par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM
Lors de l’Accord de Paris sur le climat, en décembre2015 et mis en application en novembre 2016, les 196 pays et parties s’étaient initialement engagés à limiter la hausse de la température du globe à 2 degrés au-dessus de la moyenne préindustrielle. La température mesurée au moment des négociations était déjà proche de 1 degré. Le caractère irréversible de la hausse des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) et les effets persistants des GES déjà émis empêchaient tout retour en arrière. Il ne fallait pas franchir le pallier suivant de 2 degrés.
L’histoire ne s’est cependant pas arrêtée là. Lors de l’accord de Paris, il n’y a pas eu, contrairement à l’accord de Kyoto, de distinction entre pays développés et pays en développement. Une fois levée ce distinguo, qui avait été au cœur des désaccords de la COP 15 de Copenhague en 2009, des petits pays ont pu élever la voix et s’interroger sur ce chiffre de 2 degrés puisque, le réchauffement climatique est une menace pour ces petits pays qui subiraient de plein fouet la hausse du niveau des océans.
Cet appel a été entendu et le GIEC a été chargé de rédiger un document de recherche sur l’intérêt de cibler 1.5 degrés plutôt que 2. Le rapport a été publié en 2018. Il montre le caractère non linéaire sur l’environnement global du passage de 1.5 à 2 degrés. L’accélération dans la dégradation est telle entre les deux états que l’objectif explicite est devenu 1.5 plutôt que 2. En conséquence, si la trajectoire ne converge pas effectivement vers 1.5, l’objectif ne peut pas être défini à 2. C’est une marche trop grande et avec trop de conséquences négatives.
C’est ainsi que la neutralité carbone est désormais calée sur 1.5 degrés à l’horizon 2050.
Pour prendre deux exemples parmi les nombreux points développés dans ce rapport, une température de 2 degrés c’est un été sur dix sans glace dans l’océan arctique contre un sur cent avec 1.5. C’est aussi 2 millions de kilomètres mètres carrés de pergélisol sur 14 qui seraient épargnés avec 1.5 et donc moins de libération de méthane qui est un puissant GES. Des exemples multiples sur cette accélération des effets entre 1.5 et 2 se constatent dans la biodiversité, l’agriculture, la productivité de l’économie, la montée des océans, la multiplication des événements climatiques ou la désertification et capacité à vivre dans certaines zones du globe.
C’est en raison de cette non linéarité qu’il y a urgence à agir très vite même si l’objectif de 1.5 degrés sera très difficile à atteindre. Les tendances récentes des pays parmi les plus grands émetteurs de GES ne permettent pas de conclure que l’on convergera vers 1.5 degrés. Il faudra s’en rapprocher le plus possible et s’écarter le plus rapidement possible de la tendance actuelle, celle qui mène vers 3 degrés.
L’autre point à souligner est que le changement ne s’opérera pas en 2050. Il est déjà là et doit nous forcer à agir. Les dômes de chaleur au Canada, en Espagne ou ailleurs tout au long de l’été, l’Amazonie qui n’est plus un puit de carbone, les feux de forêts aux USA, en Grèce et en Turquie ou les pluies torrentielles en Allemagne, en Chine ou à New York en témoignent.
La multiplication de ces événements climatiques ont un coût économique et humain. Le risque est d’attendre davantage, d’attendre trop longtemps pour intervenir et cela pour des raisons politiques puisque la prise en compte du changement climatique apporte des bouleversements profonds alors que le monde est conservateur.
La rupture qui sera, si l’on attend, de plus en plus brutale pour faire face aux bouleversements sera portée par les générations futures à partir d’une température qui sera trop élevée. Nous en serons comptables devant nos petits enfants.
Le défi peut s’exprimer de la façon suivante pour tendre vers la neutralité carbone.
- Au sein des pays développés les émissions par personne devront être stabilisées. Les émissions globales augmentent mais la population évolue lentement. La stabilisation des émissions par tête est atteignable.
- Au sein des pays émergents, la dynamique des émissions est importante mais le nombre d’habitants progresse rapidement. Les émissions par personne ne sont pas stabilisées.
- La troisième composante de l’équation est la hausse de la population. Elle continue d’augmenter à un rythme élevé, un peu plus de 1% par an.
La stabilisation des ces trois grandeurs n’est cependant pas suffisante car les émissions passées continuent de nourrir la concentration en carbone de l’atmosphère. Pour maintenir constante la concentration en carbone alors il faut que les différentes grandeurs se contractent. C’était un point évoqué dans le dernier rapport du GIEC.
On peut avoir la représentation suivante en considérant que l’évolution nulle des composantes n’est pas suffisante puisque les émissions du passé continuent de provoquer une accumulation de CO2 dans l’atmosphère. Il faut aller au-delà de la nullité des composantes pour stabiliser le CO2 dans l’atmosphère.
Au regard de cette équation, soit les trois composantes sont à zéro, soit une composante continue d’augmenter et les deux autres doivent compenser. L’histoire, ici, se complique forcément. Les pays qui émettent le plus sont en phase de rattrapage par rapport aux pays développés alors que le stock de carbone accumulé dans l’atmosphère résulte de la révolution industrielle et de ses développements. Les enjeux ne sont pas les mêmes et l’effort n’est pas de même nature.
Les engagements qui seront pris à Glasgow sont donc essentiels alors que la trajectoire actuelle est à +16% d’émissions entre 2010 et 2030 pour un objectif à -45% sur la période pour se donner les chances de la neutralité carbone.