par Stéphane Monier, Directeur des investissements chez Lombard Odier
- La stabilisation de l’inflation américaine et l’amélioration du marché de l’emploi incitent la Fed à réduire ses mesures de relance monétaire
- Les pressions inflationnistes s’atténuent et la Fed se concentre sur une reprise généralisée de l’emploi
- Une première réduction des achats d’actifs pourrait intervenir dès novembre déjà, avec un « décollage » des taux en 2023
- Nous suivons de près la normalisation de la politique monétaire de la Fed et ses conséquences pour les classes d’actifs.
Le 27 août 2021 à l’occasion du symposium économique annuel de Jackson Hole, qui s’est tenu virtuellement pour la deuxième année consécutive en raison de la pandémie, le président de la banque centrale Jerome Powell a déclaré que l’économie américaine répondait désormais au critère de « nouveaux progrès substantiels » fixé par la Réserve fédérale. Sur la base des signes indiquant un certain tassement de l’inflation et une amélioration des chiffres sur l’emploi, « il pourrait être approprié de commencer à réduire le rythme des achats d’actifs cette année », a-t-il ajouté. Une fois cette réduction achevée, la Fed pourra entamer le processus de relèvement des taux directeurs. Toutefois, M. Powell a réaffirmé que le « timing et le rythme de cette future réduction des achats d’actifs » ne constituera pas « de signal direct » pour le calendrier des hausses de taux d’intérêt.
La Fed a réagi à la crise du Covid rapidement et de manière agressive par le biais d’achats d’actifs. Depuis mars 2020, la banque centrale a ainsi acheté chaque mois pour 120 milliards de dollars de dette publique américaine et de titres adossés à des crédits hypothécaires. Ses interventions ont calmé les marchés, permettant aux États-Unis de surmonter les pires conséquences de la crise économique la plus aiguë de son histoire. La combinaison entre des taux d’intérêt historiquement bas et ces achats d’actifs a permis aux marchés boursiers d’atteindre des niveaux record cette année, avec des entreprises qui financent plus facilement leur dette et des investisseurs en quête de rendements. Au fur et à mesure que l’économie américaine a émergé des confinements, la demande des consommateurs et les goulets d’étranglement liés à l’offre ont alimenté l’inflation, en particulier dans les secteurs les plus touchés par le Covid, comme les voyages, les sorties au restaurant et les achats de véhicules d’occasion.
Rétrospectivement, la mise en œuvre des mesures de soutien à l’économie au début de la pandémie a été la partie facile. La reprise post-Covid présente bien des défis pour la politique monétaire. Depuis que la Fed a lancé ses achats d’actifs en 2020, les investisseurs se demandent comment elle y mettra fin. Personne ne souhaite revivre le « taper tantrum » de 2013, lorsque la Fed a surpris les marchés avec un plan de suppression progressive de l’assouplissement quantitatif. Les marchés émergents sont particulièrement vulnérables à la hausse des taux américains, car ceux-ci impactent directement le coût du financement d’une grande partie de leurs emprunts existants, tout en réduisant leur capacité à emprunter davantage.
Des mesures plus larges du marché de l’emploi
C’est pourquoi M. Powell met un point d’honneur à communiquer clairement. La semaine dernière, il a réitéré son objectif « de plein emploi et de stabilité des prix », dans cet ordre, lorsqu’il a discuté du plan de retrait des mesures de relance et de relèvement des taux directeurs. Avec le ralentissement de l’inflation en juillet, le président de la Fed a par quatre fois qualifié de « transitoires » les flambées des prix et a fait référence onze fois à « l’emploi maximum » comme critère de relèvement des taux d’intérêt. Il n’est pas encore clair si, par « emploi maximum », il entend ramener les États-Unis au taux de chômage de 3,5%, le plus faible depuis 50 ans et enregistré en février 2020, juste avant la pandémie. Il semble probable que la Fed envisage des mesures plus vastes.
L’économie américaine a créé 943 000 emplois en juillet, son amélioration la plus rapide en presque un an. Les taux de chômage des Afro-Américains sont proches de leurs plus bas historiques des cinq dernières décennies, et le nombre de travailleurs du groupe d’âge « de forte activité », un chiffre non affecté par le vieillissement de la population et la mesure préférée de M. Powell, s’est également amélioré. Toutefois, certaines parties du marché de l’emploi n’ont pas suivi le rythme de la reprise, et le taux de chômage, qui a culminé à 14,8% en avril 2020 avant de redescendre à 5,4% en juillet de cette année, masque un recul de la participation au marché du travail. Les Etats-Unis enregistrent 5,7 millions d’emplois de moins qu’avant la crise du Covid. Certes, des opportunités réapparaissent dans la restauration, l’hôtellerie et le divertissement, mais de nombreux salariés semblent avoir déserté le marché.
Le bilan de la Fed
Grâce à ses achats d’actifs mensuels, la Fed a acquis plus de
4 000 milliards USD d’actifs durant la pandémie, soit 18% du produit intérieur brut de l’économie américaine, et a presque doublé son bilan à 7 450 milliards USD depuis février 2020 (cf. graphique). En supposant qu’il n’y ait pas de surprise, si la Fed devait réduire ses achats d’actifs à partir de janvier 2022, de 10 milliards USD par mois sur les 120 milliards USD actuels, son bilan total atteindrait 8 300 milliards USD.
La taille du bilan de la Fed est importante, car les achats d’obligations gouvernementales dans le cadre de l’assouplissement quantitatif laissent moins de valeurs « refuges » à disposition des investisseurs, les incitant ainsi à investir leurs portefeuilles dans des actifs plus risqués. Cela peut à son tour assouplir les conditions financières, un effet qui, autrement, ne peut être obtenu qu’en abaissant les taux d’intérêt.
La générosité d’une politique plus serrée
Les discussions autour du calendrier de la réduction des achats d’actifs ne doivent pas occulter le fait que, si le processus devait commencer en janvier de l’année prochaine, la Fed achèterait encore 1 140 milliards de dollars d’actifs supplémentaires d’ici novembre 2022. Sur ce total, 660 milliards de dollars seraient acquis en 2022, en plein processus de réduction, et vraisemblablement à un moment où l’économie américaine se dirigerait vers le plein emploi avec une inflation autour de 2%.
Quoi qu’il en soit, même si le processus de réduction progressive des achats d’actifs devait commencer en novembre, suite à une annonce faite à l’occasion de la prochaine réunion du comité de politique monétaire (FOMC) les 21 et 22 septembre, la Fed achèterait encore 900 milliards USD d’actifs.
Des économistes, dont Larry Summers, ancien secrétaire d’État au Trésor américain et professeur à l’Université de Harvard, ont mis en avant les chiffres américains positifs et appelé à une fin de l’assouplissement quantitatif beaucoup plus rapide que celle prévue par la Fed. M. Summers affirme également que la Fed sous-estime le risque d’inflation aux États-Unis.
Face à une demande des consommateurs qui pousse l’inflation au-delà de l’objectif de la banque centrale, la réponse de M. Powell est que l’approche de ciblage de l’inflation sur le moyen terme, dévoilée il y a un an, sera suffisamment flexible pour répondre à l’évolution des données. En effet, ce cadre permet à la Fed de « tolérer » les poussées inflationnistes temporaires plutôt que de procéder à un relèvement systématique des taux directeurs en réponse à la hausse de l’inflation.
Au rythme actuel de la reprise économique aux États-Unis, nous pensons que l’achèvement de la réduction des achats d’actifs sera suivi d’une première hausse des taux directeurs et d’une période de stabilité de la taille du bilan de la Fed, mais pas avant janvier 2023.
Le mandat de quatre ans de M. Powell en tant que président de la Fed se termine en février 2022. Le président Joe Biden devrait le reconduire dans ses fonctions pour un second mandat ; il bénéficierait déjà du soutien de sa prédécesseure à la Fed, la secrétaire au Trésor Janet Yellen. Le premier mandat de M. Powell a mis à l’épreuve sa capacité à protéger les États-Unis des pires conséquences de la crise du Covid. Son second mandat sera défini par son habilité à réduire son soutien à l’économie sans précipiter cette dernière dans une nouvelle récession si les taux d’intérêt augmentent et le coût de la dette croît. Cela signifie que les taux d’intérêt américains ne reviendront pas aux niveaux d’avant la pandémie avant la fin de ce second mandat, c’est-à-dire vers 2025.