Faut-il adhérer à un scénario optimiste du net redémarrage de l’économie mondiale ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Depuis l’été dernier, les bonnes nouvelles n’ont pas manqué sur la sphère économique internationale. Au sortir d’une période hiver 2008 – printemps 2009 qui restera dans l’histoire mondiale comme la pire récession des soixante dernières années1, le redémarrage de la plupart des économies a été significatif, voire même, dans beaucoup de cas, plus fort qu’attendu.

Ainsi, en Asie, le rebond concerne l’ensemble des économies, aussi bien celles qui avaient connu une récession profonde (Corée, Hong Kong, Malaisie, Singapour, Taiwan, Thaïlande…) que celles qui avaient plutôt bien résisté à la crise (Chine, Inde, Indonésie…). Dans la région, seul le Japon voit encore son PIB reculer sur un an (- 1,4 %). En Amérique Latine, si des économies comme le Mexique (en raison du faible dynamisme des importations américaines) ou le Venezuela (pour des raisons domestiques) connaissent encore des situations délicates, l’Argentine, le Chili, la Colombie et surtout le Brésil affichent, depuis maintenant plusieurs mois, des progrès significatifs. En Amérique du Nord, tant les Etats-Unis que le Canada ont enregistré des progressions très satisfaisantes de leurs PIB au quatrième trimestre. Dans l’Union européenne enfin, si le redémarrage apparaît plus limité qu’ailleurs (le glissement annuel des PIB reste négatif), la récession est néanmoins terminée.

Dans ce cadre, beaucoup d’institutions ont été amenées à revoir leurs prévisions de croissance pour 2010 et 2011 à la hausse. Le cas le plus significatif concerne le FMI qui, après avoir été, avec raison, parmi les plus pessimistes lors du déclenchement de la « Grande Récession »2, affiche désormais des prévisions relativement optimistes. Dans son dernier exercice de perspectives macro-économiques (qui date de fin janvier), le Fonds monétaire international anticipe ainsi un franc redémarrage des économies développées (croissance supérieure à 2 % tant en 2010 qu’en 2011) et une accélération significative de la croissance dans les pays émergents (croissance supérieure à 6 %). A l’arrivée, selon le FMI, le PIB mondial devrait croitre à un rythme supérieur à 4 % en moyenne au cours des deux prochaines années, soit un niveau plus élevé que la croissance de long terme (3,5 % par an).

Ce regain d’optimisme semble partagé par le consensus des économistes internationaux. Ainsi, en un an, les prévisions du Consensus Forecasts pour la croissance 2010 ont, par exemple, progressé de 1,4 point pour les Etats-Unis et de 0,6 point pour la zone euro.

A bien des égards, nous partageons ce retour à l’optimisme. Nous-mêmes avons revu nos prévisions à la hausse depuis l’été dernier, en particulier concernant la croissance américaine et les zones Asie et Amérique Latine. De même, nous défendons la thèse du découplage entre les économies développées et les économies émergentes.

Toutefois, plusieurs arguments nous poussent globalement à aller moins loin que d’autres dans la défense d’un scénario favorable de reprise progressive, régulière et significative de la croissance mondiale. D’une part, il semble nécessaire de rappeler que, lors des derniers cycles économiques, le redémarrage des économies occidentales s’est effectué en bonne partie grâce à la hausse significative de l’endettement privé. Ainsi, en dix ans, le taux d’endettement du secteur privé non-financier a progressé de presque 50 points de PIB aux Etats-Unis, de 30 points de PIB en zone euro et de 70 points de PIB au Royaume-Uni. Or nous tablons désormais sur un phénomène de désendettement du secteur privé qui, bien évidemment, pèsera sur l’activité et empêchera de retrouver les scénarii favorables observés en sortie de récession au cours des dernières décennies. D’autre part, il nous semble que la vision « lisse et rassurante » de l’avenir a peu de chance de se matérialiser au regard des défis qui s’annoncent pour les prochaines années3 : explosion non-maitrisée des dettes publiques, hausse des créances non-performantes dans certains pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne…) alors que les systèmes bancaires restent fragiles, tensions sociales liées au partage de la valeur ajoutée dans les pays occidentaux…

A l’arrivée, si le scénario d’un retour à la situation très dégradée observée l’an dernier semble peu probable, il apparaît néanmoins que le redémarrage reste fragile et qu’en conséquence, la croissance mondiale, pénalisée par les fragilités des pays occidentaux, aura le plus grand mal à dépasser significativement les 3 % tant en 2010 qu’en 2011.

NOTES

  1. Cf. Bourgeois A. (2009), « Edito : 2009 : la récession la plus forte depuis la Deuxième Guerre Mondiale ! », Eco Hebdo n°19.
  2. Qualifiée ainsi par son Directeur, Dominique Strauss-Kahn, en référence à la « Grande Dépression » des années 30.
  3. Cf. Artus P. (2010), « Qu’est-ce qui peut "casser" la croissance par rapport au scénario consensuel de reprise progressive ? ».

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