Décidémment, la Banque centrale européenne (BCE) est une institution à part.
Décidémment, la Banque centrale européenne (BCE) est une institution à part. La récente détente monétaire engagée par plusieurs instituts d’émission le montre encore une fois.
Le 8 octobre, la BCE avait réduit son principal taux directeur de 50 points de base à 3,75%. Dans le cadre d’une opération concertée, la Réserve fédérale américaine avait pris une mesure de même ampleur mais pour ramener son taux à 1%, un niveau exceptionnellement bas. Le 6 novembre, la BCE a nouveau abaissé son taux de 50 points de base à 3,25%. Pour justifier cette décision, son président, Jean-Claude Trichet, a expliqué dans son langage particulier que “la perspective pour la stabilité des prix (continuait) à s’améliorer”. En d’autres termes, l’inflation n’est plus une menace et elle pourrait même revenir en 2009 sous le plafond d’environ 2% fixé par la BCE. Jean-Claude Trichet a également évoqué des “incertitudes extraordinairement élevées” sur la croissance économique dans la zone euro et dans le monde. Un constat pas très difficile à formuler alors que les Etats-Unis et l’Europe sont entrés en récession et que les pays émergents comme la Chine et l’Inde subissent un net ralentissement qui permet d’anticiper une récession globale, c’est-à-dire un taux de croissance inférieur à 3% pour l’ensemble de la planète, en 2009. Le 3 novembre, la Commission européenne a révisé à la baisse ses prévisions économiques en tablant sur une croissance de 0,1% pour la zone euro (contre 1,2% en 2008) et de 0,2% pour l’Union européenne (contre 1,4% en 2008). Selon l’exécutif européen, trois pays devraient être frappés de récession l’an prochain : le Royaume-Uni (-1%), l’Irlande (-0,9%) et l’Espagne (-0,2%). Mais Jean-Claude Trichet n’est pas allé au-delà du constat même s’il n’a pas exclu une nouvelle baisse des taux.
La Banque d’Angleterre a agi de manière totalement différente. Elle a décidé de réduire son taux directeur de 150 points de base – un mouvement d’une ampleur jamais vu depuis qu’elle est indépendante – pour le ramener à 3%, soit le niveau le plus bas depuis 1954. Elle a indiqué que le pays était confronté à “une très sensible détérioration des perspectives pour l'activité économique”. Comme pour lui donner raison, le Fonds monétaire international (FMI) a encore réduit ses prévisions de croissance mondiale, cette fois à 2,2%, soit 0,8 point de mois qu’en octobre dernier. Le FMI table sur une contraction du Produit intérieur brut (PIB) de 0,7% aux Etats-Unis (il anticipait jusqu’ici une croissance de 0,1%) et de 0,5% en France comme pour la plupart des pays de la zone euro. Il souligne que si les mesures déjà prises par plusieurs gouvernements ne suffisent pas, il faudra songer à de nouvelles actions publiques.
On voit ainsi clairement deux approches en matière de politique monétaire : la BCE souligne que son mandat issu du Traité de Maastricht consiste à maintenir la stabilité des prix. La Réserve fédérale américaine doit lutter contre l’inflation et aussi prendre des mesures favorisant le plein emploi. La Banque d’Angleterre vient spectaculairement de s’aligner sur cette vision de l’économie. Jean-Claude Tricher ne cherche pas à le nier. A l’issue d’une réunion des ministres des finances et des banquiers centraux du G20, il a jugé cette semaine que les nouvelles prévisions du FMI n’étaient “pas aberrantes”. Mais, a-t-il expliqué, les pays ne sont pas dans la même situation, certains assurant “une très bonne maîtrise des anticipations d’inflation” et d’autres devant “encore faire face à des tensions inflationnistes”. Difficile à comprendre puisqu’il a dit lui même que l’inflation dans la zone euro était en passe d’être sous contrôle dans la zone euro. “Nous observons assurément un ralentissement économique mondial et, comme je l'ai dit, nous devons prendre en compte, en ce qui concerne la politique monétaire, la situation individuelle de chaque pays”, a-t-il insisté. De fait, même si une nouvelle baisse de 50 points de base est attendue par les économistes, il est peu probable que la BCE aille plus loin. Elle est déterminée à rester dans le cadre de son mandat pour lutter contre l’inflation. Elle estime que la stabilité des prix est un impératif. Et on a vu au printemps que la hausse des prix pouvait faire des dégâts en termes de pouvoir d’achat, en particulier des ménages les plus modestes. Depuis, ces mêmes ménages sont confrontés à une crise économique qui commence à avoir un impact négatif sur l’emploi.
A mesure que le Produit intérieur brut (PIB) va se contracter – et les économistes les plus pessimistes prévoient un tel mouvement sur les six prochains trimestres, ce qui constituerait une sorte de record – les chiffres du chômage vont monter. Les banques centrales aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ont estimé que leur priorité était désormais de soutenir l’activité pour éviter une dépression d’autant que l’inflation reflue partout. Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, vient de l’expliquer à son tour : “L'inflation ralentit maintenant rapidement, grâce au recul des prix des matières premières. Alors que les attentes en matière d'inflation sont solidement ancrées et qu'un ralentissement économique substantiel devrait se développer, il reste une latitude pour de nouvelles baisses de taux”.
De fait, même si la BCE réduit une nouvelle fois ses taux prochainement, elle voudra montrer qu’elle ne sort pas du cadre de son mandat. Un formalisme qui agace des dirigeants politiques et des chefs d’entreprise. Certains estiment que la BCE préférerait voir les Européens “mourir guéris” : ils subiraient de plein fouet la crise – chômage, crédit en forte hausse, etc. – mais l’inflation serait contrôlée. Alors que la planète traverse sa crise économique la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930 et que certains parlent de la nécessité de “refonder le capitalisme”, le moment est peut-être venu de revoir le mandat de la BCE afin de lui donner la capacité d’agir de manière plus radicale contre les menaces qui pèsent sur l’économie. La BCE ne peut pas avoir pour seule mission de lutter contre l’inflation même si l’inflation doit être combattue.