Etats-Unis : Résistance

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

  Malgré la force du dollar et le ralentissement de la demande mondiale, les exportations américaines résistent.

  Le secteur manufacturier a bénéficié du recul du prix des matières premières et des biens intermédiaires importés, et d’une stabilité des coûts unitaires du travail.

  Afin de limiter les pertes de parts de marchés, ces baisses de coûts de production ont été répercutées sur les prix de vente, principalement pour les produits exportés.

  La demande intérieure américaine serait-elle plus solide que la demande mondiale ? C’est le message des indices ISM en octobre.

Depuis l’été 2014, le dollar a enregistré une appréciation marquée. En termes effectifs nominaux (soit une somme pondérée1 des différents taux de change bilatéraux), la monnaie américaine s’est renchérie de 17% contre un panier large de devises, et même de près de 20% si on ne retient que les principales devises internationales2. Si cette appréciation s’explique par différents facteurs, deux d’entre eux dominent : la chute du cours des matières premières (qui a pesé sur les devises des pays exportateurs, comme l’Australie et le Canada), et le différentiel de taux d’intérêt lié aux orientations de politique monétaire (cet effet a joué fortement pour l’euro et le yen).

Une économie qui voit son taux de change s’apprécier craint généralement une détérioration de ses comptes extérieurs : toutes choses égales par ailleurs, les produits exportés deviennent plus chers et les produits importés moins chers. La production nationale, qui perd en compétitivité aussi bien à l’exportation que sur son marché intérieur, peut ainsi souffrir. Ce sont ces effets potentiels qui inquiétaient la Fed. Ainsi la faiblesse des exportations est mentionnée dans le communiqué de presse du FOMC dès le mois de mars (« export growth has weakened ») et les effets du recul des prix à l’importation sur l’inflation le mois suivant (« Inflation continued to run below the Committee's longer-run objective, partly reflecting […] decreasing prices of non-energy imports »).

L’économie américaine semble résister bien mieux que prévu à ce choc. Les exportations en volume ont certes ralenti, mais bien moins que ne le laissaient craindre l’appréciation du dollar et le ralentissement de la croissance mondiale. Hors produits pétroliers, les exportations conservaient un rythme de progression positif au cours des trois premiers trimestres de 2015, bien que limité. Et si les exportateurs américains ont limité les dégâts, c’est aussi du fait de leur politique de prix. En effet, et de façon contre-intuitive, le mouvement d’appréciation du dollar ne s’est pas accompagné d’une hausse mais d’un recul des prix à l’exportation. Ainsi le prix des biens de consommation exportés a reculé de 2,4% entre mars 2014 et septembre 2015.

Ce recul des prix a été permis par celui de certains intrants, comme l’énergie ou des biens intermédiaires importés. Hors produits pétroliers, les prix à l’importation ont reculé de 4% depuis mars 2014, la baisse ayant été particulièrement marquée pour les biens destinés à la consommation intermédiaire de l’industrie manufacturière (-14,4%). Au cours de la même période, les prix du pétrole ont perdu plus de 50%. Dans le même temps, les coûts unitaires du travail sont restés très modérés. Si, pour l’ensemble de l’économie américaine (hors secteur agricole), les gains de productivité sont décevants – au troisième trimestre, la productivité du travail n’a progressé que de 0,4% en glissement annuel, après une moyenne déjà très faible de 0,5% par an depuis le début de 2011 – les évolutions sont bien plus porteuses pour le secteur manufacturier. D’une part, les gains de productivité y sont plus importants3 (2% l’an en moyenne depuis de début de 2011). D’autre part, l’évolution des salaires y est plus limitée : depuis le début de 2011, les rémunérations horaires réelles ont progressé de 5,1% dans l’ensemble de l’économie (en données cumulées) contre seulement 2,7% dans le secteur manufacturier. Ainsi les coûts unitaires du travail dans le secteur manufacturier américain sont sensiblement les mêmes qu’à la fin de 2010, et de 12% inférieurs à leur niveau de la mi-2009.

Grâce au recul des coûts de production, les entreprises américaines étaient en mesure de baisser leurs prix de vente, protégeant ainsi leurs parts de marché. Mais on constate également que cette politique a été davantage appliquée aux marchés d’exportation qu’au marché américain. Ainsi, entre mars 2014 et septembre 2015, les prix des biens de consommation (hors énergie) ont reculé près de quatre fois plus vite à l’exportation (-2,4%) que sur le territoire américain (-0,6%).

Faut-il y voir, de la part des entreprises américaines, une confiance plus forte dans les perspectives de la demande américaine que dans celles de la demande mondiale ? Les évolutions comparées des indices ISM pour les secteurs manufacturier (plus enclin à l’exportation) et non manufacturier (davantage tourné vers le marché intérieur) tendent à confirmer que l’économie américaine se porte mieux que ses principaux partenaires commerciaux. En octobre, l’ISM manufacturier se stabilisait à 50,1, alors qu’il progressait (de 2,2 points) à 59,1 dans le secteur non manufacturier.

NOTES

  1. Trois poids différents sont retenus par la Fed : la part du pays tiers dans les importations américaines, la part du pays tiers dans les exportations américaines et une mesure du degré de compétition entre le pays tiers et les Etats-Unis dans le commerce mondial.
  2. Soit le dollar canadien, l’euro, le yen, la livre sterling, le franc suisse, le dollar australien et la couronne suédoise.
  3. Il faut toutefois rappeler que le secteur manufacturier a tendance à capter les gains de productivité. Si par exemple, une usine externalise sa comptabilité, cela conduira à un bond de sa productivité (sa production restera inchangée, mais ses effectifs reculeront), alors que le cabinet comptable verra probablement le nombre de ses employés augmenter en proportion de la charge supplémentaire de travail, limitant les gains observables de productivité.

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