Croissance américaine : la véritable menace n’est pas la rechute (« double dip »)

par Michel Martinez, responsable adjoint de la stratégie chez Amundi AM

La menace d’une rechute en récession de l’économie américaine continue de planer. Ce risque existe mais nous semble limité. Le vrai risque serait que l’économie américaine connaisse une période prolongée de croissance molle, autour de 2% l’an, avec peu de créations d’emploi. L’économie américaine connaîtrait alors un régime de croissance et d’inflation durablement réduites.

Le cercle vertueux ne s’est pas enclenché

La reprise de l’économie américaine a commencé mi-2009 et a été plutôt modérée (3% l’an) par rapport aux reprises passées. Elle a reposé jusqu’ici sur des facteurs temporaires. Les stocks y ont contribué pour plus de la moitié. Selon les dernières estimations du CBO (Congressionnal Budget Office), le plan ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) lancé début 2009 aura apporté entre 2,5 pp et 6 pp de croissance en 2009-2010. Sans lui, l’économie américaine aurait détruit entre 2,6 et 6 millions d’emplois supplémentaires.

A l’été 2010, quand ces facteurs temporaires s’amenuisaient, un cercle vertueux devait se matérialiser : la hausse de la production et des profits (bien réelle) devait se traduire par une hausse de l’investissement (partiellement observée), puis par celle de l’emploi et des salaires (décevante), enfin de la consommation et de l’immobilier. Les statistiques récentes montrent que ce cercle vertueux ne s’est pas enclenché. Au point que certains investisseurs craignent une rechute en récession de l’économie. Un tel risque existe bel et bien quand la croissance est aussi molle et explique que la Fed adopte une posture de gestion des risques. Il nous semble toutefois limité compte tenu de la bonne santé des entreprises et des politiques budgétaire et monétaire particulièrement accommodantes. En particulier, la part des profits dans la valeur ajoutée atteignait au deuxième trimestre 2010 un plus haut depuis la seconde guerre mondiale. Nous considérons que cette santé financière recouvrée des entreprises américaines devrait mettre l’économie à l’abri d’une nouvelle récession et que le marché du travail devrait continuer à s’améliorer très graduellement.

Le désendettement est rapide, mais pas terminé

Une des raisons de la faiblesse de la reprise de l’emploi tient au manque de visibilité des entreprises sur la demande future. Il est probable que celles-ci s’inquiètent de la vitesse du désendettement du secteur privé. Depuis les années 1980 et jusqu’en 2008, le crédit du secteur privé a progressé deux fois plus vite que le PIB. Ce processus s’est brutalement inversé début 2009. En un an, l’endettement du secteur privé est passé ainsi de 298% du PIB à 272% du PIB. Le taux d’épargne des ménages a progressé de 0 à 6%, un niveau que l’on n’avait plus observé depuis 1994. Le crédit hypothécaire résidentiel a reculé de 310 Mds USD sur un an au T1.10, soit l’équivalent de 1,5 millions de maisons …En pratique, l’essentiel du désendettement des ménages s’explique par la hausse des taux de défaut (charge-off). L’encours du crédit immobilier résidentiel n’aurait pas reculé si le taux de défaut n’avait pas grimpé à 2,8% fin 2009 (contre 0,1% en temps normal). La bonne nouvelle est qu’avec la reprise du marché du travail (même modeste), le taux de défaut est en train de refluer (2,1% au T2.10). Par ailleurs, les enquêtes effectuées auprès des banques sur les conditions du crédit s’améliorent, ce qui plaide pour une reprise du crédit dans les prochains mois.

Toutefois, le niveau élevé d’endettement des ménages, comparé à leur patrimoine ou à leurs revenus, suggère que le processus de désendettement est loin d’être terminé. Il durera plusieurs années, période pendant laquelle la croissance sera vraisemblablement modérée en comparaison des reprises passées. Le CBO prévoit que la croissance sera de 3,4% par an en moyenne d’ici 2014. C’est peu après une crise aussi sévère que celle que l’on vient de connaitre. A noter qu’en raison de la faiblesse de la croissance du stock de capital, le CBO estime la croissance potentielle à seulement 2,1% sur la période. On est loin des 3% de croissance des 20 dernières années.

Selon nous, le principal risque au cours des deux ou trois prochaines années est que la croissance américaine reste proche de son potentiel, autour de 2% l’an. Elle ne parviendrait alors pas à résorber ses excès de capacité et le chômage structurel augmenterait. La croissance potentielle serait alors durablement réduite, l’inflation resterait faible, très en deçà de 2% l’an. Pour éviter un tel scénario, la politique monétaire se révèlerait probablement insuffisante et de nouvelles mesures de relance seraient alors requises, l’endettement public palliant la faiblesse de l’endettement privé. Les annonces récentes de l’administration Obama s’inscrivent évidemment dans le contexte des « mid-term élections ». Mais un coup d’accélérateur à la reprise, bien ciblé, serait bienvenu.