Etats-Unis : le réveil de la Force

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

•  La Fed confirme ce qui était attendu : le taux cible des fonds fédéraux est relevé de 25 points de base. Mais les décisions vont au-delà de cette seule hausse de taux. Dans un contexte de réserves excédentaires colossales, la Fed a besoin d’instruments additionnels pour assurer la bonne mise en œuvre de sa politique.

•  Ainsi, le taux de rémunération des réserves, celui de l’escompte ainsi que les limites aux opérations de prise en pension ont tous été relevés. La Fed va étroitement surveiller l’efficacité de ces outils sur le fonctionnement du marché des fonds fédéraux.

  Maintenant que la première hausse de taux est derrière nous, la Fed peut mettre pleinement l’accent sur le gradualisme qu’elle compte adopter. La normalisation sera lente et les taux ne toucheront pas leur niveau d’équilibre estimé avant 2019.

La très attendue première hausse de taux a été annoncée cette semaine. L'un des points cruciaux de cette décision est l'unanimité avec laquelle elle a été prise. Un tel consensus n'avait rien de certain, après les déclarations de deux des cinq membres du Conseil des gouverneurs. Janet L. Yellen aura réussi à construire l'unanimité, un atout pour la crédibilité de la Fed.

Plus qu’une hausse de taux…

Le 16 décembre 2015, le FOMC a donné le coup d’envoi du cycle de resserrement monétaire, mettant fin à sept années de politique de taux zéro. La décision, pré-annoncée et pleinement anticipée, a été rendue publique avec le détail des outils opérationnels qui seront mis en œuvre afin d’assurer le contrôle ferme des taux courts par la Fed. En fait, l’augmentation du taux effectif des fonds fédéraux – taux auquel les institutions s’échangent les liquidités – en ligne avec le taux cible des fonds fédéraux – soit le taux d’intérêt auquel la Fed veut voir les liquidités s’échanger – n’est pas aussi automatique qu’en temps « normal », du fait de l’expansion de la taille du bilan de la Fed et notamment des volumes de liquidités excédentaires. Les trois phases de l’assouplissement quantitatif (Quantitative easing ou QE) ont suivi le même mode opératoire : la Fed a racheté des titres1 auprès d’institutions « sélectionnées »2. L’opération a entraîné une augmentation des actifs de la Banque centrale (portefeuille de titres) et donc de son passif, la Fed créditant les comptes de réserve des acquéreurs.

Ces programmes d’assouplissement quantitatif ne conduisent ainsi pas directement à la création monétaire. La base monétaire, qui comprend les réserves excédentaires du système bancaire, est bien gonflée. Mais pour qu’il y ait création monétaire, le système bancaire doit procéder à une production de nouveaux crédits. Ce n’est qu’alors que « la planche à billets » est véritablement activée. Si le crédit bancaire a certes été dynamique, grâce aux actions de la Fed, les liquidités associées au QE ne se sont pas entièrement transformées en monnaie. Les réserves des institutions de dépôt ont augmenté bien plus que l’agrégat M1 et restent très élevées. Au 16 décembre, ces réserves excédentaires représentaient USD 2 460 mds, soit 13,9% du PIB, contre USD 20 mds et 0,1% du PIB en juillet 2007. Ces réserves excédentaires rendent d’autant plus difficile le pilotage par la Fed de la remontée du taux effectif des fonds fédéraux.

En temps « normal », la Fed pilote le marché monétaire en fixant un objectif de rémunération des liquidités (le taux cible des fonds fédéraux). Elle augmente ou diminue les réserves bancaires (par l’achat ou la vente de titres) de sorte que le prix du marché (taux effectif des fonds fédéraux) atteigne l’objectif fixé par le Comité de politique monétaire (Federal Open Market Committee, ou FOMC). Dans un contexte de réserves excédentaires extrêmement abondantes, ces mécanismes peuvent se révéler inopérants. Le risque est alors, pour la Fed, de perdre le contrôle des taux courts, le taux effectif des fonds fédéraux demeurant en-deçà du taux cible. La Fed devait donc trouver un moyen d’empêcher les réserves excédentaires d’interférer dans le fonctionnement du marché des fonds fédéraux. Bien en amont de la décision de cette semaine, la Fed avait exposé les « Principes et plans relatifs à la normalisation de la politique monétaire »3. La Fed respecte en tout point les préceptes qu’elle a elle-même édifiés4. Les principaux instruments utilisés seront la rémunération des réserves excédentaires et les opérations de prise en pension (reverse repo). Sous la présidence de Ben Bernanke, la Fed a commencé à rémunérer les réserves excédentaires5, un outil de politique monétaire visant à fixer de facto un plancher pour les taux courts. Le taux IOER (taux payé sur les réserves excédentaires) a été relevé cette semaine à un niveau égal à la borne haute de la fourchette cible du taux des fonds fédéraux, soit à 0,5%, contre 0,25% précédemment. Cependant, il est apparu empiriquement que cet instrument seul ne pouvait garantir efficacement un taux « plancher »6 et devait donc être complété par d’autres outils.

Si la Facilité de dépôt à terme (Term Deposit Facility ou TDF, créée en 2010) pourrait permettre de drainer les liquidités, ce sont les opérations de prise en pension au jour le jour (overnight reverse repurchase agreements ou ON RRP) qui seront principalement utilisées. Bien qu’a priori plus complexes que la TDF, les opérations de prise en pension sont très similaires dans le sens où la Fed draine temporairement des liquidités contre le paiement d’intérêts. Les différences portent sur la durée des opérations (7, 14 ou 21 jours pour la TDF, 24 heures pour les ON RPP) et sur les montants (dans les opérations TDF les plus récentes, le montant maximum de l’offre par institution était de USD 5 mds). Enfin, les institutions éligibles varient d’un outil à l’autre : la TDF n’est accessible qu’aux institutions éligibles à la rémunération de leurs réserves excédentaires par la Réserve fédérale ; en revanche, les opérations de prise en pension sont ouvertes à un nombre bien plus grand d’intervenants7, dont les primary dealers de la Fed de New York, les banques, les MMF (Money Market Funds) et les GSE (Government-Sponsored Enterprises).

Dans le cadre du mécanisme de prises en pension, la Fed cède des titres à une contrepartie éligible (moyennant la conclusion d’un accord de rachat ferme à un prix et une date spécifiés) et les réserves de la banque, détenues auprès de la Fed, sont « immobilisées » d’autant. L’efficacité de ces opérations a été testée depuis septembre 2013, et la période de test a été prolongée à plusieurs reprises. Avant la réunion du FOMC en décembre, le plafond des opérations était fixé à USD 300 mds8.

La période de test est désormais terminée et les modalités du mécanisme ont été annoncées. Les opérations de prise en pension au jour le jour seront proposées sur la base d’un plafond individuel de USD 30 mds et le taux offert est égal à la borne basse de la fourchette cible du taux des fonds fédéraux, soit 0,25%. Le montant total servi sera limité uniquement par la valeur des Treasuries détenues par la Fed, soit, d’après les données de la Fed de New-York, environ USD 2 000 mds. Des prises en pension à terme seront également proposées. Les rois prochaines auront lieu entre les 18 et 30 décembre, pour un montant global maximum de USD300mds pour une arrivée à échéance les 4 et 5 janvier.

Finalement, le taux de l’escompte – le taux auquel les Fed régionales prêtent des liquidités par le biais de la fenêtre de l’escompte9 (techniquement, le « primary credit rate ») – a également été relevé, passant de 0,75%, niveau qui était le sien depuis le 18 février 2010, à 1,00%.

Et maintenant ?

La première hausse est passée, certainement au grand soulagement des membres du FOMC qui ont toujours minimisé l’importance de cette première étape. La Fed va désormais pouvoir mettre encore davantage l’accent sur le gradualisme qu’elle compte donner au resserrement. Lors de la réunion de cette semaine, les membres du FOMC ont actualisé leurs projections du taux cible des fonds fédéraux, de croissance du PIB, de taux de chômage et d’inflation (glissement annuel du déflateur de la consommation privée). Les fameux « dots » (représentation graphique des projections du taux cible des fonds fédéraux) ont légèrement migré à la baisse, comme nous l’avions prévu après les allocutions récentes de Lael Brainard et Daniel K. Tarullo, mais pas à court terme. Les membres du FOMC continuent de tabler sur quatre relèvements de taux par an jusqu’en 2018. A cette date, les taux demeureraient inférieurs à leur niveau d’équilibre estimé : le cycle de resserrement qui vient de débuter est appelé à être le plus long de l’histoire de la Fed.

Très rapidement, une question cruciale va se poser : celle du portefeuille de titres. Comme cela a été clairement indiqué, la Fed ne prévoit pas de céder son portefeuille d’Agency MBS, conservant les titres jusqu’à l’échéance. Les encours de titres qui restent susceptibles d’être revendus, soit la dette d’Agences et les titres du Trésor, sont de, respectivement, USD 34 mds et USD 2 462 mds. La question de la vente ne devrait pas se poser, pour la Fed tout du moins, avant longtemps, et la première mesure serait de mettre fin à l’actuelle politique de réinvestissement, en titres du Trésor, des tombées de dette.

D’une certaine façon, la Fed est de nouveau en territoire connu : faire en sorte que la croissance économique se poursuive à un rythme suffisant pour stabiliser le taux de chômage, sans être trop soutenu afin de ne pas alimenter de tension, sur les prix ou la stabilité financière. Certes, les choses sont quelque peu différentes cette fois, la croissance doit être suffisamment forte pour absorber le sous-emploi résiduel et relancer l’inflation. Cette tâche est, pour la Fed, bien plus habituelle que celle à laquelle elle a dû s’atteler dans un passé pas si lointain où la déflation était le principal risque. C’est une question de dosage et les membres du FOMC sont bien décidés à adapter leur politique au fur et à mesure, d’où la dépendance des décisions à la conjoncture. Que la force soit avec eux !

NOTES

  1. Treasuries (obligations de l’Etat fédéral), Agencies (dette émise par les « Agences », soit les institutions parapubliques de refinancement hypothécaire (Fannie Mae, Freddie Mac and Ginnie Mae) et Agency MBS (mortgage-backed securities, titres de dette adossés à des prêts hypothécaires, garantis par ces mêmes Agences).
  2. Opérateurs intervenant sur le marché primaire de la Réserve fédérale de New York.
  3. « Policy Normalization Principles and Plans ou Principes et plans relatifs à la normalisation de la politique monétaire », 17 septembre 2014.
  4. Voir note de mise en œuvre de la Fed à l’adresse suivante: http://www.federalreserve.gov/newsevents/press/monetary/20151216a1.htm
  5. La Fed verse également des intérêts sur les réserves obligatoires depuis cette même date. Dans un premier temps, le taux de rémunération des réserves obligatoires (IORR) était plus élevé que le taux IOER. L’écart entre les deux s’est rapidement comblé au point d’être égal à zéro en l’espace d’un mois. Avec la normalisation de la politique monétaire, cet écart pourrait bien redevenir d’actualité
  6. Pour les détails, voir « Overnight RRP Operations as a Monetary Policy Tool: Some Design Considerations », Josh Frot and al, Conseil de la Réserve fédérale, Finance and Economics Discussions Series, 2015-010.
  7. La liste complète des institutions est disponible sur le site Web de la Fed de New York, https://www.newyorkfed.org/markets/expanded_counterparties.html
  8. Pour plus de détails, voir le site de la Fed de New York (https://www.newyorkfed.org/markets/rrp_faq.html).
  9. Il existe trois programmes de prêts accordés par le biais de la fenêtre de l’escompte : « primary credit », « secondary credit » et « seasonal credit », chacun étant assorti de son propre taux d’intérêt. Dans le cadre du programme « primary credit », les prêts sont accordés sur un délai très court (en général, au jour le jour) aux institutions de dépôt solvables. Les institutions de dépôt qui ne sont pas admissibles au programme « primary credit » peuvent se tourner vers le « secondary credit ». Le programme « seasonal credit » concerne des institutions de taille plus modeste, dont les besoins de financement varient en cours d’année, comme les banques finançant l’agriculture ou le tourisme.

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