par Sylvain Bellefontaine, économiste chez BNP Paribas
• Le Brésil traverse la pire récession économique de son histoire moderne.
• L’issue de la crise passe d’abord par un changement politique qui serait un premier signal positif pour stabiliser l’économie.
• Dans un second temps, des réformes structurelles doivent être annoncées pour redonner une crédibilité à la politique économique, surtout budgétaire, et consolider la confiance et le potentiel de croissance à moyen terme.
Bientôt l’épilogue de la telenovela politique ?
La crise politique qui secoue le Brésil depuis fin 2014 a connu son paroxysme en mars 2016. D’investigations judiciaires en révélations, l’opération Lava-Jato (« nettoyage express ») a abouti à la mise en cause directe de l’ex-président Lula. Dimanche 13 mars, le Brésil a connu la plus grande manifestation populaire de son histoire (environ 3,5 millions de personnes). Dans la foulée, Lula était nommé Chef de la Maison civile (équivalent de Premier ministre) afin, officiellement, de ressouder la coalition, rassurer les marchés et améliorer la gouvernabilité du pays, mais surtout bénéficier d’une impunité et éviter la destitution de la présidente Dilma Rousseff (PT). Cette nomination demeure suspendue à l’entérinement ou non, par la Cour suprême, de son invalidation décidée par un juge le 17 mars. Le 28 mars, le juge Moro, en charge de l’instruction du scandale Petrobras, a envoyé à cette même Cour suprême des documents trouvés au siège de l’entreprise Odebrecht mettant en cause plus de 200 hommes politiques. Accusée par ailleurs d’irrégularités dans ses comptes de la campagne présidentielle de 2014 et de mauvaise gestion des finances publiques (Pedaladas), l’étau de l’impeachment se resserre sur la présidente Rousseff. Le PMDB, principal allié du PT, vient de claquer la porte de la coalition. Exaspérés, 68% des Brésiliens sont désormais favorables à la destitution dont la procédure officiellement lancée à la Chambre des députés pourrait être conclue au Sénat en juin.
En cas de validation de la requête en destitution par le Congrès, le vice-président Temer (PMDB) serait constitutionnellement enjoint d’assurer transitoirement la présidence jusqu’aux élections de 2018. Des tractations seraient actuellement à l’œuvre pour forger une nouvelle alliance avec le principal parti d’opposition PSDB, et s’entendre sur un agenda de réformes autour du programme « Pont vers le futur » du PMDB. Toutefois, la fragmentation du paysage politique (23 partis au Parlement dont une douzaine au sein de l’actuelle coalition) n’assurerait en rien la restauration de la gouvernabilité du pays à court terme.
Dilemme de politique économique : endiguer la dégradation budgétaire avant l’inflation
La crédibilité de la Banque centrale (BCB) souffre de l’envolée de l’inflation (9,4% pour l’IPCA et 7,3% pour l’inflation sous-jacente en mars 2016) en lien avec la dépréciation du real mais aussi la décision gouvernementale d’augmenter fortement certains prix administrés (25% du panier de l’IPC). Certains membres du Board de la BCB prônent une nouvelle hausse du taux selic (14,25%) susceptible d’ancrer à la baisse les anticipations d’inflation. Mais le statu quo est plus probable, compte tenu du large output gap, de la lenteur attendue de la normalisation de la politique monétaire américaine et de la forte hausse de la charge d’intérêts sur la dette publique (plus de 8% du PIB). L’inflation ne devrait converger que très lentement vers la cible de la BCB (4,5% +/-2 pp depuis 2006 et 4,5% +/-1,5 pp en 2017) dans les prochains trimestres.
Statutairement non indépendante, la politique monétaire a été relativement autonome au cours des dernières années (excepté en 2012). Toutefois, la détérioration inquiétante des finances publiques contraint de facto l’action de la BCB dont l’objectif de ciblage de l’inflation peut être préjudiciable à la solvabilité budgétaire (débat sur la fiscal dominance) ; la modération des taux d’intérêt et une inflation élevée lui étant favorables. Compte tenu du blocage des réformes par le Congrès et des contraintes structurelles et conjoncturelles pesant sur les comptes publics, le déficit primaire a atteint 1,9% du PIB en 2015, le déficit global 10,3% du PIB et la dette publique a augmenté de plus de 7 points de PIB en un an. Face aux rumeurs de nouveau programme de relance par la demande, de remplacement du Board de la BCB, voire de tentation d’utiliser une partie des importantes réserves de change pour rembourser la dette publique, le nouveau ministre des Finances Barbosa s’est efforcé de rassurer les marchés. Mais les mesures annoncées fin mars (fixation d’une limite aux dépenses primaires, rééchelonnement de la dette des collectivités locales vis-à-vis de l’Etat fédéral, création d’un régime spécial pour dépenses imprévues, possibilité pour les banques commerciales de déposer leurs liquidités volontairement auprès de la BCB afin de réduire les opérations de repo, qui alourdissent de facto le poids de la dette publique), apparaissent insuffisantes voire sujettes à caution.
Reprise économique : une fusée à deux étages encore bloquée sur le pas de tir
L’année 2015 s’est achevée sur un repli du PIB réel de 3,8%, après +0,1% en 2014. Le scandale Petrobras et la crise politique y ont largement contribué, en plus des contraintes structurelles et de l’environnement international. Sapée par une chute de 14% de l’investissement (dont 70% imputables au seul Lava-Jato selon Bradesco) et de 4% de la consommation des ménages, la contribution de la demande interne a été fortement négative. Celle du commerce extérieur net a été soutenue par l’effondrement des importations (-14%) et la bonne tenue des exportations (+6%) aidées par la forte dépréciation du real (-33% face au dollar US). Côté offre, la production industrielle a de nouveau reculé de 6% en 2015, le secteur automobile affichant par exemple 70% de surcapacités, et la résistance du secteur des services a finalement cédé (-3%). La production agricole a crû de 1,5%.
L’acquis de croissance pour 2016 ressort à -2,2%. Nous maintenons donc nos prévisions de croissance de -4,0% en 2016 et 0% en 2017. Depuis le début du XXe siècle, le Brésil a connu deux années successives de contraction du PIB réel uniquement lors de la Grande dépression des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. Mais l’ampleur de l’épisode récessif en cours est inédite avec une chute cumulée attendue du PIB de l’ordre de 10% entre mi-2014 et début 2017. Aux facteurs négatifs déjà évoqués précédemment (cf. Eco Perspectives de janvier 2016) s’ajoute la crise sanitaire liée au virus Zika. Si toujours rien ne présage d’un retour de la croissance à court terme, nous affichons un biais légèrement positif sur nos prévisions de croissance en fonction d’éventuelles évolutions favorables sur le front politique. En effet, les marchés ont réagi positivement aux récentes turpitudes gouvernementales. Même si l’incertitude politique devrait continuer de peser sur la confiance des ménages et des investisseurs à court terme, un changement à la tête du pays serait susceptible de rompre l’inertie et les blocages politiques ainsi que l’attentisme des agents économiques des derniers mois. Ce signal positif constituerait le premier étage de la fusée : une stabilisation puis une lente reprise de la consommation et de l’investissement.
Ensuite, seul un programme de réformes structurelles d’envergure pourrait lancer le deuxième étage de la fusée : redonner une crédibilité à la politique économique, surtout budgétaire, et consolider la confiance et le potentiel de croissance à moyen terme. Celui-ci a chuté d’environ 2,5% en 2014 à moins de 1% désormais, notamment sous l’effet de la chute du taux d’investissement (structurellement faible) à 18% du PIB. Il faut se souvenir qu’au début des années 1990, la mise en place du plan Real avait pris trois années.
Parmi les mesures primordiales à mettre en place, citons l’établissement d’un plafond inter-temporel et structurel à la croissance des dépenses publiques et d’un objectif strict de solde primaire afin de rétablir la crédibilité de la politique budgétaire. Ceci doit s’accompagner d’une refonte et d’une simplification de la fiscalité (il existe 66 taxes différentes dont la refonte nécessite généralement l’accord des 27 Etats) et de la création d’un fonds de péréquation entre Etats pour atténuer la guerre fiscale que ces derniers se livrent. La désindexation de l’économie est aussi cruciale, les dépenses sociales et les salaires étant indexés sur les prix (depuis Lula I) à l’origine d’une spirale salaires/prix et donc d’une forte rigidité de l’inflation (notamment dans les services). Les pressions structurelles sur les salaires dans l’industrie sont aussi liées au manque de main-d’œuvre qualifiée requérant des efforts conséquents en matière d’éducation, de formation et de flexibilisation du marché du travail. Une réforme du système de pensions passant par une augmentation de l’âge légal de départ en retraite apparaît nécessaire, sachant que la population de plus de 60 ans augmente de 4,2% par an. L’ouverture de l’économie (ouverture du secteur énergétique, privatisations, concessions dans les infrastructures) est aussi inéluctable afin d’attirer les investisseurs capables de se substituer à l’Etat et de concurrencer les entreprises locales afin d’optimiser le potentiel important du pays. Enfin, sur le plan institutionnel, une réforme améliorant la gouvernabilité par une consolidation du paysage politique (ex.: instauration d’un seuil de représentativité aux élections) serait souhaitable.
Le Brésil bénéficie d’atouts majeurs devant servir de socle à son développement futur: un marché domestique important, des ressources naturelles et un potentiel agricole immenses, une démocratie jeune mais bien ancrée, et des institutions perfectibles mais stables (séparation des pouvoirs, indépendance de la justice).