Fédéralisme, union bancaire, mutualisation de la dette … quelle voie de sortie pour l’UEM ?

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi AM

Les critiques envers la zone euro sont récurrentes : pas assez fédérale, une gouvernance trop complexe, des outils anti-contagion insuffisants, des divergences d’opinion trop flagrantes, une réactivité insuffisante … Tout cela entraîne chez certains investisseurs défiance voire exaspération.

Certaines critiques sont néanmoins excessives. Il est par exemple inexact de croire que la zone euro ne permet pas de transferts sous prétexte que le budget fédéral représente moins de 2% du PIB de l’Union. Les transferts ont bien lieu : comme aux Etats-Unis lors de la crise financière de 2008, le contribuable est en Europe le prêteur en dernier ressort. Pour certains pays périphériques, pendant de nombreuses années, ils représentaient chaque année entre 1 et 3% de leur PIB.

C’est d’ailleurs pour cela que les pays périphériques ont longtemps été hostiles à l’élargissement de l’Union européenne. Le budget étant fixe (en termes de PIB), cela ne changeait pas grand-chose aux pays payeurs nets. En revanche, cela avait de lourdes conséquences pour les pays receveurs nets, au rang desquels figurait au début, l’ensemble des pays périphériques comme l’Irlande, la Grèce, l’Espagne, le Portugal … Au fur et à mesure des élargissements, des pays receveurs nets recevaient moins du fait du nécessaire partage, voire même devenaient payeurs nets, comme cela fut le cas pour l’Espagne. Ce qui est sûr, cependant, c’est que le fédéralisme est insuffisant, les pays européens ne souhaitant pas abandonner leur souveraineté (budgétaire et fiscale). Mais il y a pire que cela : en fait, une union monétaire comprenant des pays très différents (c’est désormais le cas) ne peut véritablement fonctionner sans un vrai fédéralisme.

Or si la construction de la zone euro a montré par le passé une très grande convergence (parfois seulement apparente, et surtout favorisée par la myopie générale), l’UEM brille actuellement par son hétérogénéité et ses divergences : compétitivité, structures de production, situation financière, coût du travail. Les divergences n’ont jamais été aussi importantes, d’où la nécessité d’un plus grand fédéralisme.

Eliminons d’entrée deux voies possibles, mais extrêmes : La convergence parfaite ne doit pas être un préalable au fédéralisme : Il est inutile d’attendre la parfaite convergence avant de mettre en place une voie fédéraliste, et cela pour au moins quatre raisons :

  • d’une part parce que la convergence parfaite est illusoire, et la phase de convergence des années 1995-2005, caractérisée par l’absence de spreads entre tous les pays, y compris entre la Grèce et l’Allemagne, n’était en réalité qu’une énorme myopie, aussi bien des agences de notation, que des gouvernements, banques centrales, analystes, investisseurs … 
  • d’autre part parce que deux pays différents doivent quand même pouvoir avoir la même monnaie (rien d’étonnant à cela quand on regarde la structure fédérale des Etats-Unis ou du Canada), et ce d’autant plus que la divergence peut simplement être le reflet de spécialisations différentes. Cela peut favoriser des cycles économiques pas tout à fait identiques, ce qui est une richesse, et non un handicap.
  • Ensuite, et c’est un truisme, une fois que les pays sont totalement convergents, identiques le fédéralisme n’a plus ni sens ni intérêt. Autant dire que l’austérité pour réduire les divergences ne doit pas être poussée trop loin.
  • Enfin, les équilibres ne sont jamais stables, et la convergence crée la divergence, et vice versa.

Le fédéralisme ne doit pas pour autant autoriser le laxisme : au-delà de ces remarques, il faut bien garder à l’esprit que l’UEM a permis à certains pays comme la Grèce d’être un « passager clandestin ». La protection des grands pays a finalement permis à certains pays d’être protégés. Ce qui était un atout durant la construction de l’UEM et les premières années s’est finalement révélé comme un lourd handicap et tribut pour les pays du noyau dur. Le fédéralisme doit empêcher cela par des mécanismes de suivi des situations économiques sous-jacentes, mais surtout des mécanismes de correction et de sanction.

L’UEM a gravement failli sur ces points : le pacte de stabilité (et de croissance) n’aura assuré ni convergence, ni stabilité, ni croissance, ni sanction.

Compte tenu de l’ampleur de la crise et de la difficulté pour chaque pays de résoudre seul ses difficultés, les européens doivent franchir une étape supplémentaire pour rassurer sur la pérennité de la zone. Quelles seraient les décisions les plus importantes à ce sujet ? Il est possible de dénombrer 7 initiatives susceptibles de faire avancer ce dossier et d’améliorer la crédibilité de la zone :

  • Une union bancaire européenne
  • Des émissions d’euro-obligations (« eurobonds »)
  • Des émissions d’euro-bons (« eurobills »)
  • Les obligations de projet (« project bonds »)
  • Un Mécanisme Européen de Stabilité (MES) aux activités larges
  • Un Fonds de Remboursement de la Dette Européenne (« European Redemption Fund »)
  • Une union budgétaire (et politique) ?

Nous présentons dans les sections 1.1 à 1.9 les débats tels qu’ils se posaient avant le sommet des 28-29 juin et nous terminons (1.10) sur les conclusions et implications du sommet, dont les avancées sur certains points sont allées bien au-delà des espoirs les plus optimistes. Normal, diront certains, en Europe, les avancées n’interviennent que dans les situations de crise extrême, au pied du mur.

1.1 Une union bancaire européenne est nécessaire

L’idée d’une union bancaire a été lancée par Mario Monti et relayée par Mario Draghi, président de la BCE. Les pays de la zone euro ont une monnaie commune, une banque centrale commune, une politique monétaire commune, mais c’est au niveau local, pays par pays, que sont résolus les problèmes bancaires nationaux. Ce qui apparaissait comme une nécessité ou comme un atout il y a quelques années, est désormais perçu, de l’avis de bon nombre d’observateurs ou d’investisseurs, comme un handicap voire même une déficience. Adopter une union bancaire, cela signifie au moins les préceptes suivants :

  • Accepter l’existence d’un superviseur unique des grandes banques européennes, en lieu et place des différents superviseurs nationaux.
  • Mettre en place un mécanisme de résolution des faillites bancaires, sur la base de la directive de la Commission : se préparer à l’avance à un scénario catastrophe, élaborer des plans de redressement bancaires … tel serait ses objectifs. Selon le récent projet de la Commission, "les autorités de surveillance pourront désigner un administrateur spécial" en cas d'insolvabilité d'une banque, dont le rôle sera d'assainir les finances de l'établissement. Les autorités nationales auraient ainsi le droit de procéder à la vente ou à la fusion d'activités, de créer une banque provisoire, de procéder à une restructuration des dettes de la banque, ou encore de placer les actifs douteux dans une « bad bank », où seuls les actionnaires et les créanciers seraient mis à contribution. Rappelons qu’une « bad bank », c’est une entité juridique spécifiquement créée pour permettre aux institutions financières d’y transférer leurs actifs toxiques. Après avoir acheté ces actifs toxiques, elle les revend aux meilleures conditions de marché possible. Une « bad bank » est soit garantie par l’actionnaire de la banque correspondante, soit prise en charge par l'Etat lui-même.
  • Mettre en place un fonds de garantie des dépôts commun. Actuellement, chaque pays de l’Union européenne offre une couverture des dépôts à hauteur de 100 000 euros par banque. Il s’agirait alors d’organiser la solidarité entre tous les fonds de garantie nationaux, ce qui permettrait, selon la Commission européenne de circonscrire une crise bancaire à un seul pays. Cette proposition se heurte néanmoins actuellement aux réticences des banques de certains pays (du noyau dur, bien évidemment), et des fonds nationaux qui ne souhaitent pas devoir être sollicités pour endiguer les erreurs des autres pays de l’Union. La solidarité et la mutualisation trouvent rapidement leurs limites en période de crise intense. La Commission européenne ne prône pas la mutualisation des fonds de garantie des dépôts, mais la création de fonds de résolution financés par les banques, dont le montant devra atteindre 1% des dépôts dans un délai de 10 ans. Ces fonds n'auraient pas pour vocation de renflouer ou de sauver des banques, mais d’assurer la gestion des défaillances bancaires. Les Etats pourraient cependant avoir la possibilité de fusionner ces fonds avec les fonds de garantie de dépôts.

Il est bien plus facile de mettre en place une union bancaire qu’une union budgétaire et fiscale. En effet, une union bancaire a moins de portée « politique » : elle relève de solutions techniques, alors que l’union budgétaire est d’ordre purement politique, au cœur des identités nationales et des réticences à propos d’abandons de souveraineté. Ce ne sera pas facile pour autant, car il est tout de même question de transferts de pouvoir des autorités nationales à une nouvelle entité fédérale.

Certes, l’Europe s’est déjà dotée d’une Autorité Bancaire Européenne, mais cette dernière n’a aucun pouvoir coercitif … elle pourrait cependant jouer ce rôle. Ce rôle pourrait également être confié – à l’unanimité et sans changement dans le traité européen – à la BCE : elle deviendrait donc superviseur des banques et prêteur en dernier ressort. L’inconvénient, dans un tel cas de figure, serait que l’union bancaire européenne ne concernerait que l’UEM.

Solde primaire (en % du PIB) : Italie vs. Espagne

S’agit-il en effet de mettre en place une union bancaire pour l’Union européenne ou simplement pour la zone euro ? Autrement dit, doit-elle concerner 27 pays ou 17 pays … ou moins ? Si la Commission européenne plaide pour une union bancaire européenne à 27, le Royaume-Uni y est totalement opposé, considérant qu’une supervision bancaire doit concerner l’Union monétaire seulement.

La Commission européenne prépare actuellement un projet d’union bancaire facilitant la liquidation des établissements en très grande difficulté et proposant des mesures de surveillance des banques. Elle travaille également sur un projet de loi de mutualisation des fonds de garantie des dépôts nationaux. Ce projet ne verra pas le jour en pratique avant quelques temps (on évoque 2015 !), ce qui semble bien tard au regard des problèmes bancaires actuels. Notons toutefois que ce dispositif est bien perçu par l’ensemble des pays (l’Allemagne reste néanmoins hostile à la mutualisation des fonds de garantie des dépôts bancaires). Il a en effet parmi ses objectifs un principe sain : ce seront les actionnaires et les créanciers qui paieront la facture, pas les contribuables. Rappelons qu’entre octobre 2008 et octobre 2011, ce ne sont pas moins de 4500 mds d’euros qui auront été injectés dans les établissements financiers européens, soit plus de 35% du PIB de l’Union européenne. Ces montants ont aggravé l’état des dépenses publiques et du portefeuille des contribuables.

1.2 Une union budgétaire (et donc politique) est souhaitable, mais pas réalisable à court terme

Officiellement, l’objectif des traités de l’Union européenne est de parvenir, in fine, à une union politique. Celle-ci serait donc caractérisée par un gouvernement unique, un parlement, et des Etats-membres qui pourraient former la seconde chambre du parlement au sein du conseil de l’UE. L’idée est de décider ensemble de l’utilisation des budgets nationaux, de la détermination des impôts ; cela ferait une grande différence avec la situation actuelle, dans laquelle les européens décident ensemble de l’utilisation de quelques dépenses mises en commun (un équivalent de 1,7% du PIB de l’Union). Cela prendra inévitablement du temps, car il s’agit ici de « déposséder » le Bundestag allemand, le parlement français de leur droit de décision, et notamment du vote des impôts, des dépenses publiques. Cela enlève également de l’intérêt aux programmes politiques nationaux …

Pourtant, c’est bien une union politique, allant de pair avec un gouvernement européen, un budget européen, des transferts européens des pays/zones les plus riches vers les pays/zones les plus pauvres qui est la seule union à même de redonner de la crédibilité à la zone euro et de stabiliser la crise de la dette actuelle. Mettre en place une union bancaire européenne et une union budgétaire représente d’ailleurs les deux piliers du tout récent rapport du MM Barroso, Van Rompuy, Draghi et Juncker (« Towards a genuine economic and monetary union », 26 juin 2012), un document conjoint de la Commission européenne, de la BCE et du Conseil européen.

Le tableau page suivante montre l’évolution des unions classiques, d’une zone de libre échange (1ère étape) à une union économique et monétaire (phase ultime de l’intégration). Il montre également que l’UEM européenne est un peu plus qu’une union monétaire, mais pas totalement une union économique et monétaire : certaines dépenses sont mises en commun, mais pas toutes. Certains abandons de souveraineté ont été acceptés, mais pas tous. Les politiques fiscales et budgétaires sont contraintes, mais elles ne sont pas communes.

Bien évidemment, c’est la dernière phase, celle qui mène à une union économique et monétaire « pleine », qui est la plus difficile, car elle va de pair avec des abandons de souveraineté majeurs. Elle ne peut se faire que si l’ensemble des pays prend conscience de la nécessité de franchir le pas, mais aussi du fait que cela ne se fera pas sans coûts, ni sans concessions.

L’Allemagne a toujours été favorable à cela, ainsi que le rappelait début juin Angela Merkel : « Nous n'avons pas seulement besoin d'une union monétaire, mais aussi de ce qu'on appelle une union fiscale, c'est-à-dire plus de politique budgétaire en commun. (…). Nous avons surtout besoin d'une union politique. Nous devons à l'avenir, pas à pas transférer des compétences à l'Europe, donner des pouvoirs de contrôle à l'Europe ». La France, depuis assez longtemps, n’exprime pas le même enthousiasme à l’égard d’une Europe fédérale. Comme nombreux de ses prédécesseurs, le ministre de l'économie Pierre Moscovici a tout récemment rappelé que la France ne souhaitait pas de « grand soir politique ». « L'Europe a besoin davantage d'intégration fonctionnelle, plutôt que d'une intégration de type purement fédérale. « […] Nous devons fonctionner avec les institutions existantes ».

Compte tenu de l’ampleur de la crise, des déficiences de l’union « incomplète », des besoins actuels de transferts et de mutualisation, mais aussi de la perte de confiance envers la zone euro (institutions, gouvernance, projet global …), il serait sans doute souhaitable que des avancées tangibles vers un peu plus de fédéralisme soient effectives.

1.3 Project bonds (« obligations de projet ») : un vrai potentiel ?

L’idée de relance de la croissance économique n’est pas tout à fait nouvelle. Elle avait été évoquée lors du Conseil européen de décembre dernier, mais ce n’était pas la priorité du moment. Il était surtout question à ce moment-là de restructuration grecque, de dispositif anti-contagion. Les mesures à venir sont de deux ordres :

  • D’une part une augmentation de capital de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) de 10 milliards d’euros, ce qui normalement devrait lui permettre de trouver un peu plus de 50 milliards de prêts pour des entreprises de l’Union européenne, essentiellement des PME ;
  • D’autre part, une meilleure utilisation des fonds structurels : les fonds sont affectés aux zones les moins riches, celles dont le revenu moyen par habitant est inférieur à 75% de la moyenne communautaire, ou celles connaissant des désastres sociaux et industriels ou en restructuration industrielle. Ces fonds sont affectés par le budget européen et gérés par la Commission européenne. Tout le monde s’accorde à penser que ces fonds sont mal utilisés, et surtout avec beaucoup trop de lenteur.

M. Barroso, l’actuel président de la Commission européenne a récemment indiqué que plus de 80 milliards d’euros étaient actuellement disponibles, encore localisés dans les pays « payeurs ». Sous cette forme, l’idée des « project bonds » est nouvelle. Déjà nommées « bébés euro- obligations», ces obligations serviraient à financer des projets d’infrastructure.

80 milliards, 120 milliards d’euros (1% du PIB de la zone), ce n’est bien évidemment pas suffisant pour relancer la croissance de la zone euro. Le seul point positif, c’est que la relance de la croissance en zone euro n’est plus un sujet tabou. Ce qu’il faut désormais, c’est repousser les contraintes des plans d’austérité, et accorder aux pays les plus touchés par la récession un délai plus grand d’exécution de ces plans … à moins d’aller rapidement vers une plus grande mutualisation de la dette longue, ce qui est, à court terme du moins, totalement illusoire.

1.4 Mutualisation de la dette : les euro-obligations ou obligations de stabilité (« eurobonds »)

Évoquer la mutualisation de la dette via les euro-obligations n’est pas nouveau. Jacques Delors, longtemps président de la Commission européenne en avait fait un de ses sujets préférés. L’idée est simple : les membres de la zone euro émettent des emprunts garantis solidairement par tous les pays de la zone euro. Il y aurait donc une solidarité dès le début du financement : les émissions espagnoles seraient garanties par l’Espagne, mais aussi par l’Allemagne, la France …. De quoi freiner la spéculation envers un pays, mais aussi de garantir des taux d’emprunts moins chers pour l’Espagne mais aussi plus chers pour l’Allemagne et certains pays du noyau dur. On estime que le taux d’émission d’une obligation 10 ans serait aujourd’hui compris entre 2,5% et 3%, soit plus de 300 pb plus bas que les taux espagnols et 150 pb plus haut que les taux allemands. Cette dette mutualisée pourrait remplacer la dette actuelle, ou ne concerner que la dette nouvelle. Les modalités restent à définir. L’idée est évidemment séduisante, elle va dans le sens d’une Europe plus fédérale, et nul doute que les euro-obligations verront le jour à échéance plus ou moins lointaine. Si l’Union monétaire passe l’épreuve actuelle, bien évidemment.

Leur apparition à brève échéance nous semble peu crédible. Même si la France tient à cette idée, et que le président du Conseil italien Mario Monti la soutient fermement, les allemands ne veulent pas en entendre parler. Non seulement pour des raisons évidentes de coût d’emprunt, mais aussi parce que l’Allemagne estime – à juste titre, il faut le reconnaître – qu’elle bénéficie actuellement de taux bas grâce à sa rigueur passée. Partager cela avec des pays non disciplinés serait inapproprié, un tel mécanisme n’incitant pas à la rigueur.

La Commission européenne a officiellement ouvert le débat sur la mutualisation de la dette le 23 novembre 2011 via la publication d’un livre vert sur la faisabilité des «euro-obligations» (« Green paper on the feasibility of introducing Stability Bonds », Commission Européenne – 23 novembre 2011).

L’objectif est simple : convaincre les pays réticents à toute forme de mutualisation de la dette souveraine des pays de la zone euro, en particulier l’Allemagne. La Commission a proposé trois formules distinctes pour ce qu’elle préfère appeler des «obligations de stabilité» : elle souhaite ainsi différencier ces titres des titres émis pour financer des projets d’infrastructures, les « project bonds » ou « obligations de projet ».

  • La première formule est une mutualisation totale des dettes souveraines par l’émission de titres obligataires communs. Il s’agit d’un scénario très peu probable, compte tenu de la réticence de certains Etats (Allemangne notamment), mais aussi des délais de réalisation. Il faut en effet pour cela modifier les Traités existants, notamment la section concernant les « bail out » (un Etat ne peut pas en renflouer un autre).
  • La seconde formule est une mutualisation partielle des dettes. Les Etats membres financeraient une partie de leur dette par émission nationale (obligations rouges), et une autre partie en ayant recours aux instruments communautaires (obligations bleues, obligations de stabilité) Cf 1.6. Les taux d’intérêt – et la note de crédit – de ces deux catégories d’obligations seraient par construction différents. Les obligations rouges (garanties par les Etats) seraient subordonnées aux obligations de stabilité. Il reste à définir la portion « rouge » et la portion « bleue » mais cela requiert également une modification du traité européen actuel (chapitre sur les « bail out »).
  • La troisième formule ne nécessite pas de modification du traité européen. Dans ce cas de figure, les Etats de la zone euro garantissent, chacun, une partie des fonds levés par les pays en difficulté. Il s’agit d’un système proche de celui des emprunts du FESF, garantis par les dix-sept pays de la zone euro à hauteur de leur contribution au capital de la BCE.

Le «livre vert» insiste bien évidemment sur l’exigence de mettre en place une surveillance budgétaire renforcée. Faute de mutualisation « de jure », nous assistons depuis un mois à une mutualisation « de facto » de la dette européenne. Les plans de sauvetage du système bancaire espagnol ont en effet entraîné une remontée des taux longs au sein du noyau dur de la zone euro, Allemagne en tête. C’est une situation nouvelle. En 2011, et en dépit des plans d’aide à la Grèce, au Portugal et à l’Irlande, la remontée du risque (hausse du stress financier et de l’aversion au risque, hausse des spreads de crédit, hausse des CDS souverains (y compris allemand) n’avait pas empêché la baisse continue des taux longs allemands. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cette mutualisation apparente n’est pas (pas encore ?) critique car elle ne se traduit pas par des anticipations d’éclatement de la zone euro ou par une chute de l’euro. Il suffit de regarder les taux longs des pays du noyau dur, et notamment de ceux qui avaient souffert en 2011 pour s’en convaincre (il y a quelques semaines à peine, les taux longs français étaient par exemple à leur plus bas historique). Pourtant, on voit clairement des signes de stress, notamment parce que les plans de sauvetage de pays ne sont pas réellement perçus comme des plans de sauvetage de la zone euro. Les manifestations de cette situation sont :

  • La hausse concomitante des taux longs allemands et du CDS souverain allemand, signe que la mutualisation (création du MES) a un effet direct sur les pays garants ;
  • La sous performance des bunds par rapport aux US Treasuries (et aux Gilts) ; 
  • La hausse concomitante des taux longs allemands et des spreads souverains euro contre bunds ;
  • La baisse de l’euro ;
  • La re-corrélation des risques souverains et des risques bancaires.

En fait, la mutualisation du risque souverain ne doit pas s’accompagner d’une hausse de tous les rendements obligataires en zone euro : l’issue normale d’avoir une hausse des taux longs dans les pays du noyau dur et une baisse dans les pays périphériques.

Quelques préalables à la mise en place d’euro-obligations sont nécessaires:

  • On ne peut sans doute pas assurer un financement commun dans n’importe quelles conditions. Comment espérer que des pays laxistes puissent émettre sur le dos des pays rigoureux ? il faut donc en amont des règles budgétaires et fiscales.
  • Avant toute émission, il faudra être en mesure de bien évaluer la situation financière précise des Etats ainsi que leurs besoins réels
  • Emettre des euro-obligations force à modifier les traités européens. Le principe de solidarité rend caduque la clause de « no bail out ».
  • Il faut par ailleurs restreindre la souveraineté des Etats puisque ceux-ci ne peuvent plus voter n’importe quel déficit public. En somme, il faut modifier les constitutions des Etats. Autant dire que cela prend du temps. Quoi qu’il en soit, émettre des euro-obligations est complexe car cela expose chaque Etat-membre – et ses contribuables – à des risques liés aux politiques économiques des autres pays.

Certes, les défenseurs des euro-obligations estiment à juste titre que ce type de mutualisation de dette est de nature à endiguer la crise actuelle, mais elles menacent inévitablement la stabilité financière des pays solides. Au-delà du coût de financement, c’est cela qu’il faut prendre en compte en premier lieu.

1.5 Mutualisation de la dette via les Euro-bons (ou «eurobills») : plus facile et plus rapide ?

Une autre mutualisation est possible, celle des bons du Trésor. Cette proposition (émission d’euro-bons) a vu le jour en décembre 2011, et elle a pour objectif de mutualiser les titres de maturité inférieure à 1 an, dans une limite de 10% du PIB de la zone euro.

Il pourrait donc y avoir quasiment 1000 milliards d’euro-bons. Selon ses auteurs (Christian Hellwig et Th. Philippon : « Eurobills, not eurobonds », 2 décembre 2011), la voie des euro-bons permettrait de sortir de l’impasse des euro-obligations, tout en protégeant les Etats-membres contre un éventuel manque de liquidité, et en évitant la propagation de la crise de la dette vers les banques. Comme pour les euro-obligations, la mise en place n’est pas facile. Il faudrait d’abord commencer par créer une agence de gestion de la dette qui, comme cela est le cas actuellement avec l’Agence France Trésor en France, ou la Finanzagentur en Allemagne, serait chargée d’émettre ces bons du Trésor. Cette agence serait en charge des émissions pour le compte de tous les pays membres, et elle assurerait la répartition entre les pays. Comme pour les euro-obligations, chaque pays aurait des contraintes de déficit budgétaire, stabilité financière, régulation bancaire … S’il ne les respectait pas, les émissions lui seraient « facturées » à un coût plus élevé, soit l’agence lui retirerait la garantie des Etats-membres, soit enfin il lui serait refusé de bénéficier de ses émissions (il serait forcé d’émettre lui-même à un coût plus élevé ses propres bons du Trésor). Un droit de veto pourrait même être accordé aux pays membres qui apportent leur garantie. 

Bien évidemment, dès que les euro-bons verraient le jour, aucun pays ne serait plus autorisé à émettre sa propre dette à court terme (en l’absence d’euro-obligations, il lui serait possible d’émettre de la dette de maturité supérieure à 1 an). Si une partie des émissions d’Euro-bons ne trouvait pas preneur, il serait possible d’envisager que la BCE soit l’acheteur en dernier ressort. Ce n’est ni plus ni moins ce qui se passe actuellement en Allemagne, où la Bundesbank se porte acquéreur de la partie de l’offre qui n’a pas pu être adjugée. Il ne s’agit pas ici de financement direct des Etats, et la BCE pourrait même les revendre à tout moment sur le marché secondaire. On peut également envisager que les Etats-membres soient forcés de racheter cette part à la BCE au cours du trimestre suivant. Dans le pire des cas, ces titres resteraient dans le bilan de la BCE mais viendraient à maturité au bout d’un an maximum, ce qui limiterait grandement le risque de crédit à son bilan.

Les euro-bons permettraient de surmonter les obstacles que l’Allemagne oppose aux euro-obligations. En effet, les euro-bons doivent être renouvelés au moins une fois par an (un effet purement mécanique). A chaque renouvellement, il serait possible aux pays garantissant les émissions d’exercer leur contrôle sur la situation financière des pays emprunteurs. Autrement dit, la garantie apportée n’a qu’une validité d’un an, ce qui pousse à la rigueur et à la transparence des Etats. Ajoutons que les euro-bons ne seraient pas un instrument de sauvetage pour les Etats insolvables, et ne violeraient pas l’esprit du Traité européen. Leur objectif serait d’empêcher qu’un risque de liquidité ne se transforme en crise de solvabilité. Ils pourraient ainsi être mis en place rapidement. Bien évidemment, le taux moyen des euro-bons se situerait entre le taux allemand et le taux des pays périphériques, compte tenu des niveaux de rating et de taux actuels, un inconvénient pour l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche…

Enfin, et cela n’est pas négligeable, un des grands avantages des euro-bons (qui remplaceraient les dettes courtes d’Etats fragiles), est qu’ils seraient considérés par les banques et institutions financières, mais aussi par les régulateurs européens du secteur bancaire, comme le principal, voire même l’unique actif souverain de premier rang. Une place enviable dans le calcul des ratios de liquidité de Bâle III.

La garantie des Etats-membres (l’engagement à rembourser la dette de l’Etat-membre qui ferait défaut) rendrait les euro-bons pratiquement aussi sûrs que la dette à court terme des pays du noyau dur (plus solides, plus liquides …)

1.6 Blue bonds – Red bonds : une mutualisation partielle

L’idée des “Blue bond – Red bonds” est issue d’un article de J. Delpla et J. von Weizsäcker (« The blue bond proposal », Bruegel Policy Brief, mai 2010). Le principe est le suivant : mettre en commun, sous le nom de « blue bonds » (obligations bleues), les dettes des pays de la zone euro ne dépassant pas 60 % de leur PIB. La dette au- delà de 60% du PIB serait par ailleurs sous la responsabilité des différents Etats (« red bonds », obligations rouges) qui en assureraient le financement. Du fait de l’absence de garantie solidaire, ces obligations représenteraient un risque plus élevé.

Il est sans doute utile de mentionner que cette proposition a été pour partie reprise le 6 novembre 2010 par Jean-Claude Juncker (président de l’Eurogroupe), notamment dans la presse française (le Figaro) et la presse allemande (Süddeutsche Zeitung).

La responsabilité des États membres est solidaire et conjointe, mais limitée. En effet, si un État membre est en défaut, les autres pays sont responsables de manière solidaire pour les « blue bonds » (maximum 60% du PIB). Ils ne le sont pas en revanche pour les « red bonds ».

Contrairement aux eurobonds, le risque pour les autres États membres en cas de non- paiement est très limité. Les « blue bonds » représentent une dette privilégiée. Les risques concernent principalement les détenteurs ayant souscrit aux « red bonds ». Dans le cas des eurobonds, si un État membre est en défaut, alors les autres pays sont responsables de manière solidaire … une solidarité qui peut aller jusqu’à 100% de la dette du pays en défaut.

Il est hautement probable que le rating des « blue bonds » soit bien supérieur à celui des « red bonds » compte tenu de la garantie conjointe et solidaire assignée aux premiers. En cas de pression des marchés, les tensions sur les taux d’intérêt et les difficultés de liquidité seraient bien plus perceptibles sur les « red bonds » que sur les « blue bonds ». Ces derniers seraient extrêmement liquides et sûrs (remboursés avant toute autre dette publique, et seul le FMI aurait un statut de super séniorité), tandis que les « red bonds » pousseraient à la vertu financière des Etats. Les Etats auraient la possibilité de retirer ou de confirmer leur garantie chaque année au regard des politique budgétaires et fiscales des autres Etats-membres.

Les « red bonds » seraient considérés comme la tranche junior de la dette publique. Autrement dit, le remboursement de cette dette interviendrait après le remboursement de la dette constituée par les « blue bonds ». Ils ne seraient jamais garantis par un autre pays ou un groupe de pays, et ils ne seraient jamais achetés par le FESF ou le MES. La clause « no bail-out » mentionnée dans le traité européen s’appliquerait complètement pour cette partie de la dette. Les auteurs préconisent par ailleurs que les « red bonds » ne puissent pas être éligibles à la BCE, ce qui veut dire que les banques n’en détiendraient pas.

1.7 Les Union-obligations (« Union bonds ») : une mise en application difficile

Ainsi que nous venons de le voir, différents types d'obligations ont fait l’objet de propositions. Elles sont censées apporter des éléments de réponse à la crise actuelle de la dette. Pourtant, force est de constater que ces propositions revêtent une faiblesse importante, celle de prévoir des garanties conjointes ou des garanties solidaires de la part des États membres, ce qui les rend inacceptables pour certains gouvernements, dont l'Allemagne.

Dans un avis rendu public le 23 février 2012 intitulé "La croissance et la dette souveraine dans l'Union européenne : deux propositions innovantes", le Comité économique et social européen (CESE) propose de contourner ce problème. La proposition principale de ce rapport consiste à créer deux types distincts d'emprunts obligataires de l'UE : les Union bonds, destinés à stabiliser la dette et les eurobonds, destinés à soutenir la croissance et l'emploi.

  • Le premier volet du dispositif consiste à convertir – de façon graduelle si nécessaire – la dette nationale, jusqu’à hauteur de 60 % du PIB, en Union bonds consolidés mais non soumis à négociation. Ces titres seraient donc à l’abri de toute spéculation. Les détenteurs privés de titres bénéficieraient ainsi d'avantages considérables concernant le risque de faillite car les titres nationaux seraient convertis à parité avec les Union bonds, au taux d'intérêt préexistant. Les États membres préférant conserver leurs obligations nationales seraient libres de le faire. Le rapport mentionne que l’un des avantages serait que « cette conversion aiderait les États membres concernés à respecter les critères de Maastricht s'agissant de leur dette publique restante, et il ne serait pas nécessaire de réviser le pacte de croissance et de stabilité ». En fait, cela ne change rien à l’endettement de la zone, mais cela change la nature de la dette : une partie négociable, une partie non négociable. … A noter que la dette nationale, convertie, serait détenue dans un compte de débit consolidé auprès du Mécanisme Européen de Stabilité, par exemple.
  • Le second volet du dispositif concerne la Banque européenne d'investissement (BEI). Celle-ci émettrait des eurobonds afin de cofinancer le pacte de croissance européen, en une sorte de New Deal susceptible d'attirer des fonds vers l'UE. Selon les auteurs du rapport, cela attirerait les fonds des pays émergents, notamment les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) « désireux de conserver des réserves en euros ». Ces eurobonds (à ne pas confondre avec les euro-obligations dont le mécanisme est expliqué paragraphe 1.4) n’intègreront pas les dettes nationales et n’ont pas besoin de garanties souveraines conjointes ou solidaires. La BEI opère sur le marché depuis 50 ans et son volume d’opérations est deux fois supérieur à celui de la Banque Mondiale.

Les Union bonds sont destinés à stabiliser la dette, et les eurobonds sont destinés à rétablir la reprise et la croissance durable, tels sont les objectifs du rapport du CESE. Selon les auteurs, ce dispositif permet en outre de ne pas concentrer la gestion de la crise sur des plans d’austérité dont les effets sur la croissance et l’emploi notamment, sont négatifs. Ainsi que le rappelait encore récemment Jacques Delors, « Nous ne pouvons faire progresser l'intégration uniquement au moyen de sanctions : la coopération est vitale ». La coopération, mais aussi les concessions et les compromis.

1.8 Le MES : un outil indispensable et bienvenu … sa force de dissuasion sera-t-elle suffisante ?

Le mécanisme européen de stabilité (MES), qui doit être introduit au mois de juillet, a été pensé comme un outil plus puissant que le FESF en termes de gestion de la crise des dettes souveraines.

En premier lieu, le MES est conçu comme une institution financière internationale, à structure de capital et pilotée par un conseil de gouverneurs représentant les Etats membres, alors que le FESF est une société de droit privé (S.A.) sans fonds propre et reposant sur un simple système de garanties. Le MES doit être doté à terme d’un capital de 80 mds €, à constituer en plusieurs étapes, et d’une capacité de prêt totale de 500 mds € (dont les éventuels futurs prêts du FESF devraient a priori être déduits). Pour assurer la crédibilité du mécanisme, les 80 mds de capital sont accompagnés de 620 mds de capital appelable en cas de perte importante nécessitant un renforcement de la structure. Ainsi un capital « potentiel » de 700 mds vient soutenir la capacité de prêt de 500 mds, et doit donc conférer au mécanisme un statut d’emprunteur « surcapitalisé » qui, fort du capital « en dur », vise à échapper aux difficultés de financement rencontrées par le FESF dans un contexte de stress financier. De plus, l’institution prêtant à un taux systématiquement plus élevé que son taux de financement (avec un écart d’environ 200 pb a priori), elle doit être capable de s’autofinancer mais surtout de constituer un coussin de sécurité en cas de défaut de l’un de ses débiteurs, permettant éventuellement de ne pas réclamer de capitaux supplémentaires aux Etats membres. Si le mécanisme présente des avancées certaines par rapport au FESF, des doutes persistent néanmoins sur sa solidité en cas de choc important et notamment sur sa capacité à obtenir des Etats les capitaux que l’institution viendrait à réclamer. Un cadre de solidarité assez général a néanmoins été prévu qui permet d’augmenter la contribution des pays « solides » en cas de défaillance de l’un des membres.

Le dilemme en matière de dimensionnement des pare-feu financiers reste ainsi inchangé. Alors que le montant de 500 mds semble toujours insuffisant pour garantir la pérennité de la zone au regard des besoins de sauvetage souverain et de recapitalisation bancaire, la somme parait démesurée au regard des budgets nationaux en cas de défauts souverains et de nécessité de recapitalisation du MES via le mécanisme de capital appelable. La capitalisation de 80 mds parait déjà avoir causé quelques frictions ayant mené au retard du vote du MES au Bundestag. L’appel à plusieurs centaines de milliards en cas de besoin ne manquerait pas de mettre certains gouvernements dans une situation des plus délicates vis-à-vis de leur électorat, quelles que soient les contreparties imposées aux pays en difficulté, notamment dans le cadre du pacte budgétaire adossé au MES.

Par ailleurs, certains aspects concernant la séniorité du fonds ont soulevé des inquiétudes significatives auprès des investisseurs privés quant à leur subordination en cas de restructuration souveraine. En effet, alors que les investisseurs privés bénéficiaient d’un statut égal à celui du FESF (pari passu), le MES semble avoir été conçu comme un outil de gestion des restructurations souveraines, à l’instar du FMI ; ce qui implique notamment un statut senior vis-à-vis de tous les acteurs (à l’exception du FMI). Il est également important de noter que le traité du MES impose aux Etats membres d’introduire dans leurs contrats obligataires des clauses d’action collective (CAC), outils typiques permettant sous certaines conditions d’imposer une restructuration aux créditeurs privés, comme on a déjà pu le voir dans le cas de la restructuration de la dette grecque (où les CAC avaient dû être introduites de façon rétroactive).

Sur le plan des modalités d’intervention, le MES est doté d’un arsenal appréciable de mesures de soutien aux pays en difficulté. Bien qu’il soit prévu que l’aide transite par les Etats, les plans d’aide peuvent viser directement le secteur financier d’un pays ; ce qui laisse la porte ouverte à une conditionnalité budgétaire moins stricte pour le gouvernement concerné, comme dans le cas de l’aide de 100 mds aux banques espagnoles via le fonds public d’aide au secteur bancaire (FROB).

De plus, alors que le FESF ne peut racheter des titres de dette publique que sur le marché secondaire, le MES peut aussi acheter de la dette publique directement sur le marché primaire.

Malgré ces avancées substantielles, le problème du sous-dimensionnement pose naturellement la question d’une éventuelle licence bancaire qui permettrait de démultiplier la puissance de frappe du MES. Il s’agirait que l’institution puisse se financer directement auprès de la BCE (donc à des taux très avantageux) en échange notamment de collatéraux sous forme de titre de dettes souveraines rachetés sur les marchés primaires et secondaires.

Bien que cet aspect n’ait pas encore été définitivement tranché et qu’il fasse l’objet d’âpres débats entre les gouvernements français et allemand, cette possibilité est mentionnée dans le traité. En particulier, sa mise en œuvre bénéficierait d’un cadre légal particulièrement accommodant. Pour autant, de nouveaux votes devant les parlements nationaux paraissent inévitables.

En effet, l’idée de la démultiplication de la puissance de frappe (« leverage ») consisterait naturellement à augmenter la capacité de prêts en bénéficiant de conditions de financement avantageuses. C’est surtout cette augmentation de l’exposition des Etats membres qui impliquerait de nouveaux votes, potentiellement problématiques, notamment au Bundestag, et probablement un recours auprès de la Cour constitutionnelle allemande, sur la question du caractère plus ou moins limité du mécanisme de solidarité. De plus, le traité impose un ratio minimum de 15% entre les prêts accordés par le MES et son capital. Ainsi tout agrandissement du mécanisme, notamment par effet de levier, impliquerait une levée de capitaux supplémentaires auprès des Etats membres. Si le MES représente bel et bien un outil indéniablement plus puissant que le FESF face à l’ampleur de la crise des dettes européennes, il ne permet pas en l’état d’écarter les inquiétudes fondamentales sur le dispositif de sauvetage car son caractère dissuasif demeure limité par son sous-dimensionnement et les tensions politiques qui entourent son éventuel perfectionnement. Il aurait sans doute suffi à apaiser le stress et à limiter la contagion il y a un an et demi, alors que la crise de la dette ne touchait pas aussi fortement autant de pays de la zone euro. On peut se réjouir de la mise en place d’un tel mécanisme le 1er juillet, mais on doit sans doute également déplorer qu’il ait fallu autant de temps pour y parvenir (le passage par le FESF était-il absolument indispensable ?), et que la construction de la zone euro se fasse systématiquement au fur et à mesure des crises. Il est évident qu’il est toujours plus difficile de mettre en place des pare-feu en période de crise … et ce d’autant que la zone euro et l’Union européenne fonctionnent sur la base de négociations entre un nombre important d’interlocuteurs.

1.9 Un Fonds de Remboursement de la Dette Européenne : un projet ambitieux et innovant

L’idée d’un Fonds de Remboursement de la Dette Européenne (FRDE, « European Debt Redemption Fund ») a été proposée en novembre 2011 par le conseil allemand des experts économiques (« The European Redemption Pact: an illustrative guide », WP 02/2012, Février 2012). L’idée est de créer un dispositif permettant aux Etats membres de transférer graduellement (jusqu’à 5 ans), dans un fonds spécial, une partie de leur dette (on évoque souvent un montant équivalent à la dette excédant 60% du PIB). Chaque pays aura comme contrainte l’engagement de remboursement graduel de cette somme transférée, sur une période de 20 à 25 ans. Compte tenu de leurs divergences, la charge imposée aux pays serait différente. Le montant transféré est fixé à l’avance et ne pourra pas être augmenté. Il ne s’agit donc pas d’un mécanisme hébergeant les expansions de dettes publiques.

Alors que les « union bonds » laissent venir à maturité les obligations sans négociation sur le marché (avec une assurance de remboursement au pair), le FRDE prévoit un remboursement. L’idée est de procéder, chaque année, à un remboursement au rythme de 1/20 de la dette qui excède 60% du PIB, ce qui pour certains pays est très ambitieux.

Peuvent participer à ce mécanisme les pays de la zone euro qui ne sont pas actuell sous la coupe d’un programme d’ajustement structurel, et dont la dette excède 60% du PIB : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, France, Italie, Malte, Pays-Bas et Espagne. Le transfert se ferait de façon graduelle, jusqu’à 5 ans (cela dépend des montants à transférer, de la situation particulière de chaque pays …). Durant cette période, les pays membres s’engagent à poursuivre la politique de maîtrise de la dette. Le FRDE émet ses propres obligations afin de couvrir les engagements des dettes transférées. On peut considérer que le taux d’intérêt de ces émissions sera proche de celui de la BEI ou du FESF, avec néanmoins une plus grande liquidité. L’écart de taux entre le FRDE et le FESF (à l’avantage du FRDE) devrait être du même ordre que celui qui prévaut entre KfW et les bunds allemands, ceux-ci étant bien plus liquides. Le paiement annuel de chaque Etat dépendra du montant transféré : il va payer les intérêts sur la dette transférée (au taux d’intérêt d’émission du FRDE), et une somme de 1% sur les remboursements des titres venant échéance.

Prenons un exemple concret celui de l’Italie. Durant la phase de transfert, l’Italie transfère au FRDE le montant de dette équivalent à 60% du PIB (120%-60%). Le calcul de son remboursement annuel part de ce montant. Si le FRDE se finance à 4%, l’Italie paiera la première année 0,6×0,04 au titre des intérêts et 0,6×0,01 au titre des remboursements des titres venant à échéance. Au total, cela représente 3% du PIB, ce montant étant fixe pour les années suivantes. En faisant l’hypothèse d’une croissance réelle moyenne de 3% (et donc une croissance réelle de 1% – 1,5%, l’Italie rembourse le montant transféré au bout de 23 ans. Si la croissance est plus faible (forte), il faudra plus (moins) de 23 ans. La partie de la dette transférée sera refinancée au taux du FRDE, et l’autre partie au taux qu’obtiendra l’Italie. Mais sans croisance économique, comment rembourser la dette ?

Si l’on compare à la proposition des blue bonds / red bonds de J. Delpla et J von Weizsäcker (“the blue bond proposal”, Bruegel Policy Brief, mai 2010), on se rend compte que c’est exactement le contraire : avec le FRDE, chaque pays est seul responsable de l’équivalent 60% de son PIB, alors que l’excédent est lié au mécanisme de garantie conjointe, alors que pour les blue bonds/red bonds, c’est la partie en-deçà de 60% du PIB qui relève de la garantie conjointe, et l’excédent à la charge de l’Etat concerné.

Un des avantages du FRDE est que la dette excessive est « sécurisée », notamment en ce qui concerne l’accès à la liquidité (la dette excessive est sécurisée, et il ne reste que la partie de dette en-deçà du seuil de 60%), ce qui n’est pas le cas de la proposition des red bonds. Dans ce dernier cas, c’est précisément l’inverse.

Cela peut paraître étrange de prévoir une élimination de l’excès de dette sur un horizon de plus de 20 ans, mais il faut savoir que, selon une étude du FMI (2010), les efforts à mener pour ramener le ratio de dette publique sur PIB sont incroyablement élevés pour la quasi totalité des pays avancés. Cette étude montrait notamment que les efforts additionnels que devaient mener (pendant 20 ans) les Etats-Unis pour revenir à un ratio de 60% étaient similaires à ceux de la Grèce (tout le monde est d’accord pour dire que la situation de la Grèce était en 2010, catastrophique), plus de 2 fois supérieurs à ceux de la France, et 6 fois supérieurs à ceux de l’Italie ou de l’Allemagne. Pour le Royaume-Uni, le constat était similaire, et pour le Japon, pire encore ! Pouvoir dévaluer sa monnaie ne suffit bien évidemment pas à rassurer sur les évolutions de dette publique.

Un autre avantage du FRDE est l’absence de garantie solidaire. Elle n’est que conjointe. Autrement dit, si un pays a des difficultés à contenir sa dette publique (celle qui n’a pas été transférée), alors son coût de financement sera plus élevé sur les marchés financiers et il devra corriger sa situation.

Cette proposition permet d’alléger le fardeau de la dette, de mettre en place un dispositif capable de réduire automatiquement la dette excessive, de ne pas introduire de garantie solidaire entre les Etats … et, élément important, son adoption ne nécessite pas de modification dans le traité européen (ce n’est pas un dispositif de sauvetage).

1.10 Le sommet européen des 28-29 juin … de vraies raisons d’y croire … avec modération

Le retour de la contagion, la fragilité de l’Espagne et les craintes d’affichage de divergences entre français et allemands d’une part, et entre allemands et italiens – espagnols d’autre part, justifiaient que le sommet européen des 28-29 juin était très attendu. Figuraient à l’agenda du sommet plusieurs chantiers :

  • les mesures à adopter pour stabiliser la crise sur les marchés obligataires afin de briser le cercle vicieux entre crise bancaire et crise souveraine,
  • la feuille de route pour établir une union bancaire et fiscale,
  • l’adoption d’un plan d’investissement européen.

Il était entendu – et très largement anticipé – que les autorités ne seraient pas en mesure d’annoncer des mesures définitives concernant l’intégralité du point (2), le plus décisif pour l’avenir de la zone euro à moyen et long terme. L’accord sur le point (3) avait été pré- annoncé le week-end dernier lors de la rencontre informelle entre les chefs d’Etat et de gouvernements des quatre plus grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie et Espagne). L’inconnue résidait surtout dans la capacité des Etats à annoncer des mesures anti-contagion.

C’est au terme d’un bras de fer qui a duré une partie de la nuit que les chefs de gouvernements italiens et espagnols sont parvenus à imposer que les fonds européens (FESF/MES) soient mis à contribution, et ce à double titre. D’une part, en les autorisant à recapitaliser directement les banques (sous conditions) et, d’autre part, en intervenant sur les marchés obligataires (si besoin pour maintenir la stabilité financière).

  1. La Commission européenne va faire des propositions pour mettre en place un superviseur unique du secteur bancaire, en lien avec la BCE. Les chefs d’Etat et de gouvernement demandent au Conseil d’examiner en urgence ces propositions d’ici la fin 2012. Les superviseurs bancaires nationaux n’adoptaient visiblement pas les mêmes règles. Cette mesure – qui vise à s’assurer que toutes les banques de la zone euro seront traitées de la même façon – était inévitable en contrepartie d’aides européennes. C’est en outre un premier pas décisif vers l’union bancaire. Le rôle de la BCE en sort renforcé.
  2. Dans ces conditions, le FESF/MES pourra recapitaliser les banques en direct. Le MES pourrait perdre son statut de séniorité en ce domaine (attention : il pourrait ne s’agir que des aides financières du FESF reprises par le MES, et pas des nouvelles aides financières du MES). Les banques de tous les pays seront traitées à la même enseigne. Le cas irlandais serait donc réexaminé sur cette base. Les conditions imposées pour obtenir un plan de recapitalisation seront consignées dans un Memorandum of Understanding (MoU) et devront être compatibles avec les règles régissant les aides publiques.  Il s’agit d’une avancée décisive, qui devrait permettre de briser le cercle vicieux entre bilans des banques et dettes souveraines. Le cas de l’Espagne est très emblématique de ce cercle vicieux et a servi de détonateur. Depuis l’annonce (9 juin) d’une enveloppe de 100 Mds € disponible via le FESF ou le MES pour recapitaliser les banques espagnoles, la note de l’Etat Espagnol avait été abaissée. Dans la foulée, les banques espagnoles avaient été dégradées et les taux sur les emprunts d’Etat s’étaient envolés, en Espagne comme en Italie. L’abandon du statut de séniorité du MES serait également une bonne nouvelle pour les porteurs de dettes du secteur privé. Mais il comporte également un inconvénient : cela signifie que les taux d’intérêt auxquels émettra le MES (pour recapitaliser des banques) seront plus élevés que s’il avait conservé son statut de séniorité. Plusieurs inconnues demeurent : les banques espagnoles devront-elles attendre la mise en place de ce superviseur pour être recapitalisées ? La perte du statut de séniorité concernera-t-il toutes les aides financières, passées (FESF) et futures (MES) ? Quelles seront les conditions imposées aux banques pour être recapitalisées ? Sur tous ces sujets, on attend des précisions, au plus tard le 9 juillet lors de la réunion de l’Eurogroupe.
  3. Les chefs d’Etat et de gouvernements s’engagent à maintenir la stabilité financière de la zone euro via le recours aux fonds de stabilisation. La BCE interviendra comme « agent » de ces fonds. Les interventions se feront sous la condition que les Etats respectent leurs engagements, budgétaires notamment. Ces conditions seront consignées dans un Memorandum of Understanding (MoU). En pratique, cela signifie que le FESF – puis le MES dès qu’il sera opérationnel – pourront intervenir sur les marchés obligataires pour stabiliser les taux d’intérêt. L’intervention de la BCE est technique (comme « agent » des FESF et MES) et vise à rendre la décision immédiatement efficace. Rappelons que le FESF devra émettre des obligations s’il veut intervenir massivement sur les marchés. Quant au MES, il ne sera pas opérationnel avant le 9 juillet au plus tôt (plusieurs parlements, dont le Bundestag, doivent encore le ratifier). Il fallait donc trouver une solution pratique, laissant au MES le temps de se mettre en place. Dans ces conditions, nous pensons qu’il sera possible pour la BCE d’acheter de la dette souveraine sur le marché primaire (dans la mesure où le MES est autorisé à le faire). Il lui faudra sans doute attendre la ratification définitive des parlements pour le faire. Rien n’est dit sur les montants potentiels d’interventions, ni sur les éventuels niveaux implicites de taux ou de spreads que les autorités cibleront. Ce n’est pas surprenant : on retrouve le même type d’approche lors des interventions concertées des banques centrales sur le marché des changes. A noter : le bilan de la BCE n’augmentera pas. Les achats réalisés par la BCE pour le compte du FESF/MES devraient, selon toute vraisemblance, être comptabilisés au bilan des fonds. Les interventions des fonds – recapitalisations et interventions – seront de facto limitées par la puissance de feu du FESF/MES (500 Mds € au total). C‘est suffisant pour financer entièrement l’Italie et l’Espagne jusqu’à la fin de l’année et recapitaliser les banques espagnoles, mais guère plus. Les besoins de financement combinés à moyen et long terme de l’Espagne et de l’Italie s’élèvent à 143 Mds € d’ici la fin 2012 (300 Mds si l’on tient compte de leurs besoins de refinancement à court terme).
  4. En marge de ces déclarations, le Conseil européen a confirmé le plan d’investissement qui avait été décidé la semaine précédente. Le plan d’investissement pour doper la croissance s’élève à 120 Mds €. La Banque européenne d’investissement (BEI) va augmenter son capital de 10 Mds, ce qui augmentera sa capacité de prêts de 60 Mds. A cela s’ajoute 55 Mds de fonds structurels. Enfin des obligations communes liées à des projets seront émises par la BEI, à hauteur de 4,5 Mds. En ce qui concerne ces dernières, la phase pilote va débuter cet été (énergie, transports, et infrastructures globales seront au menu des projets). Il s’agissait en fait de la proposition française sur laquelle la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne s’étaient entendues le week-end précédent. Ce plan d’investissement apparaît avant tout comme symbolique : 120 Mds € ne représentent que 1,3% du PIB de la zone euro. En outre, les mesures d’investissements en infrastructure mettront du temps à être mises en place. Enfin, il convient de rappeler que les 55 Mds € de fonds structurels étaient disponibles et devaient être dépensés. Quant aux 60 Mds de la BEI, ils devront être levés sur les marchés.

En conclusion, les résultats du sommet européen sont globalement positifs. La possibilité donnée au MES de venir en aide aux systèmes bancaires sans passer par les budgets des Etats est susceptible d’interrompre le cercle vicieux où difficultés des Etats et des banques s’alimentent mutuellement. Mais comme toujours le diable est dans les détails.

  1. Plusieurs zones d’ombres demeurent : quelles conditions seront imposées aux banques pour être recapitalisées ? Quelle sera précisément la gouvernance du MES et les règles régissant ses interventions ? Comment, quand, sous quelles conditions et dans quelle ampleur, le MES interviendra-t-il ? Quid de son statut de créancier privilégié ?
  2. L’Allemagne n’a pas cédé sur des outils anti-contagion plus pérennes. En particulier, rien n’est dit sur la possibilité d’accorder au MES une licence bancaire qui démultiplierait sa force de frappe (bien au-delà de 500 Mds €). Une telle décision n’est certes pas exclue à l’avenir mais serait probablement subordonnée à des avancées majeures sur le plan de la gouvernance budgétaire.
  3. Aucune précision n’est apportée sur les projets à plus long terme de contrôle mutuel des budgets. Les discussions qui sont en cours vont prendre du temps. Il ne faut pas s’attendre à des progrès notables avant l’automne. Le dossier fédéralisme n’a pas beaucoup avancé.
  4. Le lien entre les banques et les souverains n’a pas vraiment été brisé. Au-delà des conditions de marchés, ce qui a été cassé, c’est le lien résultant des recapitalisations des banques, qui se traduisait par une dette plus élevée des Etats (recapitalisation via endettement des Etats). La fragilité des banques n’entraîne pas une hausse de la dette des Etats. Le second lien, celui qui lie les banques et les Etats via la détention de dettes souveraines nationales n’a pas été brisé. La fragilité des souverains entraîne une fragilité des systèmes bancaires.
  5. Le dossier « relance de la croissance » n’a également pas beaucoup progressé. L’activité économique reste sinistrée et la relance économique est limitée. Dans certains pays, le cercle vicieux « récession / deleveraging – créances douteuses / provisions et besoins de recapitalisation – déficit budgétaire / austérité – récession / deleveraging » tourne à plein. Comment casser cela ? Pas de réelle réponse suite au sommet européen. C’est pour cela que le sommet européen est plus favorable aux financières et aux marchés de taux (souverain) qu’aux marchés d’actions.

En définitive, les mesures adoptées permettent d’acheter du temps pour avancer sur les projets de long terme. Mais elles n’apportent pas, à elles seules, une solution à la crise de l’euro. Rappelons que la zone euro est en récession, les pays du Sud de l’Europe connaissent une violente contraction du crédit et que les plans d’austérité vont peser sur l’activité à court terme. Le plan d’investissement ne change pas la donne en termes de croissance en 2012-13. Il faudra de toute évidence des avancées supplémentaires pour résoudre la crise. Les mesures adoptées apportent l’oxygène dont les marchés avaient besoin, mais elles ne sont pas suffisantes – à elles seules – pour enclencher un cercle vertueux dans la durée.

Conclusion

La crise de la dette en zone euro a révélé au grand jour le besoin impérieux d’une meilleure coordination de la prévention des crises financières, de la gestion des crises, de la régulation financière et d’une plus grande intégration budgétaire. C’est désormais un fait entendu. Les solutions ne manquent pas mais on déplore l’absence de deux éléments : la volonté politique de certains pays à franchir le pas du fédéralisme menant à une union économique et monétaire pleine, et le temps … qui joue en défaveur des instances européennes.

Les débats actuels sont en fait des débats anciens : le fédéralisme, l’union budgétaire et fiscale, la croissance, la coopération et pas seulement la coordination, la mutualisation de la dette notamment. Tout cela a été largement débattu au cours des années 1990 et 2000. Les avancées ont été faibles sur tous ces points. Certes, on peut toujours expliquer ex post ce qu’il aurait été nécessaire de faire … mais les résultats sont là pour démontrer la fragilité de la construction européenne, une construction qui est finalement devenue une « machine à contagion », et pas une « machine à solutions ». Il est urgent de faire avancer ces dossiers relatifs au fédéralisme. Le sommet des 28 et 29 juin a apporté des éléments de solutions cruciaux, mais pas totalement définitifs.

En outre, le dernier sommet n’a pas apporté de solutions majeures à la récession qui sévit actuellement dans de nombreux pays. Celle-ci décrédibilise d’une part la politique de rigueur voire d’austérité, et d’autre part dégrade la situation du crédit et notamment des dettes non performantes dans l’immobilier ou l’économie en général. Les conclusions du sommet sont de ce fait, toutes choses égales par ailleurs, plus favorables aux 104 valeurs bancaires (union bancaire, recapitalisation des banques, statut du MES …) et aux marchés de taux, notamment souverains (volonté de casser le lien entre banques et Etats, volonté politique plus explicite de sauvegarder la zone euro …) qu’aux marchés des actions (dégradation des indicateurs économiques dans la zone, dégradation des indicateurs au niveau international, relance encore timide de l’activité économique en zone euro …).

L’impact n’est cependant pas flagrant : les taux longs allemands ont poursuivi leur baisse, la liquidité sur les souverains périphériques n’a pas progressé, et les spreads souverains se sont écartés, tandis que la volatilité restait élevée … le signe que le sommet n’a pas totalement convaincu : fédéralisme – mutualisation de la dette – relance économique sont présents dans le communiqué, mais la dose n’est pas assez forte …

Pour l’heure, sans modification du traité européen, il est possible d’émettre rapidement des eurobons, de mettre en place le fonds de remboursement de la dette européenne, de mettre en place une union bancaire européenne, et de créer un MES avec portée large. C’est cette première étape qui s’avère nécessaire afin de convaincre les investisseurs que la crédibilité des européens se renforce et que l’UEM reste viable.

Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe évoquait dans les années 70 : « j’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme dès solutions que l’on apporterait à ces crises ». Gageons (souhaitons) que l’addition sera – rapidement – très élevée.