Désynchronisation des cycles économiques

par Chistophe Donay, Chef stratège de Pictet

Les risques accrus que présente l'économie mondiale proviennent d’une désynchronisation au sein de quatre cycles économiques clés.

1 – Le cycle monétaire. Les banques centrales des pays développés mettent en place leur stratégie de sortie, tandis que celles de certains marchés émergents sont proches de la fin d'un cycle de resserrement monétaire. Aux Etats-Unis, la Fed achèvera son programme de rachat de titres pour un montant de 600 milliards de dollars en juin. Le soft patch économique actuel et les risques de baisse de la croissance inciteront sans doute la Fed à prêter beaucoup d'attention au calendrier de sa stratégie de sortie. De plus, nous continuons de penser que la Fed ne commencera pas à relever ses taux directeurs avant le 2e trimestre de 2012. En Europe, nous prévoyons toujours une série de trois hausses de 25 points de base de la part de la BCE, pour porter le taux de refinancement à 2 %.

2 – Le cycle inflationniste. La hausse cyclique de l'inflation est due à l'augmentation des cours des matières premières. A ce stade, nous ne constatons pas de pressions inflationnistes structurelles confirmées. Par conséquent, nous maintenons un scénario dans lequel les pressions inflationnistes cycliques s'apaiseront bientôt.

3 – Le cycle de l'économie réelle. La phase d'accélération de la croissance mondiale est derrière nous, puisque la hausse des cours des matières premières place l'expansion sous pression. A ce stade, les craintes d'une récession plus sévère sont injustifiées. Le ralentissement actuel de la croissance mondiale est modéré et temporaire. La cause principale de ce phénomène est l'augmentation des prix des matières premières, qui a miné le pouvoir d'achat. Le mois dernier, nous avons ainsi revu à la baisse nos prévisions de croissance du PIB américain entre le 4e trimestre de 2010 et le 4e trimestre de 2011 de 3,5 % à 3,0 %. En Europe, nous prévoyons toujours une croissance du PIB de 1,8 % sur l'ensemble de l'année. En Chine, les prévisions du marché oscillent entre deux scénarios : 1) des craintes inflationnistes et 2) un ralentissement économique intense. Cependant, la hausse des cours des matières premières, associée à des conditions monétaires plus rigoureuses, induit des craintes de ralentissement du cycle économique dans l’ensemble des pays émergents.

4 – Le cycle d'endettement des Etats. La crise financière touchant les pays de la périphérie de la zone euro est loin d'être résolue. Le processus de résolution de la crise financière s'avère très long et pénible. Plus particulièrement, les moyens envisagés pour mettre fin à la crise en Grèce suscitent des débats animés au sein des institutions politiques et financières. La crise entre à présent dans une phase qui mène les marchés à prendre toujours davantage en compte le fait que les trajectoires à long terme de la dette et de la croissance économique des pays développés ne convergent pas l’une vers l’autre. Par conséquent, les intervenants continueront à se focaliser sur cette problématique pendant de nombreuses années encore. A l'heure actuelle, nous sommes confrontés à des incertitudes de taille qui pourraient mener à un défaut de paiement de la Grèce. Une évolution dans ce sens pourrait entraîner une nouvelle augmentation de l'aversion au risque vis-à-vis de la dette souveraine des pays de la périphérie de la zone euro.

 

Le scénario le plus pessimiste consisterait à envisager une poursuite de la crise financière grecque, qui déclencherait un effet domino systémique. Le scénario le plus optimiste consisterait en une solution définitive et rapide. Etant donné le caractère imprévisible de ces scénarii, et en raison de l'effet dévastateur ou bénéfique qu'ils pourraient avoir sur les classes d’actifs, nous recommandons une protection des portefeuilles. Pour chaque classe d’actifs, nous préconisons: 

  • Actions: l’évolution de la crise financière grecque modifie le profil de risque des marchés actions. Si la solution consiste en un défaut de paiement, le risque de contagion vers des pays comme l'Espagne et l'Italie pourrait mener à une consolidation marquée des marchés actions. De plus, en cas de ralentissement plus prononcé que le soft patch économique prévu au sein de l'économie mondiale, les estimations de bénéfices des sociétés sont proches de leur point maximum.
  • Obligations d'Etat: au lendemain de la crise de la zone euro, les obligations d'Etat des pays développés récupèrent leur statut de valeur refuge. Afin de protéger les portefeuilles contre une défaillance de la Grèce et d’un effet domino, nous avons décidé d'accroître la pondération des Bunds et des bons du Trésor américain à 10 ans. Nous finançons cette réallocation en réduisant les liquidités, ainsi que les obligations de sociétés à haut rendement et de type investment grade.
  • Devises: la monnaie unique subit l'influence du régime de crise de la dette européenne. Ses taux de change demeureront donc sujets aux infortunes de la zone euro, qui persisteront probablement jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée au problème d'endettement de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal. Le franc suisse reste surévalué d'après plusieurs critères, mais conservera son statut de valeur refuge jusqu'à ce que la crise de la zone euro soit résolue. Les devises liées aux matières premières maintiennent pour leur part leur bonne tenue et devraient s'échanger suivant un schéma stable, voire baissier, jusqu'à l'automne pour regagner en vigueur à la fin de l'année.
  • Or: nous surpondérons l'or dans notre allocation d'actifs et considérons cet actif comme une assurance contre les inquiétudes d’un soft patch économique et d'un effet domino potentiel causé par la crise grecque.
  • Obligations d’entreprise: la majeure partie de la réduction des écarts de rendement (spreads) est derrière nous et nous prenons une partie des bénéfices dans les segments de l’investment grade et du haut rendement.
  • Liquidités: nous recommandons d'investir dans des fonds monétaires gouvernementaux avec une notation AAA et privilégions les fonds libellés en euros, en raison des écarts de rendement avantageux qu'ils offrent actuellement.

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