Divorce à l’allemande

par Laurence Chieze-Devivier, stratégiste chez Axa IM

Contrairement aux sondages publiés la semaine dernière, la CDU(1), le parti de la Chancelière Angela Merkel, a remporté les élections législatives du 27 septembre. Cette victoire lui donne l’opportunité de former un nouveau gouvernement en s’alliant aux libéraux du FDP, et de quitter son partenaire de la grande coalition, le parti social-démocrate SPD, qui sort quant à lui affaibli de ce vote.

Pendant la campagne, Angela Merkel avait timidement exprimé le souhait de gouverner avec le parti libéral, afin de ne pas se fermer les portes à la reconduction d’une grande coalition, au cas où les résultats des élections lui auraient été moins favorables. Le nouveau gouvernement, qui sera constitué au cours des prochaines semaines, prendra vraisemblablement un virage à droite, poussé par les libéraux qui ont obtenu près de 15% des voix. Les programmes de la CDU et du FDP sont assez similaires, notamment des propositions de baisses d’impôts. Cet objectif constitue un défi, au moment où la crise financière et économique a fortement détérioré les comptes publics.

Recomposition du paysage politique : trois partis d’opposition face à une confortable coalition de centre-droit

Le SPD, avec 23,1% des voix, n’obtiendrait que 149 sièges au Bundestag. Par rapport aux résultats de 2005, le parti social-démocrate recule de 12 points et perdrait 75 sièges. Le parti social-démocrate allemand a souffert de l’exercice du pouvoir pendant quatre ans avec son allié forcé de la grande coalition, la CDU-CSU.

Rappelons que la campagne électorale a été assez fade, le candidat du SPD, Vice-chancelier et Ministre des Affaires étrangères d’Angela Merkel, Frank-Walter Steinmeier, n’ayant pas su se présenter comme un rival des conservateurs avec lesquels il avait gouverné. Les électeurs de gauche se sont détournés du SPD, pour apporter leurs voix à des partis plus marqués à gauche. Ainsi, le parti de la gauche radicale, Die Linke, créé à l’été 2007, avec à sa tête Oskar Lafontaine (ancien leader du SPD) et Gregor Gysi (du PDS, héritier du parti communiste de la RDA), réalise un très bon score en réunissant 12,4% des voix et obtient ainsi 83 sièges au Bundestag, soit un gain de 23 élus. Les verts obtiennent 10,1% des voix et 65 sièges, soit 15 élus supplémentaires par rapport à 2005.

La nouvelle coalition de centre-droit qui se profile, CDU-CSU et FDP, obtient donc une majorité confortable au Bundestag, de 332 sièges sur 621. Les libéraux sortent renforcés avec 14,6% des voix et 93 sièges, soit un gain de 32 sièges par rapport à 2005. Bien que la CDU-CSU gagne 18 sièges, en pourcentage des voix, elle réalise toutefois un score moins important qu’en 2005 (33,8% contre 35,2%). Si le nouveau gouvernement dispose de la majorité au Bundestag, l’opposition y sera néanmoins forte (48% des sièges, alors qu’elle était évidemment très affaiblie lors de la précédente législature). De plus, la situation au Bundesrat (Chambre Haute, qui représente les gouvernements des 16 Länder) sera moins facile pour le nouveau gouvernement, premier groupe de cette chambre (33 sièges sur 69), mais qui n’y est pas majoritaire. La gauche n’y a que 11 sièges, mais la recomposition des gouvernements locaux par le jeu des alliances suite aux élections régionales de cet été (Sarre, Schleswig-Holstein et Thuringe) et du printemps prochain (Rhénanie du Nord-Westphalie) pourrait inverser le rapport des forces. Dans cette nouvelle configuration, sachant que toute nouvelle loi doit être adoptée par les deux chambres, certaines propositions pourraient rencontrer une opposition marquée, en particulier au Bundesrat.

Les orientations du nouveau gouvernement

Les programmes de la CDU et du FDP présentés pendant la campagne électorale comprennent cinq axes principaux, relativement similaires, en matière de fiscalité, travail, politique familiale, éducation et énergie.

En matière d’énergie, le FDP et la CDU se sont engagés en faveur d’un report de l’arrêt des centrales nucléaires prévu pour 2021 (extension du fonctionnement au-delà de cette date pour le FDP) et pour une hausse de la part des énergies renouvelables (à 20% d’ici 2020). Le report sera un sujet de tension avec l’opposition, les verts et les socialistes instigateurs de ce projet.

En matière d’éducation, il s’agit d’augmenter les dépenses à 7% (FDP) ou 10% du PIB (CDU), contre moins de 4% aujourd’hui, soit un niveau inférieur à la moyenne européenne. C’est naturellement une mesure visant à augmenter le potentiel de croissance de l’Allemagne, mais coûteuse pour les finances publiques (+3 à 6 points de PIB d’ici 2015).

Les mesures de politique familiale font l’objet d’un large consensus: droit à une place en crèche d’ici 2013, augmentation de la part enfant dans le calcul de l’impôt sur le revenu (doublement à 8000€ pour le centre-droit et le SPD), ainsi qu’une hausse des allocations (CDU et FDP). Ces mesures visent à enrayer la dénatalité allemande (1,3 enfants par femme). Cette faible natalité ne s’est pas accompagnée d’une plus forte participation des femmes au marché du travail du fait du manque de moyen d’accueil des jeunes enfants.

Concernant le marché du travail, le centre-droit s’oppose à une généralisation de l’instauration d’un salaire minimum (déjà en place dans certains secteurs), mesure proposée par la gauche. Le centre-droit tient à maintenir les gains de compétitivité réalisés, via une compression des salaires et une baisse des cotisations sociales.

L’Allemagne, premier exportateur mondial, spécialisée en biens d’équipement, est bien positionnée lors des phases de redémarrage du commerce mondial et bénéficiera également des programmes d’infrastructures mis en place à travers le monde.

Enfin, la nouvelle majorité propose une baisse de l’impôt sur le revenu : baisse du taux marginal de la première tranche (de 14 à12%) et relèvement du seuil de la dernière tranche pour la CDU ; simplification du système à trois tranches (imposées à 10%, 25 et 35%) pour le FDP. Celui-ci a également proposé une baisse de l’impôt sur les sociétés. Une réduction de l’impôt pesant sur les ménages pourrait libérer du revenu et favoriser la consommation allemande qui, exception faite de la période très récente, était structurellement affaiblie par la politique de gains de compétitivité (croissance moyenne de 0,7% l’an depuis 2000). Le total des baisse d’impôts, proposées par la CDU se chiffre à 15 mds €, soit 0,6 point de PIB.

Aujourd’hui, ces baisses d’impôt doivent s’entendre dans une situation des finances publiques dégradée, suite au soutien au secteur bancaire et à l’économie. Notons, que le sujet majeur des banques allemandes qui a été évité lors de la campagne -si ce n’est la proposition du FDP, de responsabiliser les dirigeants de banques-, reste à traiter par le nouveau gouvernement.

Retour programmé à la rigueur budgétaire

Au prix d’efforts douloureux, notamment la réduction des indemnités chômage et une hausse de la TVA de 3 points, l’Allemagne était parvenue à ramener ses finances publiques à l’équilibre et à réduire sa dette à 65% du PIB en 2007. Les marges de manœuvre budgétaires dégagées avant la crise ont ainsi permis à la grande coalition de soutenir l’économie, à hauteur de 1,5 points de PIB cette année et de 2 points l’an prochain. Une crise financière et économique plus tard, le déficit public s’élèverait à 5% du PIB cette année et au-delà de 6% l’année prochaine, tandis que la dette publique se rapprocherait des 80% du PIB en 2010.

Dans ces conditions, des baisses d’impôts sont-elles réellement envisageables ? Dans l’hypothèse de la CDU d’une réduction de 2 points de la tranche marginale, le coût serait de l’ordre de 4 mds €, soit 0,16 points de PIB seulement. Ce « petit » cadeau fiscal en faveur des ménages ne serait pas si coûteux, mais son impact sur la consommation pourrait être limité, dans la mesure où les Allemands savent à quoi s’attendre dans les prochaines années, à savoir une austérité budgétaire d’ores et déjà programmée.

En effet, cet été, les deux chambres ont voté un amendement à la constitution prévoyant que le déficit structurel sera limité à 0,35% du PIB à partir de 2016, avec une marge budgétaire en cas d’événements exceptionnels (récession, catastrophe). Aujourd’hui, le déficit structurel dépasserait les 2% du PIB et doublerait l’année prochaine (selon la Commission Européenne). Si le petit coup de pouce fiscal est accordé pour 2010 (au moins la hausse de la part enfant dans le calcul de l’IR), une correction du déficit implique, de toute façon, soit une hausse d’autres recettes – non évoquée pour l’instant par la nouvelle coalition – soit une baisse des dépenses. On peut donc raisonnablement s’attendre à une hausse des impôts après 2010, d’autant que la démographie allemande n’autorise pas une réduction des cotisations vieillesses et de santé, au contraire. A ce sujet, les libéraux ont proposé de financer la santé via l’impôt (taxe sur le tabac, proposée par la CDU) et non plus uniquement sur la base des salaires, ce qui constitue un changement majeur.

Selon nos calculs, afin de stabiliser le ratio dette/PIB à son niveau de 2010 (79,5%), un léger excédent primaire serait nécessaire en 2011. Pour ensuite réduire la dette sous les 60% en 2017, l’excédent primaire devrait augmenter progressivement jusqu’à 4,5 points de PIB en 2015.

Conclusions

La victoire d’Angela Merkel, renforcée par la présence du FDP dans la nouvelle coalition est de nature à donner davantage de poids à l’économie de marché et ouvre a priori la voie à la poursuite de la politique de gains de compétitivité. Le programme du centre-droit vise à accroître le potentiel de croissance de l’économie allemande (dépenses d’éducation, mesures en faveur de la natalité et du travail des femmes). Mais il s’agit de mesures coûteuses, nécessitant au préalable d’avoir retrouvé une marge de manœuvre budgétaire, alors que la constitution impose désormais un ajustement à marche forcée des finances publiques.

Etant donné sa prépondérance économique au sein de l’UEM, la volonté affichée par l’Allemagne d’assainir ses finances publiques à moyen terme constitue incontestablement un exemple à suivre – probablement sous la contrainte – pour ses partenaires européens. L’assainissement des finances publiques doit être généralisé, au risque de voir la désaffection des investisseurs stigmatiser les retardataires. Dans ces ajustements budgétaires d’après-crise se jouera la crédibilité de l’euro.

NOTES

  1. Parti de l’Union chrétienne-démocrate