Brésil : un ralentissement plus marqué que prévu

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Le conflit d’objectifs auquel sont confrontées les autorités est devenu de plus en plus prégnant ces dernières semaines. En effet, d’un côté, les statistiques conjoncturelles suggèrent un ralentissement marqué de l’économie avec notamment le passage en territoire négatif de la production industrielle en avril (-0,1% en glissement annuel), de l’autre, l’inflation continue de caracoler autour de la borne supérieure (6,5%) de la fourchette définie par la banque centrale (+/- 2 de 4,5%).

Si après une croissance très forte en 2010 (7,6%), sensiblement supérieure au potentiel de l’économie (4,5%), un ralentissement vers des rythmes de croissance plus soutenables ne semble pas déraisonnable et est même souhaitable, le risque d’un atterrissage plus brutal de l’économie brésilienne n’est pas exclu. En effet, le policy-mix brésilien est devenu restrictif avec la réduction du déficit public accompagnée du resserrement de la politique monétaire. Le taux SELIC a été augmenté de 200pb à 10,75% en 2010 puis à nouveau de 125pb à 12% depuis le début de l’année 2011. Le taux d’intérêt réel (à court-terme) est donc largement positif (environ 5,5%) constituant un frein à la progression de l’investissement qui est pourtant nécessaire au développement du pays. 

Par ailleurs, le mouvement de hausse des taux a accentué les entrées de capitaux et en corollaire renforcé les pressions à l’appréciation du taux de change du real. Ce dernier s’est sensiblement apprécié depuis la fin de l’été 2010 (environ 10% contre dollar) dégradant la compétitivité de l’économie. Les autorités ont bien tenté de décourager ces entrées via différentes mesures de contrôles des capitaux mais elles n’ont réussi qu’à stabiliser le real dans une fourchette de 1,55 et 1,60.

La banque centrale est donc confrontée aux choix suivants :

  • Continuer à resserrer la politique monétaire pour lutter contre les pressions inflationnistes au risque de voir sa croissance ralentir trop fortement via l’ajustement à la baisse de la demande privée qu’impliquerait la poursuite de la hausse des taux d’intérêt réels et la baisse des exportations provoquée par l’appréciation du taux de change.
  • Essayer d’éviter un atterrissage brutal de l’économie en maintenant le taux directeur à son niveau actuel, voire en le baissant, au risque que l’inflation reste trop élevée. Par ailleurs, le maintien de la compétitivité est primordial pour l’économie brésilienne qui doit éviter à tout prix une primarisation de son économie, en d’autres termes, d’être trop tournée vers le secteur primaire (agriculture/matières premières) en raison de l’abondance de ses ressources naturelles.

Le Brésil a en effet besoin de continuer à développer son industrie pour maintenir une croissance suffisante à moyen terme. Or le real se trouve actuellement à la limite du niveau supportable (1,58).

Certains facteurs pourraient toutefois permettre au Brésil d’éviter un atterrissage brutal de son économie et alléger les pressions auxquelles il est actuellement confronté.

  • D’une part, le tassement du prix des matières premières se poursuivant en deuxième partie d’année permettrait à l’inflation de revenir vers le centre de la cible de la banque centrale en 2012 (vers 4,5%). D’ailleurs les derniers chiffres montrent le début du retournement de l’inflation à la baisse (6,2% en juin après 6,6% en mai).
  • D’autre part, la moindre progression des liquidités mondiales liée à la fin du Quantitative Easing 21 (QE2) en juin devrait également atténuer les pressions à l’appréciation du taux de change des pays émergents et en particulier du Brésil.
  • Enfin, même si le taux de chômage a progressé depuis son point bas de fin 2010 à 5,3% et atteignait 6,4% en mai, il reste à de faibles niveaux historiques. Les ménages bénéficient encore d’une hausse de leurs salaires réels d’environ 5% ce qui plaide en faveur d’un ralentissement modéré de la consommation.

Au total, le Brésil se trouve actuellement dans une phase de ralentissement marqué de son économie qui pourrait enregistrer une croissance de 3,8% en 2011, divisée par deux par rapport à celle de 2010. Rappelons toutefois qu’un tel rythme de croissance n’était pas soutenable à moyen terme et était générateur de tensions inflationnistes domestiques. Le ralentissement de la demande intérieure était donc nécessaire mais il ne faudrait pas qu’il devienne trop important. Ainsi, le dilemme de la banque centrale brésilienne va perdurer dans les mois qui viennent, au moins jusqu’à la fin du cycle de hausses de taux (2 fois 25 points de base).

NOTES

  1. Programme d’achats de titres du Trésor par la Réserve Fédérale américaine pour un montant de 600Md$.

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