staff des économistes de la BCE devraient être revues en nette baisse en ce qui concerne la croissance pour 2012.
  • Le Conseil des Gouverneurs va probablement maintenir ses taux directeurs inchangés dans les mois qui viennent, en mentionnant des risques baissiers sur la croissance et des risques plus équilibrés sur l’inflation. Il devrait ainsi adopter un ton plus neutre lors de sa réunion du 8 septembre, en ligne avec le discours de M. Trichet devant le parlement européen cette semaine.
  • Selon nous, une baisse des taux ne serait envisagée qu’en cas de récession majeure en zone euro, faisant resurgir des risques déflationnistes.
  • A l’inverse, nos prévisions suggèrent des rythmes de croissance faibles, mais positifs, et un ralentissement temporaire de l’inflation sous la cible des 2% au premier semestre 2012.
  • Dans ce contexte, le principe de séparation de la BCE ne serait pas remis en cause. Les achats ciblés de titres de dette ainsi que les opérations de refinancement illimitées des banques se poursuivront probablement aussi longtemps que nécessaire, malgré l’opposition de certains membres du Conseil. De nouvelles mesures pourraient être adoptées prochainement pour remédier au problème des banques « dépendantes » au refinancement BCE.
  • Le processus de normalisation des taux pourrait reprendre fin 2012, avec un biais haussier, sous réserve d’un rebond de la croissance et d’une stabilisation des marchés de la dette souveraine.

 

Face à la dernière phase de tensions sur les marchés de la dette dans la zone euro ainsi qu‘aux inquiétudes grandissantes suscitées par le ralentissement économique, le Conseil des Gouverneurs de la BCE va être, selon nous, dans l‘obligation de modifier l‘orientation de sa politique monétaire à court terme. Le principal taux de refinancement de la BCE devrait, selon nos nouvelles prévisions, demeurer inchangé à 1,50 % au moins pendant les 12 prochains mois.

Jusqu‘ici, nous anticipions un resserrement monétaire progressif de 25 pdb par trimestre, pour atteindre 2,50% vers la mi-2012. Nous ne considérons toutefois pas ce changement comme un revirement de politique monétaire, et la BCE pourrait reprendre ce processus de normalisation par paliers de 25 pdb par trimestre au T4 2012, ce qui porterait le taux Refi à 1,75% fin 2012, avec un biais au resserrement en 2013. Pour cela, il faudra que les perspectives économiques et financières s‘améliorent en Europe comme aux Etats-Unis.

Dans l‘intervalle, toute décision relative aux mesures de politique monétaire non conventionnelle dépendra de l‘évolution de la situation dans le secteur bancaire et sur les marchés financiers de la zone euro, en particulier dans les pays périphériques solvables comme l‘Espagne et l‘Italie. En particulier, les leaders européens feront face à une série d‘échéances importantes dans les semaines à venir, tel le jugement de la Cour Constitutionnelle allemande sur les plans de sauvetage européens le 7 septembre et les étapes de mise en œuvre de l‘accord du sommet européen du 21 juillet (votes de plusieurs parlements nationaux, résolution du conflit sur la question des garanties bilatérales offertes à la Finlande dans le cadre du second plan d‘aide à la Grèce, clarification des modalités des offres d‘échange de dette de ce même plan, etc.).

Les achats de titres de dette publique périphérique vont probablement se poursuivre dans les semaines à venir, même si l‘ampleur des interventions a diminué, de 22 Mds € au total début août à « seulement » 6,6Mds € la semaine passée. Au minimum, nous pensons que la BCE devrait poursuivre sa stratégie de stabilisation des taux jusqu‘à ce que la Facilité Européenne de Stabilité Financière dans sa nouvelle formule (FESF 2.0) soit légalement autorisée à effectuer des achats sur le marché secondaire, soit début octobre au plus tôt. Le Conseil des Gouverneurs pourrait également décider de procéder à de nouvelles opérations de refinancement des banques à long terme en cas d‘accentuation des tensions sur le marché interbancaire, mais aussi d‘introduire de nouveaux outils de gestion spécifiques de cette liquidité destinés à régler le problème d‘« addiction » des banques dans les pays de la périphérie.

Si la crise de la dette souveraine s‘approfondit de nouveau jusqu‘à menacer la stabilité financière de la région dans son ensemble, deux types de réponse peuvent être envisagés : soit les responsables européens annoncent des mesures radicales et crédibles pour stopper la contagion, soit la BCE sera contrainte de poursuivre sa stratégie de prêteur en dernier (et seul) ressort pendant une période de temps plus longue qu’elle ne le souhaiterait, même si cela implique une augmentation significative de la taille de son bilan.

Le règlement de la crise de la dette souveraine dans la zone euro ou la quadrature du cercle

Cet été, la crise de la dette souveraine en zone euro s‘est propagée à l‘Espagne et à l‘Italie, mais aussi aux pays notés AAA, à en juger par l‘augmentation des primes sur les CDS. Au même moment, des rumeurs sur les risques d‘insolvabilité de grands groupes bancaires en Italie et en France sont venues s‘ajouter aux inquiétudes globales sur le ralentissement en cours de l‘économie mondiale. La décision prise le 7août par le Conseil des Gouverneurs d’intervention sur les marchés secondaires de la dette publique en Espagne et en Italie marque à l’évidence un tournant symbolique dans la stratégie de la BCE. Certes, ces interventions sont censées rester temporaires et ont été approuvées en échange de mesures d‘austérité supplémentaires, mais les risques sont tels que tout sera probablement fait pour sauvegarder la stabilité financière de la zone euro, fût-ce au prix d‘un franchissement du Rubicon par la BCE.

L’impact des nouvelles mesures annoncées par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE le 21 juillet ne doit pas être sous-estimé, selon nous. Le plan adopté devrait en effet contribuer à améliorer la situation de solvabilité des pays sous tutelle et éviter qu‘une prophétie auto-réalisatrice ne transforme une crise de liquidité en Espagne et en Italie en une crise de solvabilité (y compris dans le cadre d‘un soutien à l‘échelle de l‘UE aux États et banques « hors programme »).

Au-delà des rumeurs, il y a trois raisons principales pour lesquelles le sommet du 21 juillet n‘a pas réussi à stabiliser les marchés. Tout d‘abord, compte tenu de la nécessité d‘une ratification par les parlements nationaux, la FESF, dans sa nouvelle version élargie et plus flexible, ne sera pas opérationnelle avant le mois d‘octobre dans le meilleur des cas. Ensuite, les investisseurs craignent, à raison, que la FESF 2.0 ainsi que les autres mécanismes existants ne soient insuffisants pour venir en aide à l‘Espagne et l‘Italie dans le cas où ces deux pays n‘auraient plus accès aux marchés financiers. Enfin, et en lien avec le point précédent, le maintien de la note AAA de la France a été mis en doute après la dégradation de la signature des États-Unis et les commentaires des agences de notation, selon lesquels une extension importante de la FESF risquerait d‘affaiblir la position de l‘Hexagone. A ce stade, les achats de titres espagnols et italiens par la BCE ont permis de stabiliser les taux, mais la situation n’en demeure pas moins précaire.

De nouvelles propositions concrètes ont été formulées en vue de stabiliser la situation une fois pour toutes. De manière générale, ces propositions se classent en trois catégories :

  1. Une nouvelle extension de la taille de la FESF à 1 000 Mds €, voire au-delà, ou bien un changement dans ses statuts lui permettant de garantir des titres de dette bancaire ou encore d‘emprunter auprès de la BCE pour augmenter sa capacité d‘intervention1 ;
  2. La création d‘obligations européennes communes (« Eurobonds », obligations) ;
  3. D‘autres options radicales impliquant notamment la sortie éventuelle d‘un ou plusieurs membres de l‘UEM.

Cette dernière option est, d‘un point de vue politique, hautement improbable. Quant aux deux premières, elles ne sauraient être exclues en cas d‘aggravation des tensions à des niveaux sans précédent. Mais ni l‘une ni l‘autre ne constituent une solution miracle aux problèmes budgétaires et structurels des pays concernés, sans compter qu‘elles se heurtent pour le moment à une vive opposition au plan politique.

En dépit de ces défis historiques, la zone euro peut encore, selon nous, saisir cette opportunité pour sortir renforcée de cette crise. Les responsables de l‘UE ont adopté des décisions audacieuses (quoique tardives), et les tabous européens sont en train de tomber les uns après les autres. Des réformes structurelles et des mesures en faveur de la croissance sont mises en œuvre à un rythme plus soutenu que prévu. Malgré les résistances allemandes, il est concevable, par exemple, que l‘on obtienne à moyen terme un engagement conditionnel sur la mise en place progressive d‘Euro-obligations, et pour une part limitée de la dette souveraine (par exemple 60 % dans le bas des « Blue Bonds »2).

Risques baissiers sur la croissance mondiale et les conditions financières

La détérioration des marchés de la dette européenne n‘explique pas à elle seule le changement attendu dans l‘orientation de la politique monétaire de la BCE. Les chiffres d‘activité américains décevants et la dégradation par S&P de la note AAA des États unis, le 5 août dernier, ont aussi contribué au « flash crash » des marchés des actions ainsi qu‘au rebond de la volatilité financière. Une période prolongée d‘instabilité financière entraînerait une aggravation des risques pour l‘économie réelle par les canaux de transmission habituels de la richesse financière, des coûts de financement, de la confiance, etc. Nous avons revu à la baisse nos prévisions de croissance aux Etats-Unis et en Europe, sans pour autant prévoir de récession.

Comme nous le soutenons depuis longtemps, l‘Europe a besoin d‘exportations dynamiques pour assurer sa croissance, et donc d‘un euro plus faible. Nous tablons toujours sur un repli sensible de l‘euro en termes effectifs (contre un panier de devises), mais jusqu‘à présent, malgré les scénarios les plus pessimistes qui circulent, la devise affiche toujours une surprenante fermeté. Le fléchissement de la demande extérieure et un euro relativement fort vont probablement finir par pénaliser, avec un certain décalage, la croissance européenne, renforçant les risques à la baisse pour nos prévisions. Et si les perspectives de croissance dans les marchés émergents restent favorables, les risques semblent également orientés à la baisse.

Enfin, l‘absence de coordination des politiques monétaires au niveau mondial fait peser un risque supplémentaire sur les perspectives de la zone euro. Directement ou indirectement, de nombreuses banques centrales dans le monde s‘emploient à faire pression sur leur devise de sorte que l‘euro se retrouve de nouveau fort par défaut.

Plus d’urgence à remonter les taux

– Vers une orientation plus neutre de la politique de la BCE

Les perspectives à court terme concernant les taux de la BCE dépendront essentiellement de la rapidité avec laquelle le Conseil des Gouverneurs (CG) procèdera à une réévaluation des perspectives d‘activité réelle et de prix. On peut au minimum s’attendre à ce que la BCE n’envoie aucun signal de « forte vigilance » lors de la réunion de politique monétaire du 8 septembre, excluant ainsi de fait tout relèvement des taux en octobre. En particulier, le CG pourrait assouplir son biais au resserrement en faisant état de nouvelles incertitudes et risques à la baisse pour la croissance.

Le communiqué officiel traduira probablement une inquiétude moins vive à l‘égard des risques inflationnistes. Yves Mersch, que l‘on classe en général parmi les « faucons » de la BCE, avait déclaré il y a deux semaines que la position du CG sur ce point était encore très partagée. Cette semaine, devant le parlement européen, M. Trichet s’est montré plus explicite en notant que les risques sur l’inflation étaient «à l’étude » par le CG en attendant les nouvelles projections du staff, même si l‘inflation resterait probablement « supérieure à 2% dans les mois à venir ». Ces propos annoncent selon nous une position plus neutre (i.e., plus « dovish » que le mois dernier) lors de la réunion du 8 septembre.

Le reflux récent des prix du pétrole, quoique modéré, devrait alléger la pression sur les prix à la consommation, alors que l‘IPCH atteindra probablement un point culminant à un peu plus de 2,75 % dans les prochains mois (contre près de 3,0 % dans nos précédentes prévisions). À moyen terme, l‘inflation a toutes les chances de reculer sous les 2,0 % au premier semestre 2012, avant que l‘inflation sous-jacente et l‘inflation totale ne se redressent de nouveau et commencent à se stabiliser autour de la cible de la BCE au second semestre 2012.

– Prudence et pragmatisme de rigueur

La croissance du PIB dans la zone euro devrait ralentir encore dans les prochains trimestres pour atteindre des niveaux légèrement inférieurs à nos projections initiales déjà prudentes. Les chiffres de croissance décevants relatifs au T2 en France (inchangé sur le trimestre) et en Allemagne (+0,1 % t/t, après +1,3 % au T1) ne doivent cependant pas être exagérés car, dans un cas comme dans l‘autre, le ralentissement fait suite à un premier semestre d‘une robustesse exceptionnelle qui ne pouvait durer. Ceci étant, la plupart des indicateurs avancés suggèrent une nouvelle détérioration à venir, et nous avons revu nos prévisions en conséquence. Nous tablons désormais sur une croissance molle, inférieure à son potentiel au moins jusqu’au milieu de l’année prochaine alors que, dans nos prévisions antérieures, nous nous attendions à un retour de la croissance du PIB vers une tendance de 1,5-2 % en rythme annualisé à compter du premier trimestre 2012. En moyenne annuelle, nous prévoyons un ralentissement de la croissance en zone euro de 1,7% en 2011 à 1,1% en 2012.

L’adoption de mesures d’austérité supplémentaires est une des raisons du fléchissement économique à court terme, même si de telles mesures concernent essentiellement l’Espagne et l’Italie, soit 30% du PIB de la zone euro. Les petits pays de la périphérie continuent de mettre en œuvre les plans de réduction de leurs déficits publics, avec quelques ajustements à la marge.

En France, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures structurelles permettant de garantir le respect de l’objectif de déficit public pour 2012 (12 Mds€ au total) et qui semblent crédibles, même si les hypothèses sous-jacentes de croissance nous paraissent encore trop optimistes.

Autre source majeure d’incertitude entourant nos prévisions : le regain de tensions dans le secteur bancaire de la zone euro. Alors que nous nous attendions auparavant à un redressement progressif de la croissance du crédit bancaire, la remontée de l‘aversion pour le risque ne manquera pas d‘exercer de nouvelles pressions sur les coûts de financement des banques, la situation des fonds propres et l‘offre de crédit.

Compte tenu de tous ces risques, l‘Eurosystème et les gouvernements nationaux peuvent et doivent utiliser tous les instruments à leur disposition, sinon en créer de nouveaux, pour faire face à de nouveaux épisodes de tensions sur la liquidité. En l‘absence de détails opérationnels sur la manière dont la FESF pourrait traiter de manière préventive la question de la dette souveraine et des banques (dans les pays « hors programme »), on peut imaginer plusieurs options, dont des lignes de crédit flexibles ou des garanties pour l‘émission de la dette bancaire à long terme, par exemple.

D‘une façon générale, les perspectives de croissance à moyen terme se sont dégradées pendant l‘été. Le contexte mondial est moins favorable que prévu et de sérieux risques persistent. En Europe, les plans de rigueur budgétaire vont probablement freiner la croissance dans les années à venir dans un contexte d‘expansion modeste du PIB nominal. Le taux de chômage n‘est pas près de revenir aux niveaux antérieurs à la crise. Les écarts entre pays de la zone euro ne se combleront probablement que très progressivement. 

À l‘inverse, les risques haussiers sur la croissance semblent minimes, à l‘exception notable d‘un possible repli des prix des matières premières en deçà des niveaux actuels.

– Une pause plutôt qu’un revirement de politique monétaire

Face à tous les risques que nous venons d‘énumérer, le CG va probablement opter pour une attitude prudente avant de prendre la moindre décision sur les taux. D‘un autre côté, nous restons convaincus que la BCE restera attachée à son objectif principal de stabilité des prix et, partant, qu‘elle ne manquera pas d‘annoncer la poursuite de processus de normalisation des taux, une fois que l‘orage sera passé. Dans ces conditions, si nos prévisions sont vérifiée et si la BCE ne relève pas les taux jusqu’à l’année prochaine, il faudra plutôt y voir une pause dans le processus de normalisation qu’un revirement pur et simple de la politique monétaire.

Une baisse des taux nous semble peu probable en l’absence d’une récession majeure en zone euro entraînant une résurgence de risques de déflation. Les marges de manoeuvre à la baisse sont minimes et un geste sur les taux n‘aurait d‘autre avantage ou intérêt que de doper temporairement le sentiment de marché et d‘entraîner une dépréciation de l‘euro (ce dernier point n‘étant pas garanti compte tenu des anticipations de marché déjà très basses en termes de taux directeurs). Du point de vue du secteur bancaire, la question ne concerne pas tant le niveau des taux d‘intérêt – même si une hausse des coûts de financement ne serait pas la bienvenue dans le contexte actuel – que l‘accès à la liquidité fournie par la BCE.

D’un point de vue « fondamental », les données dures d’activité comme les indicateurs avancés restent très éloignés des niveaux compatibles avec une récession. Pour que la probabilité d‘un «double-dip» passe à 50 %, voire plus, il faudrait soit une récession aux États-Unis, soit un nouvel élément déclencheur, au niveau européen, tel qu‘une crise bancaire, un retournement de la dynamique du marché du travail (qui a commencé à se stabiliser depuis la fin 2010) ou encore un resserrement budgétaire très significatif et de grande ampleur dans les pays du « centre » de la zone euro.

Le « principe de séparation » de la BCE devrait rester d’actualité

Le principe de séparation entre les mesures non standard (soutien à la liquidité, gestion des collatéraux, programme SMP de rachat de titres) et politique monétaire conventionnelle (taux directeurs) constitue l‘ossature de la stratégie de la BCE. Ce devrait être également le cas à l‘avenir, dans le sens où un tel principe permet de justifier des mesures de soutien exceptionnel visant à restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire tout en atténuant en partie les dissensions au sein du Conseil. Malgré l’opposition de certains membres du CG, la BCE va probablement continuer à acheter des obligations d’États périphériques aussi longtemps que cela sera nécessaire, y compris une fois que la FESF 2.0 sera opérationnelle, si la taille de cette dernière paraît trop modeste. La seule limite à l‘importance des interventions de la BCE n‘est autre que sa propre volonté d‘acheter des titres et la nécessité de stériliser les achats dans le cadre du programme SMP.

 – Une situation moins confortable, mais pas insurmontable

Le fait que la BCE achète davantage d‘obligations d‘État n‘interdit pas en soi un resserrement monétaire. La décision de fournir aux banques des liquidités en quantités illimitées et à des conditions favorables ainsi que de procéder à une adjudication supplémentaire à six mois (comme en 2010) montre que la BCE a su conserver suffisamment de souplesse pour relever les taux directeurs et assouplir en même temps les conditions de liquidité, si nécessaire.

Le principe de la séparation a cependant ses limites. Ainsi, suite à sa décision d‘intervenir sur le marché obligataire secondaire de grands pays comme l‘Espagne (467 Mds € de dette publique négociable en circulation) et l‘Italie (1 600 Mds €), la BCE aurait nettement plus de mal à justifier une hausse des taux courts au moment où elle s’emploie à stabiliser les taux longs pour une part grandissante du marché de la dette de la zone euro. 

Par ailleurs, les inquiétudes des investisseurs à l’égard du risque de crédit au bilan de l’Eurosystème vont probablement se renforcer. Là encore, il convient de ne pas se tromper sur les capacités réelles d‘absorption des pertes de l‘Eurosystème. Au-delà de ses fonds propres (10Mds€) et de ses réserves (81,5Mds€), la BCE peut toujours, à l‘instar des autres banques centrales, en dernier ressort, créer de la monnaie ex nihilo pour financer ses interventions. Sur la base d‘hypothèses raisonnables concernant l‘inflation et les taux d‘intérêt à long terme, la BCE aurait selon certains une capacité d‘absorption des pertes supérieure à 3 000 Mds € si nécessaire.

– Dissensions au sein du Conseil des Gouverneurs – E pluribus unum

Quatre membres du CG sur vingt-trois se seraient opposés à la décision de relancer le programme SMP de rachat de titres. Bien qu‘une telle situation soit inconfortable en termes de communication, elle n‘est pas non plus insurmontable. Dès lors que la stabilité financière de la région est en jeu, le CG finira probablement par réunir un consensus sur les décisions de politique monétaire avec une écrasante majorité‘ faute d‘unanimité. Le risque est faible, selon nous, qu’un membre du Conseil soit à ce point en désaccord avec cette mesure qu’il menace de démissionner. Cette absence de cohésion ne va pas néanmoins contribuer à améliorer le sentiment du marché à l‘égard des institutions de l‘UE.

NOTES

  1. Sur ces points, voir notamment ―What to do when the euro crisis reaches the core‖ (Daniel Gros and Thomas Mayer, août 2011).
  2. Voir ―The Blue Bond proposal‖ (Jacques Delpa et Jakob von Weiszsäcker, mai 2010).

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole