Belgique : les conséquences économiques des élections fédérales

par Steven Vanneste, économiste chez BNP Paribas Fortis, et Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

  • Les élections en Belgique consacrent la victoire de deux partis : le parti nationaliste flamand, la NVA (Nouvelle Alliance flamande) dans le nord néerlandophone, et le Parti socialiste (PS) dans le sud francophone. Une coalition englobant les deux partis a les plus grandes chances de succès.
  • La nouvelle coalition aura plusieurs défis importants à relever : elle devra non seulement remédier à la crise constitutionnelle que connaît la Belgique, mais aussi améliorer les conditions économiques et redresser les finances publiques.
  • Compte tenu de l’orientation probablement socialiste du prochain gouvernement, les efforts d’économies budgétaires seront davantage axés sur la hausse des impôts que sur la baisse des dépenses.

 

Les élections anticipées du 13 juin en Belgique ont fait suite à la chute du gouvernement fédéral, après plusieurs tentatives visant à remédier au différend concernant les droits des francophones dans les municipalités flamandes autour de Bruxelles, la fameuse pomme de discorde du BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde)1.

Deux vainqueurs sont sortis du scrutin : la NVA, parti nationaliste flamand du nord néerlandophone et le PS dans le sud francophone (Tableau). La NVA est désormais la principale formation politique au Parlement fédéral avec 27 sièges sur 150.

Les socialistes constituent, quant à eux, la plus grande famille politique avec 39 sièges (26 pour le PS francophone et 13 pour le SP.A néerlandophone). Les négociations n’iront pas de soi car les deux vainqueurs ne sont pas d’accord sur la politique économique (droite contre gauche) ni sur la réforme de l’Etat (plus d’indépendance pour les régions en contrepartie du maintien de l’Etat fédéral).

Certes, plusieurs coalitions seraient envisageables, mais celle qui aurait le plus de chances de succès regrouperait la NVA, le CD&V et le SP.A néerlandophones ainsi que le PS, le CDH et les écologistes francophones car ils sont déjà aux affaires au niveau régional. On aurait donc un “gouvernement miroir ”, le niveau fédéral reproduisant les coalitions régionales.

L’option du gouvernement miroir présente l’avantage qu’elle pourrait faciliter un compromis : elle réunirait une majorité des deux tiers, nécessaire à une réforme de l’Etat et elle diminue l’éventualité de conflits d’intérêts, les mêmes partis étant au pouvoir au niveau régional comme fédéral.

Une sortie difficile de la récession la plus profonde depuis la Seconde Guerre mondiale

La détérioration de l’économie n’a pas été l’un des principaux thèmes de la campagne électorale, essentiellement centrée sur la réforme de la constitution. Mais la prochaine coalition devra, outre la résolution de la crise constitutionnelle, œuvrer à améliorer les conditions économiques, d’une part, et à redresser les finances publiques, d’autre part.

A l’instar des autres pays développés, la Belgique n’a pas été épargnée par la crise financière et économique. Sa croissance économique a fortement ralenti, en particulier après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, le PIB s’est contracté de 4,1 %. La crise a été particulièrement sévère dans le secteur manufacturier. La production industrielle a baissé de près de 18 % sur la période même si ce recul n’est pas pire que dans les pays voisins. Entre le pic et le creux du cycle, le PIB a reculé de 6,7 % en Allemagne et de 5,2 % en Belgique. Seule la France sort du lot avec une perte de production de 3,4 %.

Grâce à des mesures d’assouplissement monétaire et budgétaire sans précédent partout dans le monde, l’économie mondiale s’est redressée au second semestre 2009. L’économie belge étant ouverte (les exportations représentent près de 80 % du PIB), le rebond des échanges mondiaux a été le principal moteur de la reprise en Belgique. Entre le deuxième trimestre 2009 (le creux du cycle) et le premier trimestre 2010, l’activité économique globale a progressé d’un peu plus de 1 %, plus que dans la zone euro, mais moins qu’en Allemagne. Cependant, la récession dans ce pays était aussi beaucoup plus profonde (graphique).

La détérioration des conditions sur le marché du travail a été moins forte que ce qu’on aurait pu craindre compte tenu de la baisse notable de la production. Plus que dans tout autre pays de l’OCDE, des programmes de réduction du temps de travail ont été mis en place pour limiter les pertes d’emploi. Selon les estimations de l’OCDE, dans le cas de la Belgique, ces mesures auraient permis d’enrayer les destructions d’emplois permanents à hauteur de 1,3 % à l’automne 2009. En avril, le taux de chômage global s’établissait à 8,2 %, soit à peine 1,2 % de plus qu’au début de 2009. Mais ce total occulte de grosses différences entre les trois régions. En Flandre, le chômage n’était que de 4,8 %, contre 12 % en Wallonie et 16.5 % dans la région de Bruxelles (définition nationale, T4 2009, cf.graphique 2) 2

Face à la crise financière et économique, le gouvernement fédéral belge de même que les gouvernements régionaux ont mis en place des mesures draconiennes. En septembre et en octobre 2008, le gouvernement a dû intervenir dans le secteur financier pour restaurer la confiance et doper la liquidité.

Les trois grandes banques, qui étaient exposées internationalement, ont du être recapitalisées et ont bénéficié des garanties d'emprunt. Ce plan de sauvetage a entraîné une hausse du ratio de dette / PIB d’environ 7 points. Cependant, ceci ne représente pas seulement une hausse du passif car en échange des actifs financiers ont été reçus. De plus, le Gouvernement fédéral et les gouvernements régionaux ont adopté des plans de relance pour un montant de 1,5% du PIB. En combinaison avec les effets des stabilisateurs automatiques, le déficit public est passé de 1,2% du PIB en 2008 à 5,9% de 2009 (cf. graphiques 3). Bien que la crise économique soit à l’origine du dérapage du déficit, il ne disparaîtra pas avec la reprise. Les enjeux structuraux, en particulier le vieillissement de la population, maintiendront le budget en déficit pendant les prochaines années.

La réduction du déficit et de la dette publique va constituer le principal défi à relever dans les années à venir.

Objectif : 22 MdEUR d’économies

Conformément au Pacte de stabilité et de croissance, le gouvernement sortant s’est engagé à réduire le déficit budgétaire de 5,9 % en 2009 à 3 % à l’horizon 2012. Un tel engagement implique une réduction du solde budgétaire structurel corrigé de l’effet du cycle de 2,4 %. D’ici à 2015, le budget devrait être à l’équilibre. Pour atteindre cet objectif, le Bureau du Plan fédéral a récemment calculé que le gouvernement devrait progressivement réaliser 22 MdEUR d’économies, soit environ 5 % du PIB, niveau que le déficit atteindrait certeris paribus. Tous les partis politiques ou presque admettent la nécessité d’un assainissement des finances publiques. En d’autres termes, quelle que soit la coalition, cet objectif ne devrait pas être remis en question.

Cependant, si la question de l’assainissement budgétaire a occupé une place de plus en plus grande lors de la dernière campagne dans les régions néerlandophones du pays, elle est restée quasiment absente du débat ailleurs. Les divers partis politiques sont en fait restés assez vagues sur les mesures à prendre pour atteindre ces objectifs budgétaires, se contentant de formuler des principes généraux sur les mesures à mettre en œuvre, mais sans trop s’attarder sur leur impact éventuel au plan budgétaire. Lorsqu’ils abordent la question de la réforme fiscale ou de l’introduction d’un impôt sur la fortune, ils ne s’aventurent jamais dans les détails, de sorte que nous ne pouvons que faire des hypothèses d’ordre général sur les mesures qui seront probablement prises.

Au sein d’un ‘gouvernement miroir’, les partis de gauche auront la majorité dans la coalition de sorte que le plan d’austérité sera plus orienté vers une hausse des impôts que vers une baisse des dépenses.

Fiscalité

– S’achemine-t-on vers une réforme de la fiscalité ? La structure fiscale belge est essentiellement centrée sur la taxation des salaires. En 2008, cet impôt a en effet représenté environ 55 % de l’ensemble des recettes fiscales. Les partis politiques sont, dans leur grande majorité, pour une réorientation de la fiscalité en faveur d’autres sources comme les taxes sur les transactions financières, sur la consommation, sur le patrimoine ou sur les activités polluantes.

La baisse de l’impôt sur le revenu serait la bienvenue, car des taux d’imposition élevés n’encouragent pas le retour à l’emploi.

Cependant, compte tenu des défis à relever au plan budgétaire, des réductions d’impôts semblent peu probables. De plus, les effets positifs sur l’emploi, générés par un abaissement des coûts salariaux, seront probablement limités dans le contexte économique actuel. On peut néanmoins s’attendre à l’adoption de quelques mesures préparatoires en vue de l’introduction d’une réforme ultérieurement. 

– Augmentation des impôts

Les impôts actuels vont très certainement augmenter et d’autres vont être créés. L’introduction d’une taxe sur les plus-values, défendue par les partis de gauche, semble être l’option la plus probable. Selon une hypothèse optimiste du Parti flamand Groen!, cet impôt pourrait générer jusqu’à 7,5 MdEUR de recettes supplémentaires pour les quatre prochaines années. La droite, notamment en Flandre, y est en revanche opposée au motif qu’une telle taxe entraînerait une fuite des capitaux à l’étranger tandis que la charge de l’impôt serait supportée en fin de compte par les classes moyennes. Les autres propositions vont dans le même sens, à savoir la hausse de l’imposition des hauts revenus et du patrimoine. On peut également s’attendre à une fiscalité plus favorable au respect de l’environnement ou « plus verte », avec des propositions telles que la hausse des taxes sur le carburant et l’introduction d’un système de péage sur les autoroutes.

– Impôt sur les sociétés

Le débat en la matière porte essentiellement sur le système d’intérêts notionnels. Ce système, propre à la Belgique, autorise les sociétés à déduire les intérêts (notionnels) versés au titre d’investissements financés sur fonds propres. Si aucun parti ne souhaite abolir ce régime fiscal favorable aux entreprises, tous préconisent un usage plus restreint du dispositif. La gauche souhaite le rendre conditionnel aux créations d’emplois tandis que la droite flamande entend exercer un contrôle plus strict sur son usage frauduleux

– Taxation de certains secteurs

Comme lors de la préparation du budget 2010, le secteur bancaire et celui de l’énergie seront probablement ‘appelés’, de nouveau, à procéder à une contribution spéciale. Il existe à cet égard un consensus entre les partis de droite et de gauche. Le secteur bancaire ne serait pas autorisé à bénéficier du système des intérêts notionnels (voir ci-dessus) alors que celui de l’énergie sera probablement plus lourdement taxé pour compenser l’allongement de la durée de vie des installations nucléaires.

– Fraude fiscale

L’Etat pourrait également accroître ses recettes en renforçant la lutte contre l’évasion fiscale. Ces mesures permettraient de faire rentrer dans les caisses 3 MdEUR supplémentaires, d’après le Partie flamand des Verts, voire 5 MdEUR, selon les estimations plus optimistes des socialistes francophones.

Dépenses

– Coûts liés au vieillissement de la population

Sur le plan des dépenses, d’importantes mesures devront également être prises ne serait-ce qu’en matière de sécurité sociale. A l’instar de tous les pays développés, la Belgique est confrontée au défi du financement des retraites de la génération du baby-boom. En pourcentage du PIB, le coût budgétaire du vieillissement de la population augmente les dépenses de 3 % entre 2008 et 2014 et de 5 % de plus entre 2014 et 2060 (cf graphique 4). Ces chiffres montrent à l’évidence la nécessité de procéder rapidement à de sérieux ajustements budgétaires, en particulier dans le domaine de la santé qui à elle seule représente près de la moitié de l’augmentation de 3%. Cette hausse est principalement imputable à la politique actuelle qui autorise une augmentation annuelle du coût des soins de santé de 4,5 % en termes réels. Tous les partis de droite, y compris le Parti flamand des Verts, souhaitent une révision à la baisse de cette « norme de croissance ». Certains proposent un taux de 2 %, d’autres suggèrent l’indexer sur la croissance économique. Les socialistes flamands estiment que des économies peuvent être réalisées mais ils ne veulent pas entendre parler d’une baisse de la progression des dépenses de santé. Les partis francophones de gauche sont carrément opposés à toute remise en cause de la norme de croissance. De plus, tous les partis de gauche proposent un relèvement de la minimum vieillesse. La réforme des soins de santé et des retraites constitue certainement l’une des principales pierres d’achoppement pour la conclusion d’un accord.

– Age de départ à la retraite et plans de retraite anticipée

Face au vieillissement de la population et à ses conséquences à moyen et long terme, chacun s’accorde à reconnaître qu’il faudra travailler plus longtemps. Aucun parti politique n’a cependant proposé de retarder l’âge légal de départ à la retraite, actuellement fixé à 65 ans. Tous entendent au contraire aligner l’âge de départ effectif, qui est actuellement de 58 ans pour les femmes et de 60 ans pour les hommes, sur l’âge légal.

L’essentiel du débat a donc porté sur la limitation du recours au départ anticipé, dont le maintien est souhaité par la plupart des partis en cas de restructuration d’entreprise.

– Réduction des dépenses de la fonction publique

Autre cible d’économies potentielles : les coûts de fonctionnement de l’Etat. Les partis sont, pour la plupart, favorables à un remplacement sélectif des fonctionnaires partant à la retraite. Seuls, CD&V et Open VLD ont proposé d’éventuelles baisses de salaires dans la fonction publique. La NVA préconise, de son côté, une réduction des dépenses par le biais de la réforme de l’Etat.

– Indemnités de chômage

Les partis flamands de droite souhaitent, à terme, limiter les indemnités de chômage. Quant aux partis de gauche, ils y sont totalement opposés et privilégient au contraire le renforcement des mesures en faveur du marché de l’emploi comme celle visant à améliorer la qualité de l’enseignement et des formations.

Perspectives

L’économie belge devrait croître d’un peu moins de 1,5 % en 2010 et 2011 à la faveur du rebond de la croissance mondiale.

De plus, sous l’effet conjugué d’une meilleure tenue du marché de l’emploi et d’un endettement relativement faible, les ménages belges devraient être plus enclins à consommer dans l’environnement actuel de taux d’intérêt bas. Cependant, l’assainissement budgétaire en Belgique et dans les autres pays européens va probablement constituer un frein pour la croissance dans les années à venir.

Les risques internes pesant sur la croissance sont principalement liés à la rapidité avec laquelle les partis politiques vont pouvoir se mettre d’accord pour diriger le pays. Tant qu’un nouveau gouvernement n’aura pas été formé, aucune nouvelle mesure ne pourra être adoptée pour tenir les engagements pris en matière d’assainissement budgétaire et l’introduction des réformes structurelles indispensables sera différée d’autant. De quoi entraîner une aggravation des incertitudes relatives aux finances publiques et un élargissement du spread entre les obligations belges et allemandes. Rappelons qu’après les élections de 2007, il avait fallu 194 jours pour former un gouvernement fédéral.

L’autre risque est celui lié à la dissolution de l’Etat fédéral. Mais il est probablement plus faible qu’on a pu le craindre. Comme nous l’indiquions dans un article précédent3, les tensions entre les deux communautés ne sont pas nouvelles, et, comme dans le passé, elles pourront se régler par l’introduction d’une réforme de l’Etat, se traduisant par une nouvelle série d’accords de partage du pouvoir entre les différentes strates politiques du pays. Les partis nationalistes flamands se sont montrés, par le passé, disposés à faire des concessions en échange d’un meilleur fonctionnement des institutions.

La nouvelle coalition sera probablement de tendance socialiste de sorte que les efforts d’économies budgétaires seront davantage orientés vers la hausse de la fiscalité que vers la baisse des dépenses publiques.

NOTES

  1. Voir Steven Vanneste, “Belgique: chute du gouvernement fédéral,”, BNP Paribas EcoWeek, 30 avril 2010.
  2. Cf. Raymond Van der Putten, «Belgique : dissensions», BNP Paribas, EcoWeek 7 décembre 2007.
  3. Voir Steven Vanneste, “Belgique: chute du gouvernement fédéral,”, BNP Paribas EcoWeek, 30 avril 2010.

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