Conséquences sur l’économie japonaise et les marchés financiers

par Eric Chaney, chef économiste, Hervé Lievore et Franz Wenzel, stratégistes chez Axa IM

Nous tenons tout d’abord à exprimer au peuple japonais notre profonde tristesse et notre plus sincère sympathie. Nous sommes convaincus que le facteur humain est l’élément le plus important, avant toute considération économique ou financière, et restons persuadés que le Japon surmontera finalement les terribles conséquences de la catastrophe de Sendai.

Le plus violent séisme de l’Histoire japonaise et le tsunami qui a suivi ont causé d’importantes pertes humaines, de vastes destructions notamment dans les infrastructures, et causé de graves dommages dans les centrales nucléaires. Pour l’instant, les autorités nippones ont classé l’accident nucléaire du site de Fukushima Daiichi au niveau 4 (« n'entraînant pas de risque important à l'extérieur du site»), un cran en dessous de l’incident de Three Mile Island (niveau 5, « entraînant un risque hors du site »), sur l’échelle d’INES allant jusqu’à 7 (« accident majeur », Tchernobyl). Nous pensons que cette estimation sera bientôt réévaluée vers le niveau 6, mais n’atteindra pas le niveau 7.

Nous tentons d’évaluer les conséquences économiques et financières de ce terrible événement. Nous soulignons toutefois l’extrême fragilité de nos conclusions à ce stade.

En un mot

Nous pensons que l’économie japonaise sera significativement touchée à court terme pour rebondir ensuite grâce à d’amples mesures de relance monétaire et budgétaire visant dans un premier temps à injecter des liquidités dans le système financier, pour ensuite se concentrer sur la reconstruction.

L’impact négatif sur la croissance du PIB en 2011 pourrait aller jusqu’à -0,5 point de pourcentage, puis l’effet stimulant de la reconstruction pourrait ajouter 1pp à la croissance du PIB 2012. En ce qui concerne les actifs financiers, nous estimons que ce sont les actions nippones qui souffriront le plus, alors qu’à court terme, le marché des JGB pourrait à la fois bénéficier de l’effet de valeur refuge et de l’intervention de la BoJ. A moyen terme, nous croyons que les actions japonaises rebondiront fortement à mesure que la reconstruction gagne du terrain, alors que les obligations d’Etat devraient se négocier à des prix inférieurs à ceux d’avant la catastrophe, en raison de l’augmentation de la dette publique.

En détail

Bien que l’ampleur des dommages soit très incertaine, les estimations actuelles oscillent entre 2% et 3% du PIB, soit davantage que le coût total du tremblement d’Hanshin (Kobe 1995, 2% du PIB). Si la comparaison avec le désastre de Kobe et ses conséquences peut être utile, notons qu’il existe deux différences majeures qui nous incitent à la prudence dans l’extrapolation du passé :

  1.  Le tremblement de Sendai et les tsunamis qui s’en sont suivis ont grandement endommagé les infrastructures (réseaux routier, ferroviaire, électrique et sites de production d’énergie). 
  2.  L’accident nucléaire du site de Fukushimma Daiichi pourrait engendrer une baisse durable de la production d’énergie, qui dépendra du taux d’exploitation des autres centrales nucléaires. Depuis 2009, 29% de la production d’énergie au Japon est nucléaire.

Ces deux facteurs vont probablement accroître l’ampleur et la durée du choc d’offre par rapport au séisme de Kobe. Nous pensons toutefois que les mesures politiques seront du même ordre qu’alors.

En 1995, une forte stimulation budgétaire combinée à l’assouplissement de la politique monétaire aux 2T et 3T (-175pdb) avait entraîné une très robuste croissance du PIB entre le second semestre 1995 et la fin 1996.

La marge de manœuvre de l’Etat est aujourd’hui plus faible qu’en 1995 et la reconstruction sera principalement financée par la dette. Les taux directeurs sont déjà proches de zéro et la BoJ devrait injecter davantage de liquidité (la banque centrale a déjà augmenté le montant de son Programme d’Achat d’Actifs d’environ 5 000mds JPY).L’ampleur et la durée de l’effet multiplicateur restent une question ouverte.

Dans l’ensemble, nous estimons que la croissance du PIB devrait reculer jusqu’à 0,5% au 2T, puis commencer à se redresser au 3T, avec une forte accélération dès que les projets de reconstruction auront démarré.

En ce qui concerne les perspectives économiques, les risques sont, dans le pire des cas :

  1. Un incident nucléaire pire que prévu, avec un niveau de radiation affectant tout effort de reconstruction de la zone dévastée.
  2. Une révision substantielle de la production d’électricité, conséquence de l’actuel accident qui pourrait entraîner des répercussions prolongées sur la production d’énergie.

Ces deux risques pourraient causer une sérieuse récession japonaise.

Actions : baisse envisageable d’environ 15%

La série de désastres pourrait entraîner une réévaluation supplémentaire du risque, en dépit du fait que la situation boursière est aujourd’hui nettement différente de celle connue en 1995.

Jusqu’à présent, le tremblement de terre n’a eu qu’un impact limité sur les zones industrielles de la banlieue de Tokyo. Toutefois, au cours des semaines et des mois à venir, les marchés japonais se focaliseront essentiellement sur les conséquences de l’accident nucléaire. A moins d’un scénario catastrophe, nous estimons que le marché devrait se stabiliser autour d’un ratio cours/cash flow entre 5x et 6x, ce qui impliquera par conséquent un déclassement par rapport aux autres grands marchés boursiers. Nous devrions donc qualifier la catastrophe actuelle d’épisode récessioniste (entre -10 et -20%).

A plus long terme, nous estimons que le modèle 1995 est valable: six mois après le désastre de Kobe, les marchés nippons ont commencé à se redresser, à mesure que la reconstruction avançait.

Obligations : le taux des JGB à 10ans pourrait reculer à 1,0% et remonter en 2012 à 1,8%

Après le tremblement de terre de Kobe, les taux JGB ont initialement augmenté, les investisseurs en obligations craignant une hausse des émissions obligataires. La tendance a toutefois rapidement changé et les taux ont fortement baissé, et ce pour longtemps. La situation actuelle est nettement différente.

A l’époque, les valeurs-refuges avaient le vent en poupe en raison de la débâcle de la banque Barings, permettant ainsi à la BoJ de baisser ses taux directeurs de façon significative. Nous croyons que cette recherche de valeurs-refuge, ou plutôt de sécurité, est encore d’actualité aujourd’hui, en raison de l’incertitude systémique créée par la dimension nucléaire des conséquences de la catastrophe. D’un autre côté, la BoJ ne peut pas baisser ses taux. C’est pourquoi nous n’envisageons qu’une baisse initiale limitée des rendements des obligations, alors qu’à plus long terme, nous estimons que les taux longs devraient se négocier dans le haut de la fourchette, à mesure que le poids de la dette s’alourdit, rendant la position budgétaire du gouvernement nippon encore plus intenable qu’avant.

Taux de change

A court terme, le yen pourrait s’apprécier contre le dollar à cause du rapatriement de capitaux des assureurs nippons et de la hausse de la demande en JGB (recherche de sécurité). A horizon moyen, l’écart croissant entre la position de la politique monétaire du Japon (accommodante) et celle des autres économies avancées (restrictive) fragilisera la valeur de la devise japonaise.