Ben Bernanke ne change pas de ligne

par Jean-Marc Lucas, économiste chez BNP Paribas

L’audition semestrielle de Ben Bernanke devant le Congrès n’a pas signalé de modification notable du jugement du président de la Réserve fédérale. En substance, Ben Bernanke reconnaît que la reprise se développe correctement, que les risques négatifs ont diminué, mais rappelle l’absence d’amélioration majeure sur le front de l’emploi. Au sujet des prix, Ben Bernanke s’est voulu rassurant, indiquant que : (a) la hausse du prix des matières premières n’aurait probablement que des effets temporaires ou modestes sur l’inflation (citant notamment le poids limité des inputs dans les coûts de production, la stabilité des anticipations d’inflation et la stabilité des coûts salariaux) ; (b) la Réserve fédérale surveillait ces évolutions de près et ne laisserait pas une éventuelle spirale inflationniste se mettre en place. 

Par ailleurs, Ben Bernanke a souligné que la hausse du prix des matières premières était visible quelle que soit la devise considérée, sous-entendant ainsi que la faiblesse du dollar (et donc la politique monétaire extrêmement accommodante de la Réserve fédérale) n’en était pas responsable. Le jour de l’audition de Ben Bernanke au Sénat, les rendements des titres du Trésor à 10 ans se sont repliés, de 3,48% au plus haut de la séance à 3,40%.

De fait, les propos de Ben Bernanke n’annoncent pas de durcissement de la politique monétaire. Si certains membres du Comité de politique monétaire (FOMC) semblent de plus en plus réservés au sujet de l’assouplissement quantitatif en cours (« QE2 »), le président de la Réserve fédérale continue de juger le programme d’achat de titres justifié. La ligne de Ben Bernanke étant en grande partie dépendante de la faiblesse persistante du marché du travail, les chiffres de l’emploi auront une importance toute particulière dans les tout prochains mois.

Le dernier « Beige Book » de la Réserve fédérale, qui synthétise les informations reçues par la banque centrale entre le début janvier et la mi-février, indique une poursuite de la progression de l’activité à un rythme « modeste » à « modéré ». Le secteur le plus dynamique reste l’industrie manufacturière. Les ventes au détail et l’activité dans les services non financiers sont aussi en hausse, bien que moins fortement. Certains progrès sont également notés en ce qui concerne le marché immobilier (notamment sur le segment commercial), même si les niveaux d’activité y restent très bas. Une amélioration « modeste » du marché du travail est indiquée, les recrutements permanents devenant, en particulier, plus fréquents dans plusieurs districts. En ce qui concerne les coûts de production, une dichotomie se dessine : d’un côté, les coûts salariaux restent faibles ; de l’autre, le coût des inputs s’accroît. Certains industriels et, dans une moindre mesure, des détaillants indiquent répercuter la hausse des coûts sur leur prix de vente.

Les enquêtes auprès des entreprises continuent de suggérer un renforcement de l’activité. L’indice PMI, portant sur le secteur manufacturier, a progressé pour le septième mois consécutif en février, de 60,8 à 61,4 – le niveau le plus élevé depuis 2004.

L’indice NMI, traitant du reste de l’économie, s’est aussi légèrement renforcé, pour le sixième mois de suite, de 59,4 à 59,7 – un plus haut depuis 2005. Si le secteur manufacturier continue de jouer un rôle moteur dans la phase d’expansion en cours, le secteur non manufacturier ne fait plus figure de parent pauvre. Dans les deux cas, les indices d’activité et d’emploi progressent, tandis que les indices de prix payés atteignent leurs plus hauts niveaux depuis 2008, traduisant la hausse des prix des matières premières.

Selon l’enquête du Bureau of Labor Statistics (BLS) auprès des entreprises, 192 000 emplois non agricoles ont été créés en février (la progression la plus marquée depuis mai dernier). Sans surprise, la hausse des effectifs a été concentrée dans le secteur privé (+222 000), tandis que les effectifs publics locaux continuaient de diminuer (-30 000). La hausse moyenne des effectifs sur les trois derniers mois s’établit à 136 000, un niveau à peu près suffisant pour stabiliser le taux de chômage à moyen terme. Alors que les données de janvier avaient été affectées par les mauvaises conditions climatiques, celles de février ont probablement bénéficié d’un certain rattrapage. En particulier, le secteur de la construction a créé 33 000 emplois, après en avoir détruit 22 000 le mois précédent. L’enquête du BLS auprès des ménages a, de son côté, indiqué une troisième baisse consécutive du taux de chômage, de 9,0% à 8,9%.

Cette évolution positive n’a, cette fois, pas été favorisée par une diminution de la population active, comme c’était le cas les mois précédents. Après avoir augmenté à un rythme rapide en janvier, les salaires horaires n’ont pas varié en février, leur hausse en glissement annuel passant de 1,9% à 17%. Même si le taux de chômage a commencé à diminuer, il est encore trop tôt pour voir la hausse des salaires se redresser. Au vu de la franche amélioration des données d’activité au cours des derniers mois, les conditions sur le marché du travail devraient continuer à se renforcer dans un avenir proche.

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