Comment expliquer la réticence de l’Espagne à solliciter dès maintenant l’aide européenne ?

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

L’Espagne ne pourra pas éviter un programme d’assistance financière pourtant redouté en raison des stigmates qu’il inflige aux pays contraints d’y recourir. La récente baisse des taux d’intérêt sur les dettes souveraines des pays périphériques de la zone euro ne devrait pas être durable sans que l’Espagne ne se résolve à solliciter les mécanismes d’aide européens (FESF ou MES)1.

C’est en effet la condition pour que la BCE active son nouveau programme d’achat de dette publique annoncé le 6 septembre dernier. Pourtant, le gouvernement espagnol maintient le suspens et cherche des solutions alternatives, notamment au travers de la possibilité offerte par la ligne de crédit de 100 milliards d’euros destinée à la recapitalisation du système bancaire ibérique, qui permet également d’utiliser le montant résiduel pour acheter des titres souverains. En effet, si la BCE considère que l’utilisation de ce crédit, qui s’accompagne déjà d’un mémorandum, remplit les conditions suffisantes pour déclencher son programme d’achat, l’Espagne pourrait bénéficier ainsi d’un sauvetage « allégé » en termes de coût politique.

Cette solution aurait en outre l’avantage d’éviter aux autres états membres de la zone euro de devoir faire accepter une nouvelle décision d’assistance financière. Il n’en resterait pas moins nécessaire pour l’Espagne de présenter un plan crédible de redressement de ses finances publiques pour pouvoir recourir à cette formule. Or, le gouvernement doit présenter son projet de loi de finance 2013 le 27 septembre prochain. Il pourrait dès lors inclure des mesures supplémentaires pour anticiper les conditions qui accompagneraient cette solution mais qui apparaîtraient ainsi comme une décision souveraine et non comme une injonction de la Troïka (UE, BCE, FMI).

Le succès de ce scénario dépendra néanmoins de trois facteurs. Premièrement, que l’Allemagne donne son accord de principe à ce montage. Deuxièmement, que les besoins de recapitalisation des banques espagnoles qui devront être satisfaits par des injections de fonds européens ne consomment pas la totalité des 100 milliards d’euros.

Au début de l’été, les deux premières estimations indépendantes de ces besoins les chiffraient globalement dans une fourchette de 40 à 60 mds €, sachant également que certaines banques pourraient couvrir leur besoins sans faire appel à des fonds publics. Le montant précis nécessaire devrait être connu la semaine prochaine avec la publication d’un deuxième rapport mené cette fois-ci banque par banque. Troisièmement, que les primes de risques ne connaissent pas un nouvel emballement avant la fin de tout ce processus, ce qui forcerait probablement le gouvernement espagnol à agir beaucoup plus rapidement et précipitamment.

Quelle que soit l’option choisie ou imposée, la question centrale reste ce que peut faire de plus l’Espagne pour continuer à faire face à ses obligations financières, satisfaire les conditions requises par ses partenaires européens et la BCE pour obtenir leur aide, et enfin éviter une crise politique et / ou sociale à l’intérieur du pays.

Or, dans le contexte actuel ses marges de manœuvre sont de plus en plus étroites. Les mesures prises jusqu’à présent pour réduire le déficit budgétaire, tant en termes de baisses des dépenses que de hausses d’impôts, ont porté des fruits relativement limités : le déficit est passé de 11,2% en 2009 à 8,9% l’an dernier et devrait dépasser sa cible 2012 de 6,3% de presque 2 points selon nos estimations. En effet, les politiques agressives d’austérité menées simultanément en Europe ont atteint leurs limites, que ce soit en Grèce, au Portugal ou en Espagne.

Les réformes structurelles (marché du travail, retraites, système bancaire, « règle d’or », marché des biens et des services…) bien que nécessaires ne porteront pas de fruits à court terme et sont même couteuses en terme de chômage. Seule une vaste réforme fiscale permettant un abaissement significatif du coût du travail et incitant les investisseurs étrangers à s’installer dans le pays, couplée avec un programme d’investissement public pour relancer à court terme l’activité pourrait permettre à l’Espagne de retrouver durablement de la croissance. Or ceci suppose d’obtenir des délais supplémentaires pour réduire le déficit public et d’avoir l’assurance de pouvoir se refinancer pendant le temps nécessaire au redressement productif. Mais, il s’agit d’une politique coopérative qui pour l’heure n’est pas inscrite dans l’agenda européen.

NOTES

  1. FESF : Facilité Européenne de Stabilité Financière, MES : Mécanisme Européen de Stabilite

Retrouvez les études économiques de Natixis