Décollage de l’économie japonaise au premier trimestre

par Kohei Iwahara, économiste chez Natixis

La solidité du PIB au T1 s'est révélée conforme à notre prévision d'une croissance de +2,3% (GA) de l'économie en 2012. Ressortie à +1,2% T/T, la croissance du PIB s'est ainsi accélérée au T1, soutenue par la politique budgétaire expansionniste. Alors que l'investissement des entreprises est susceptible de marquer le pas vers la fin de l'année, les exportations devraient quant à elles soutenir l'économie dans la mesure où la demande extérieure a commencé à montrer certains signes de reprise. Compte tenu de la déflation persistante de l'économie nipponne et de la vigueur du yen, la Banque du Japon (BoJ) devrait poursuivre sur la voie de l'assouplissement, peut-être en juillet à l'occasion de la publication de ses résultats semestriels sur la croissance et l'inflation.

La tendance générale

Après s'être établie à 0,0% T/T au T4, la croissance du PIB a bondi de +1,2% T/T (+4,7% en rythme annuel) au T1. Comme prévu, cette accélération a principalement résulté de la politique budgétaire expansionniste. S'agissant de la tendance future de l'activité, les prévisions de mai et de juin du ministère japonais de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI) laissent entrevoir un probable ralentissement de la production industrielle, de +1,2% T/T au T1 à -0,8% T/T au T2. Mais, dans la mesure où le ratio nouvelles commandes/facturations dans le secteur des semi-conducteurs a progressé de 0,78 en mars à 0,88 en avril, la croissance globale pourrait ne pas être aussi faible que les prévisions de la production industrielle le laissent présager. Néanmoins, l'économie japonaise devrait décélérer par rapport à son exceptionnelle vigueur au T1, les effets des mesures de relance budgétaire étant vraisemblablement appelés à se faire progressivement moins ressentir. Selon nos prévisions, l’économie japonaise devrait croître à un rythme de +2,3% (GA) en 2012, après s'être contractée de -0,7% (GA) en 2011.

La politique budgétaire

Axée sur le réaménagement des régions touchées par le séisme, la politique budgétaire expansionniste a commencé à redonner un coup de fouet à l'économie. Les budgets supplémentaires, qui ont été votés l'an dernier et dont le montant total s'élève à près de 4% du PIB, vont continuer à stimuler l'économie par l'intermédiaire de deux canaux différents.

Premier canal, l'investissement public a progressé de +3,8% T/T au T1 après avoir reculé de -0,8% T/T au T4. Ce rebond donne à penser que les projets de reconstruction dans la région de Tohoku ont enfin été mis en œuvre et qu'ils ont toutes les chances de soutenir l'économie au cours de l'année. Effectivement, les commandes de travaux publics, un indicateur avancé de l'investissement public, ont continué d'être orientées à la hausse en s'établissant à +17,2% en GA en mars, et ce, après une croissance de +22,6% en GA en février. Le risque est que les projets de reconstruction soient appelés à perdurer pendant une période prolongée. Par exemple, la ville de Sendai, qui a été sévèrement frappée par le tremblement de terre de l'an dernier, a annoncé en mai un projet visant à réinstaller 1 706 ménages vivant dans les régions côtières plus à l'intérieur des terres afin de les protéger des tsunamis. Ce projet devrait être achevé d'ici l'année fiscale 2015, mais certains ménages sont opposés à de tels transferts de leur lieu de résidence. Cet exemple témoigne des difficultés de partager une vision commune des efforts de réaménagement.

Second canal, les budgets supplémentaires comprennent également des mesures destinées à aider les ménages. Premièrement, le budget supplémentaire a été assorti d'une aide financière de 300 milliards de yens pour l'achat de véhicules automobiles plus écologiques. La vigueur de la consommation (+1,2% T/T) au T1 semble avoir principalement résulté de l'augmentation des achats de voitures neuves. En effet, les dépenses des ménages ont révélé que les dépenses de subsistance ont en fait reculé, ce qui tend à indiquer que la consommation sous-jacente n'est pas aussi soutenue que l'indique le chiffre total. Le gouvernement pourrait être à court de budget dès le mois de juillet, si l'on en croit un article du journal Nikkei. Lorsque cela sera le cas, la consommation privée devrait devenir modérée en raison des difficultés du marché du travail. Deuxièmement, les budgets supplémentaires ont également inclus des aides financières pour l'investissement dans l'immobilier résidentiel.

Certes ces mesures ont fait sentir leurs effets dans la solidité du chiffre des mises en chantier, mais la contribution de l'investissement résidentiel au PIB a contre toute attente été défavorable dans la mesure où celui-ci s'est replié de -1,5% T/T au T1. Toutefois, les anticipations des directeurs immobiliers dans le secteur résidentiel se sont améliorées, de 39 au T4 à 54 au T1. C'est pourquoi l'investissement résidentiel devrait, à partir du T2, redevenir positif et soutenir la croissance économique globale.

L'investissement des entreprises

Dans les chiffres du PIB, l'investissement non résidentiel a reculé de -2,1% T/T au T1. Ce fut là une surprise compte tenu de la hausse de +0,9% T/T des commandes privées de machines durant le même trimestre. Cette augmentation des commandes a été favorisée par les projets de reconstruction dans le secteur privé et devrait probablement transparaître dans l'investissement non résidentiel au T2. Nous anticipons des investissements modérés de la part des entreprises vers la fin de l'année, ce que corroborent d'ailleurs les indicateurs avancés de l'investissement privé. L'enquête Tankan a également révélé que les sociétés continuent de souffrir de surcapacités de production et le niveau élevé des taux d’intérêt réels dû à la déflation est susceptible de dissuader les entreprises d'accroître leurs investissements.

Les exportations

Les exportations ont continué de témoigner de signes de reprise. Elles ont ainsi augmenté de +3,0% T/T au T1, mais également de +0,5% m/m en avril. Il ressort de ces chiffres que la demande en provenance de l'étranger a augmenté et que la principale contribution est à mettre au crédit des États-Unis. De plus, l'indicateur avancé pondéré de l'OCDE des principaux partenaires commerciaux laisse entrevoir d'autres améliorations. Nous pensons que les exportations ont toutes les chances de signer une contribution positive à la croissance du PIB en progressant de +3,1% en GA en 2012 (contre une baisse de -0,1% en GA en 2011). Les effets de base favorables et la moindre vigueur du yen par rapport à son niveau extrêmement élevé de l'an passé sont deux facteurs qui devraient soutenir la croissance des exportations.

Le marché du travail

En dépit de l’embellie significative de l'économie au T1, la reprise du marché du travail s'avère lente. Le taux de chômage a augmenté de 4,5% en mars à 4,6% en avril. En outre, le taux de participation a reculé de 59,2% à 59,0% sur la même période. En revanche, les indicateurs avancés du marché du travail ont semblé indiquer une possible amélioration. Par exemple, le ratio nouveaux emplois offerts/candidat s'est établi à son plus haut niveau depuis mai 2008 et le nombre d'heures supplémentaires travaillées a augmenté durant cinq mois consécutifs. Ces divergences peuvent être le reflet du niveau plus élevé du taux de chômage structurel au Japon qui a commencé à augmenter à partir de 1997. La baisse du chômage devrait de ce fait être limitée, passant de 4,6% en 2011 à 4,5% en 2012.

L'inflation

L'augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) qui a fait suite à l'arrêt des centrales nucléaires s'est traduite par une volatilité de l'inflation. En effet, l'IPC global national est ressorti à +0,4% en GA, son quatrième mois consécutif en territoire positif. En conséquence de quoi, la hausse des prix de l’énergie va grignoter le pouvoir d'achat des ménages et probablement freiner la consommation de ces derniers. A l'inverse, l'inflation sous-jacente, mesurée par l'IPC core core, est demeurée en territoire déflationniste en se repliant de -0,3% en GA en avril. Cette tendance est encore plus manifeste dans le cas de l'IPC de Tokyo où il s'est détérioré en se contractant de -1,0% en GA en avril et de -1,3% en GA en mai. A l'avenir, les tensions inflationnistes sous-jacentes devraient rester limitées dans la mesure où l'écart de production (« output gap ») est demeuré important à -2,2% au T1.

La politique monétaire

Bien que la BoJ ait laissé inchangée sa politique monétaire lors de sa réunion de mai, la Banque centrale devrait néanmoins poursuivre sur la voie de l'assouplissement. Premièrement, la parité USD/JPY a toutes les chances de se réapprécier aux alentours de 78 yens pour un dollar au cours des trois prochains mois. Le renforcement de l'aversion au risque lié à la crise de la dette en Europe est susceptible de conduire à une accentuation des anticipations déflationnistes au Japon et, ce faisant, à une appréciation du yen. Lorsque la devise nipponne aura à nouveau gagné en vigueur, la BoJ devrait alors assouplir sa politique monétaire, à l'image de l'an passé. Deuxièmement, l'économie japonaise demeure déflationniste. Selon nous, l'objectif d'inflation de 1% de la BoJ a peu de chances d'être atteint, tout au moins avant 2013, en raison du caractère très négatif de l'écart de production.

Notre scénario central prévoit un assouplissement par la BoJ lors de sa réunion de politique monétaire de juillet au cours de de laquelle la Banque centrale donnera son évaluation semestrielle de la croissance et de l'inflation. Comme lors de sa réunion d'avril, la BoJ devrait revoir à la hausse la taille de son programme d'achat d'actifs en reconnaissant que son objectif d'inflation de 1 % a peu de chances d'être atteint d'ici l'année fiscale 2013. L'augmentation nette du programme pourrait être de l'ordre de 5 000 milliards de yens. Même si les prêts à taux fixe ont une nouvelle fois été sous-souscrits, cela ne signifie par pour autant que la demande d'emprunts d'État japonais a baissé. En effet, le rendement de l'emprunt d'État japonais à 3 ans a diminué en passant de 0,126% début mai à près de 0,102% début juin. Dans ces conditions, la BoJ pourrait revoir à la baisse la voilure de ses prêts et accroître le montant de ses achats d'emprunts d'État japonais de plus de 5 000 milliards de yens.

La politique énergétique

Des centrales nucléaires devraient à nouveau fonctionner au Japon. Le Premier ministre Yoshihiko Noda a déclaré que le Japon avait besoin de l'énergie nucléaire et le gouvernement tente de redémarrer deux réacteurs nucléaires dans la région du Kansai. Ainsi, le Japon n'était tout simplement pas prêt à un arrêt soudain et total de ses centrales nucléaires, lesquelles produisaient près de 30% de l'électricité totale. Il est possible que les coûts liés à la fin de l'énergie nucléaire puissent avoir été négligés. Une offre restreinte d'électricité durant la chaude saison estivale est susceptible de faire une nouvelle fois augmenter les coûts le long de la chaîne d'approvisionnement. Tokyo Electric Power Company (TEPCO) a également demandé l'autorisation au gouvernement de relever les tarifs du courant pour les ménages de 10,28% à partir de juillet, et ce, pour la première fois en 32 ans. Compte tenu de cette hausse des prix, l'opinion publique pourrait ainsi devenir plus favorable à l'énergie nucléaire. Le redémarrage de réacteurs nucléaires est positif pour l'économie nipponne, tout particulièrement à court terme car il atténue les incertitudes et pourrait empêcher une dégradation de l'économie.

Néanmoins, il convient de souligner que la politique énergétique à long terme du Japon reste encore largement à définir. La hausse des importations de GNL comme produit de remplacement de l'énergie nucléaire n'est qu'une solution temporaire. Le gouvernement annoncera en août une approche à long terme de la politique énergétique. Cette annonce pourrait prévoir une moindre dépendance à l'égard de l'énergie nucléaire (moins de 30%), un plus grand recours aux énergies renouvelables et un système de tarification flexible des prix de l'énergie afin de pouvoir s'adapter à la demande durant les heures de pointe. Le manque de clarté de la politique énergétique pourrait dissuader les entreprises d'accroître leurs investissements, voir même les encourager à investir à l'étranger.

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