Le taux de dépôt BCE à zéro, un signal positif ou négatif ?

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La décision de la BCE de réduire son taux directeur de 25 points de base, à 0,75%, était largement attendue et justifiée, mais la baisse de son taux de dépôt à zéro est au moins en partie une surprise. La BCE envoie ainsi un signal fort aux marchés, d’autant que la décision a été prise à l’unanimité, même si la justification apportée – une incitation pour les banques à prêter davantage – nous semble discutable.

• Le ton du communiqué et de la conférence de presse est suffisamment accommodant pour laisser la porte ouverte à une nouvelle baisse de taux à 0,50% en septembre, en ligne avec notre scénario central. La question d’un taux de dépôt négatif pourrait se poser d’ici là.

• En revanche, la BCE n’a pas discuté de nouvelles opérations de refinancement à très longue terme (LTRO). Malgré la réticence affichée du Conseil des gouverneurs, le sujet pourra difficilement être évité à l’avenir en cas de nouvelle crise majeure. Un indicateur-clé à suivre dans l’immédiat sera l’enquête de la BCE auprès des banques publiée le 25 juillet ; un resserrement des conditions de crédit pourrait alimenter les anticipations de nouvelles mesures non-conventionnelles.

La BCE a été confrontée à des décisions difficiles depuis le début de la crise, notamment en fin d’année dernière lorsque les conditions de financement des banques et des États se sont fortement détériorées. La plupart de ces décisions ont porté sur des mesures non-orthodoxes (LTRO, gestion des collatéraux), mais même en ce qui concerne les taux directeurs, l’équilibre a été toujours difficile à trouver dans une zone monétaire non optimale et non homogène. Il est d’autant plus important, en termes de signal envoyé aux responsables politiques et aux marchés, que les décisions prises cette semaine l’aient été à l’unanimité, notamment celle concernant le taux de la facilité de dépôt de la BCE qui est ramené à zéro.

Cela prouve, s’il en était encore besoin, que le Conseil des Gouverneurs reste beaucoup plus flexible et pragmatique que ce que certains observateurs peuvent suggérer. La réaction pour le moins mitigée des marchés à ces annonces ne fait que confirmer que la BCE ne peut, ni ne veut résoudre cette crise à elle seule. À court terme, la balle est plus que jamais dans le camp des États-membres.

La justification officielle aux baisses de taux est parfaitement en ligne avec ce qu’on pouvait attendre de la BCE. En particulier, la baisse du principal taux de refinancement (Refi) est justifiée par une phrase-clé dans le premier paragraphe du communiqué, qui note que « la pression inflationniste sur l’horizon de prévision a été réduite davantage dans la mesure où certains risques baissiers sur les perspectives de croissance, qui avaient été identifiés auparavant, se sont matérialisés ». Par ailleurs, Mario Draghi a ajouté pendant la conférence de presse que cette baisse du taux directeur aurait un effet positif immédiat sur l’encours de LTRO (quelques 1 000 Mds €), ainsi que sur le coût de l’ELA (Emergency Lending Assistance), la facilité de crédit accordée directement par certaines banques centrales nationales, sous conditions, notamment en Grèce et en Irlande). Ce dernier point a toujours figuré parmi nos principaux arguments en faveur d’une baisse de taux – il vaut également pour les décisions futures. Enfin, l’objectif officiel d’une baisse de 25 pdb du taux de dépôt est d’inciter les banques à redéposer moins de liquidités auprès à la BCE et à se davantage, entre elles mais aussi et surtout aux acteurs de l’économie réelle.

Le ton du communiqué et de la conférence de presse sont suffisamment « dovish », selon nous, pour laisser la porte ouverte à de nouvelles mesures, au moins sur le front de la politique monétaire conventionnelle.

Nous tablons toujours, à ce stade, sur une nouvelle baisse du taux Refi à 0,50% lors de la réunion de septembre, lorsque les nouvelles prévisions du staff des économistes de la BCE seront publiées. Draghi a implicitement reconnu que les projections de croissance seraient probablement révisées à la baisse à cette occasion, sauf surprise favorable dans les semaines à venir. La question d’un taux de dépôt négatif pourrait se poser d’ici là, même si une telle décision, potentiellement problématique pour certains acteurs du marché monétaire, n’a rien de mécanique : la BCE pourrait réduire le corridor de taux autour du Refi afin de maintenir le taux de dépôt à 0%.

À l’image de Draghi cette semaine, la BCE devrait se montrer réticente à considérer de nouvelles formes de soutien non-conventionnel dans l’immédiat. Ainsi, les marchés ont particulièrement mal réagi au fait que le Conseil des gouverneurs n’avait même pas discuté de la possibilité d’une nouvelle opération de refinancement à très long terme (LTRO) similaire aux deux appels d’offres à trois ans lancés en décembre 2011 et février 2012. La réticence de la BCE a plusieurs fondements. Premièrement, la BCE est convaincue d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour soutenir les conditions de liquidité depuis le début de la crise, repoussant parfois les limites de son mandat. Les contraintes qui persistent sur les bilans bancaires (l’aversion générale pour le risque, les niveaux de capitalisation insuffisants dans certains pays) ne sont pas du ressort de la BCE, mais des gouvernements et des régulateurs.

Cette impression semble renforcée par la fragmentation des marchés bancaires et de capitaux dans la mesure où les tensions apparaissent « localisées », appelant donc des réponses nationales. Ainsi, la BCE cite l’exemple français comme illustration d’un pays où les flux de crédit ont continué de croître en moyenne malgré la crise. Deuxièmement, Draghi a insisté plus qu’à l’accoutumée sur les contraintes pesant sur la demande de crédit : en l’absence de véritable reprise en zone euro, il est illusoire d’espérer une expansion des flux de crédit bancaire. Enfin, la BCE n’est pas incitée à agir avant les États, en particulier après que le Conseil européen s’est accordé à utiliser les outils du FESF et du MES de façon « plus flexible et plus efficace ». En pratique, la BCE pourrait donc attendre de voir ce qui est décidé en pratique, en Espagne et au-delà, dès la réunion de l’Eurogroupe du 9 juillet prochain.

Pour autant, la porte ne nous semble pas complètement fermée en ce qui concerne de possibles mesures non-conventionnelles. La BCE reste le seul acteur crédible en zone euro capable de lutter contre un mouvement de conta-gion touchant l’Italie, compte tenu du potentiel d’extension de son bilan, a priori infini. Nous pensons donc toujours que la BCE se tiendra prête à agir, le cas échéant, en utilisant tous les outils à sa disposition (à l’exception peut-être des interventions directes sur le marché via le programme SMP), voire de nouveaux. Si Draghi n’a pas fait preuve de souplesse, il s’est notamment montré moins catégorique que d’habitude, en répondant à une question sur l’octroi d’une licence bancaire au MES (qui permettrait au fonds de stabilisation financière d’accéder à la liquidité de la Banque centrale). Qu’on se le dise, sa réponse ne ressemble pas à un « oui » (« nous devons utiliser les outils existants, dans la limite de notre mandat, en évitant à tout prix d’entacher la crédibilité de notre institution »), mais le président de la BCE n’a pas explicitement exclu cette possibilité pour autant. On pourrait imaginer, par exemple, qu’avec le MES autorisé à recapitaliser directement les banques, une fois le régulateur bancaire unique mis en place, la BCE serait moins réticente à agir non seulement en tant qu’agent du MES, mais aussi en tant que garant et/ou fournisseur de liquidité, dans un cadre à définir et sous des conditions bien spécifiques.

Ceci dit, tout reste très hypothétique à ce stade. Le prochain indicateur-clé à surveiller de ce point de vue sera l’enquête trimestrielle de la BCE auprès des banques (Bank Lending Survey) publiée le 25 juillet. Cette dernière avait fait état d’une mo- deste amélioration des conditions de crédit au premier trimestre 2012, si bien que toute nouvelle dégradation éventuelle ne ferait que renforcer le besoin de nouvelles mesures de soutien, au moins temporairement. Une nouvelle crise majeure de liquidité pendant l’été aurait évidemment un effet similaire.

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