Etats-Unis : les banques, la Fed et l’économie

par Aurore Wannesson-Raynaud, stratégiste d’Axa Investment Managers

Le président de la Fed, Ben Bernanke a déclaré lors de son audition semestrielle devant le Congrès le 24 février dernier que « si les mesures prises par le gouvernement, le Congrès et la Réserve fédérale réussissent à restaurer une certaine stabilité financière – et dans ce seul cas, à mon avis –, il y a une perspective raisonnable pour que la récession s'achève en 2009 et que 2010 soit une année de reprise ».

Alors que le Président Obama a signé un plan de relance de 787mdsUSD (American Recovery and Reinvesment Act of 2009), deux problèmes majeurs se posent encore. Tout d’abord, le bilan des banques a besoin d’être assaini. Ensuite, la mise en place d’une politique de réduction des saisies immobilières doit être accélérée afin d’éviter que la hausse des défauts ne viennent détériorer davantage le bilan des banques. Le secrétaire au Trésor Geithner et le Président Obama ont récemment présenté des plans pour répondre à ces questions. Seront-ils suffisants pour restaurer la santé des banques et le financement de l’économie ?

Les banques américaines vont-elle si mal ?

L’industrie bancaire a publié ses premières pertes trimestrielles au 4T08 (26,2mdsUSD) depuis la crise des caisses d’épargne en 1990. Au total, les provisions pour créances douteuses, les pertes des activités de trading et les dépréciations d’actifs ont contribué largement à ces pertes. Quatre grandes banques sont responsables de la moitié des pertes, mais la détérioration des résultats est généralisée. En particulier, les provisions pour pertes représentent 50,2% du bénéfice net d’exploitation, soit le double de ce qui avait été provisionné un an auparavant, et équivalent (en %) au niveau de 1987. Du côté des revenus, les marges d’intérêt nettes sont tombées à un plus bas de 20 ans (3,18%).

Etant donné la nature de la crise actuelle, il est par ailleurs important de souligner l’évolution du capital du secteur bancaire. Tout d’abord, le capital total de l’industrie a baissé au 4T08, comme lors des deux trimestres précédents, faisant écho à une forte baisse du goodwill. Mais le capital hors-goodwill a au contraire augmenté, notamment suite aux injections de capital de l’Etat, rehaussant le Tier 1 de l’industrie au-delà de 9%(1). 

Dans les mois qui viennent, pourtant, la détérioration de l’économie et la hausse des défauts qui en résultera affaibliront davantage les bilans des banques, rendant sans doute nécessaires des injections de capital pour préserver la solvabilité du secteur, alors que la Fed ontinuera de fournir la liquidité.

La Fed, inventive pour améliorer la liquidité

Depuis le début de la crise, la Fed a fait son maximum pour fournir de la liquidité au marché, et limiter les effets dévastateurs des faillites de Bear Sterns et de Lehman Brothers. La Fed a ainsi rivalisé d’inventivité en matière de politique monétaire : non seulement M. Bernanke a fournit la liquidité nécessaire au système, mais il a également essayé de détendre les conditions sur les marché du crédit. En 2008, les taux sont portés à zéro et la Fed a initié trois types de mesures visant à rétablir la confiance et la liquidité, pour limiter l’assèchement du crédit. D’abord, la Fed prête directement aux institutions financières, à travers la traditionnelle discount window, mais aussi grâce à de nouvelles fenêtres (TAF, TSLF et PDCF2), qui autorisent des prêts de la Fed à un spectre plus large d’institutions financières, contre une gamme élargie de collatéraux.

Ensuite, la Fed alimente en liquidités des marchés-clé de crédit permettant ainsi un redémarrage du marché des commercial paper (CPFF), et des ABS (ABCP et TALF). Enfin, la Fed se place comme acheteur en dernier ressort pour les titres liés à l’immobilier. La Fed pourrait même acheter des titres longs du Trésor à moyen terme. Tout ceci vise à baisser les taux d’emprunt des ménages et des entreprises. Parallèlement, la politique de taux zéro, en rendant les liquidités moins attrayantes, vise également à rediriger les investisseurs vers les actifs plus risqués. Toutes ces mesures ont permis de garder le système sous perfusion, mais l’affaiblissement du capital des banques a empêché un retour à la normale.

D’autre part, protéger le système financier dans son ensemble a également motivé d’autres décisions. Ainsi, la FDIC(3) a mis en place un programme de garantie (TPLG) des dépôts et dettes en octobre 2008, pour éviter une panique des épargnants. Les dépôts sont intégralement garantis jusqu’en décembre 2009, tandis que seules les dettes senior en dollars, émises entre octobre 2008 et juin 2009, d’une maturité supérieure à trente jours, sont concernées. Ce programme est financé par les taxes payées par les banques à la FDIC, sans contribution publique. La FDIC a indiqué que le programme couvre actuellement 814 mds USD de dépôts bancaires. Le plafond de garanties de dettes est de 1000 mds USD, et 224 mds USD de nouvelles émissions ont jusqu’alors été assurées. Mais les faillites de banques ayant accéléré récemment, le fonds d’assurance de la FDIC a littéralement fondu de près des deux tiers en moins d’un an, pour atteindre 18,9 mds USD au 31 décembre 2008.

Ainsi, une surtaxe d’urgence a été mise en place pour renflouer le fonds. La FDIC estime que les garanties liées aux faillites bancaires coûteront 65 mds USD d’ici 2013.

On compte déjà 16 faillites en 2009, après 25 en 2008 (dont Washington Mutual et IndyMac).

Une bad bank pour accroître la solvabilité ?

 Alors que la Fed semble plutôt bien maîtriser le problème de la liquidité, la solvabilité du secteur bancaire restera en jeu tant que les actifs toxiques resteront au bilan des banques. Elément du plan de stabilité financière (FSP) de Timothy Geithner, le « Public-Private Investment Fund » a été établi pour assainir le bilan des institutions financières. En relation étroite avec la FDIC et la Fed, ce fonds (cousin du TARP4) utilisera l’argent public pour financer l’achat privé d’actifs toxiques. L’idée est de mixer capitaux publics et privés pour résoudre le problème de valorisation des actifs, les investisseurs privés fixant le prix des actifs qu’ils achètent.

De très bonnes conditions de financement pourraient être offertes, même si les détails du mécanisme financier sont encore obscurs. Il s’agira initialement d’un programme de 500 mds USD, qui pourrait être porté à 1000 mds USD.

Nous estimons que la solution n’est que partielle, car il semble difficile aujourd’hui de trouver des investisseurs privés prêts à racheter des actifs toxiques aux banques, ou d’ailleurs de convaincre les banques de vendre ces actifs à un prix proche de zéro. Il nous semble qu’extraire les actifs toxiques des bilans bancaires serait une meilleure réponse. Sinon, nous pourrions continuer à voir des tentatives répétées de sauvetage des principales banques, comme ce fut le cas pour Citi. A sa troisième intervention en février, l’Etat est entré dans le capital de Citigroup à hauteur de 36%. On peut ainsi se demander si l’approche graduelle est la bonne, notamment dans le contexte des « stress tests » du plan Geithner, opérations de transparence et de chiffrage précis des actifs risqués dans leurs bilans. Faisant partie du FSP, le Capital Assistance Program (CAP) concerne toutes les institutions financières, et est obligatoire pour les banques comptant plus de 100mdsUSD d’actifs (19 banques). Un « stress-test » (du 20 février au 30 avril 2009) devra déterminer si les banques ont assez de capital pour continuer d’assurer le financement de l’économie sans mettre en jeu leur solvabilité. Le cas échéant, le CAP fournira le capital nécessaire aux banques.

Ce programme de recapitalisation nous laisse perplexes, et pose d’autres problèmes, comme celui de la dilution des actionnaires, ou du caractère arbitraire de la décision de sauver, ou non, les institutions financières.

Au contraire, une bad bank ou structure de défaisance, bien que coûteuse, nous semble rester le moyen le plus radical de restaurer le bilan des banques. Les banques américaines comptent en effet 1 200mdsUSD d’actifs toxiques, que l’on peut estimer avoir perdu 80% de leur valeur. Si l’Etat les rachète avec une prime, disons à 40% du pair, une bad bank coûterait immédiatement 480mdsUSD au contribuable américain. A terme, à mesure que ces actifs toxiques arrivent à maturité ou peuvent être revendus sur le marché, le coût final serait cependant moindre.

Réduction des saisies immobilières

Un point clé souligné par les constructeurs immobiliers est qu’ils ne peuvent concurrencer le raz de marée de maisons saisies qui arrivent sur le marché à prix cassés. Ainsi, éviter à tout prix les saisies est essentiel à la stabilisation du marché immobilier. Alors seulement une décélération des défauts pourra prévenir une augmentation des créances douteuses au bilan des banques. Ici, le plan récemment annoncé par le président Obama, largement inspiré de l’expérience de la FDIC pour renégocier les prêts d’IndyMac, semble assez bien répondre à la question. Le plan (75 mds USD) devrait aider trois à quatre millions de ménages. Dans les détails, les mensualités des ménages en risque de défaut devraient être abaissées à 38% de leur revenu, via une baisse des taux d’intérêt. Ensuite, l’Etat financerait la seconde étape : un abaissement à 31% du revenu. Le plan mentionne aussi que si la baisse des taux d’intérêt reste insuffisante pour abaisser les mensualités au seuil de 31%, alors le gouvernement financera une réduction du principal également. D’autre part, les nouveaux crédits ainsi redéfinis seront partiellement garantis par l’Etat. Enfin, pour accélérer le processus, les prêteurs comme les emprunteurs se verront offrir des incitations pour renégocier les crédits.

Conclusions

La crise des Savings and Loans a causé la faillite de plus de 1 000 établissements financiers, totalisant plus de 500 mds USD d’actifs. Le coût total (ex-post) de la crise a été estimé à environ 150 mds USD (2% du PIB), représentant l’administration des faillites, l’indemnisation des comptes d’épargne et le paiement des dettes.

Aujourd’hui, le gouvernement pourrait dépenser près de 3 000 mds USD (20% du PIB) pour résoudre la crise financière et bancaire. Cela sera-t-il suffisant ? En effet, les enjeux sont considérables pour l’économie américaine, mais aussi pour l’économie mondiale. Un échec assombrirait les perspectives de croissance pour plusieurs années.

Pourtant, nous pensons que les chances de succès l’emportent toujours sur le scenario alternatif. Mais les Etats-Unis doivent accélérer la résolution de la crise bancaire. C’est le seul moyen de restaurer la confiance et de créer les conditions d’un redémarrage de l’économie.

NOTES

(1) Source des chiffres figurant dans le paragraphe : FDIC, Quarterly banking profile – 4T08
(2) TAF : Term Auction Facility, TSLF : Term Security Lending Facility, PDCF : Primary Dealer Credit Facility
(3) Federal Deposit Insurance Corporation : agence américaine assurant les dépôts
(4) Trouble Asset Relief Program : programme de sauvetage des actifs à risque.