Scénario catastrophe

Après le Sénat, la Chambre des représentants du Congrès américain a donc adopté le plan de 700 milliards de dollars du secrétaire au Tr

Après le Sénat, la Chambre des représentants du Congrès américain a donc adopté le plan de 700 milliards de dollars du secrétaire au Trésor Hank Paulson afin d’essayer de sauver le système financier de la première puissance économique mondiale. Le président George W. Bush l’a immédiatement promulgué en déclarant que son administration avait “agi promptement pour empêcher que la crise de Wall Street se répande à travers tout le pays”. Mais, a-t-il reconnu, “notre économie est toujours confrontée à des défis sérieux”. C’est le moins que l’on puisse dire. La crise n’est pas seulement financière puisque de part et d’autre de l’Atlantique l’entrée en récession – ce qui correspond techniquement à deux trimestres consécutifs de contraction de l’économie – est désormais actée par les statistiques officielles. Dans ce contexte, le plan Paulson est loin de faire l’unanimité.

Ce plan doit permettre à l’Etat américain de reprendre les “actifs toxiques” que les établissements financiers ne sont pas en mesure de vendre. Il doit redonner confiance aux investisseurs et apporter la liquidité dont les marchés ont besoin. Il a rassuré quelque peu vendredi dernier mais les craintes sont réapparues de manière spectaculaire lundi, provoquant une chute boursière historique sur de nombreuses places boursières. Il faut dire que dans le contexte actuel le plan Paulson, coûteux pour les finances publiques, est considéré comme inefficace par plusieurs experts qui connaissent parfaitement le fonctionnement du système capitaliste. Paul O’Neill, ancien P-DG du groupe Alcoa et secrétaire au Trésor dans l’administration de George W. Bush de début 2001 à 2002 estime qu’il y avait une meilleure solution pour fluidifier les marchés. “Au lieu d’acheter ces instruments (financiers), je pense que le Trésor aurait dû avoir l’autorité pour les garantir. Dès que vous apportez une garantie gouvernementale sur un instrument, celui-ci se traite comme une obligation d’Etat ou du cash. Pourquoi devrions-nous les détenir alors que nous pouvions régler la question de la liquidité en les garantissant ?

Ce n’était peut-être pas suffisant pour un certain nombre d’institutions qui avaient beaucoup de ces "actifs toxiques”, explique-t-il dans BusinessWeek (édition du 13 octobre). Pour Edmund Phelps, prix Nobel d’économie en 2006, le plan risque de ne pas fonctionner parce qu’il omet la question de la recapitalisation des banques. “Il y a beaucoup de raisons qui conduisent à penser que le plan Paulson ne parviendra pas à nettoyer les bilans des banques”, a-t-il dit lors d’une conférence lundi à Washington. “Il pourrait aggraver l’autre problème qu’ont les banques, à savoir qu’elles sont quasiment insolvables”. Rappelons que plusieurs grandes banques ont déjà fait faillite : 12 depuis le début de l’année (dont Bear Stearns et Lehman Brothers pour ne citer que les plus importantes victimes aux Etats-Unis) tandis qu’en Europe Fortis a été secouru par les pouvoirs publics belges, néerlandais et luxembourgeois avant d’être démantelé. Sans oublier la banque belgo-française Dexia qui a dû être recapitalisée dans l’urgence par les autorités belges et françaises.

Et Hypo Real Estate en Allemagne. La question de la fragilité des banques est donc cruciale. James Knightley, senior economist chez ING, a rappelé mardi matin à Paris que les dépréciations d’actifs passées par les banques atteignaient 557 milliards de dollars tandis que les banques ont réussi à lever 389 milliards de dollars. En outre, a-t-il dit lors d’une réunion avec des trésoriers clients de sa banque, la correction sur les prix des actifs boursiers et immobiliers depuis le début de la crise représente pour l’heure environ 9.000 milliards de dollars alors qu’une mise à plat nécessiterait une correction de 12.000 milliards. Le calcul est simple : il manque 3.000 milliards ! Ce qui signifie que les indices boursiers ainsi que les prix immobiliers vont encore baisser.

Les montants en jeu sont tels qu’il est évident que l’économie réelle ne peut que souffrir. D’autant que les banques ont commencé à fermer les robinets du crédit. Même des entreprises solides générant des bénéfices ne peuvent plus emprunter aujourd’hui. Et ne parlons des particuliers, qui vont avoir du mal à obtenir un crédit immobilier ou automobile. Fragilisées, les banques sont excessivement prudentes afin de préserver leurs mares. Mais ce n’est pas la seule raison. Malgré les dizaines de milliards d’euros et de dollars déversés chaque semaine par les banques centrales, les établissements financiers n’ont pas assez de liquidités. Un cercle vicieux est ainsi en train de se mettre en place et pourrait déboucher sur une catastrophe mondiale. Robert B. Zoellick, président de la Banque mondiale, n’exclut pas que la système financier ait atteint un point culminant (“Tipping Point”) qui fait que la crise va devenir incontrôlable pour les gouvernements. Dans ce cas, a-t-il dit lundi au Peterson Institute for International Economics, les problèmes actuels devraient entraîner “des faillites d’entreprises et probablement des crises bancaires. Certains pays pourraient connaître des crises de la balance de paiement”.

Le spectre de 1929, agité par certains depuis quelques mois, n’est plus loin. Paul O’Neill se demande sérieusement s’il n’y a pas un risque que les entreprises, dont certaines ont impérativement besoin de crédits bancaires pour financer leurs opérations au jour le jour, ne soient plus en mesure de verser les salaires de leurs employés. Dans ce cas, la confiance dans le système bancaire disparaîtrait. Les commerçants ne pourraient plus accepter des paiements par chèque ou par carte bancaire. Les citoyens occidentaux, que les autorités ont encouragé à adopter des moyens de paiement “modernes”, n’auraient plus d’autre choix que de payer en espèces. Mais cela ne peut avoir qu’un temps. Surtout si l’inflation s’emballe et entame sérieusement le pouvoir d’achat des ménages. Combien de temps faudrait-il avant de devoir payer sa baguette de pain avec une brouette de billets ? Ce scénario d’une dépression économique est bien connu : c’est celui que le monde a vécu après la crise de 1929. En Allemagne, s’était développé le troc. Cette situation catastrophique avait été utilisée par Hitler pour parvenir au pouvoir. On connaît la suite. Nul ne prétend que nous sommes dans une situation comparable aujourd’hui même si certains experts n’excluent pas une certaine agressivité de la part de certains pays déstabilisés par la crise. Mais la crise actuelle est extrême car elle touche le coeur du système capitaliste – les banques – et frappe plusieurs pays en même temps. La dernière crise, en 2000 et 2001, ne concernait que le secteur des télécommunications et de l’Internet. Du fait de la fragilité des banques, tous les secteurs industriels sont désormais touchés.

De fait, les résultats des entreprises au troisième trimestre, qui vont commencer à être publiés, montreront une nette dégradation. Les défaillances vont se multiplier. Les suppressions d’emplois vont suivre. Selon plusieurs économistes, le point bas de la crise ne sera atteint qu’au premier semestre 2009. Une stabilisation pourrait donc intervenir au second semestre voire une début de l’année 2010 avant une reprise.Face à cette crise, une solution globale est illusoire. Chaque pays va chercher à défendre d’abord son économie. Tout le monde devra néanmoins se mettre autour d’une table pour élaborer de nouvelles règles permettant au système de fonctionner de nouveau. Car personne ne peut prévoir les conséquences d’une crise économique majeure.