par Marcela Meirelles, stratégiste chez Amundi Asset Management
Le weekend dernier étaient réunis à Washington des investisseurs, universitaires et représentants de gouvernements du monde entier à l'occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. Il a notamment été question des effets sur les marchés émergents des politiques monétaires très expansionnistes des pays développés, pour relancer leurs économies et ne pas tomber dans la déflation.
Comment gérer ces entrées massives de capitaux
Les débats ont notamment porté sur les pressions haussières sur les devises émergentes et le risque accru de surchauffe économique, aggravé par le refus de la Chine de prendre à sa charge une partie de l'ajustement des taux de change. Les autorités des pays émergents craignent que la « vague de capitaux » qui se profile n'entraîne une appréciation des devises et un levier financier disproportionnés. Toutefois, ils peuvent encore compter sur la situation financière solide des ménages, un ratio dette/PIB bien souvent inférieur de moitié (voire plus) à ceux du G7 et, enfin, sur des tendances démographiques favorables. La menace la plus vive est plutôt liée à la faiblesse de la reprise des pays développés alors que le scénario de « découplage » est plus qu'improbable en raison des interdépendances entre les marchés mondiaux de capitaux et de biens.
Assouplissement quantitatif (QE), hausse des prix des actifs et « guerre des changes »
D'aucuns s'attendent à l'annonce de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif à l'occasion du prochain FOMC. Certains participants ont argué des divergences de vue entre la Fed, qui s'efforce de réduire les risques pesant sur l'économie réelle (réduire les anticipations déflationnistes) et les investisseurs, désormais habitués à une « nouvelle réalité » et misant sur une baisse du dollar, des matières premières et de l'inflation dans le reste du monde, une configuration semblable à celle de fin 2007/ début 2008, avant la faillite de Lehman Brothers. Comme à cette époque-là, le dollar souffre des liquidités excessives et du laxisme des intervenants/ autorités à l'égard des risques sous-jacents.
Plutôt que de défendre une approche « jusqu'au boutiste » visant à éviter à tout prix une appréciation excessive de leurs devises, la plupart des banques centrales ont mis en avant les limites d'une politique consistant à s'opposer à la tendance de fond (leaning against the wind). Elles s'accordent à penser qu'utiliser des expédients ne mène à rien et que tout contrôle des capitaux est inefficace et peut même générer des distorsions. Ces commentaires laissent à penser que les achats de dollars sur le marché au comptant (stérilisés ou non) constitueront le principal mode d'intervention.
Certaines banques centrales qui ont fixé une cible d'inflation n'admettent pas qu'elles ont d'autres objectifs que l'inflation, alors que d'autres reconnaissent qu'il est de leur rôle de s'opposer à la tendance de fond afin d'éviter une hausse démesurée de leur devise – même si cela revient simplement à gagner du temps. De fait, chercher à gagner du temps n'est pas incohérent car les facteurs de risque qui pourraient interrompre la quête de rendement des investisseurs et la baisse du dollar restent légion :
Chômage – la persistance d'un chômage élevé aux États-Unis (proche de 10 %) après plusieurs mois de QE. Dans ce domaine, à partir de quand la politique actuelle sera-t-elle un « succès » (nous allons y revenir) ? En effet, de nombreux intervenants estiment qu'une relance du QE peut avoir un impact positif rapide sur le marché du travail américain.
Politique – Il sera quasiment impossible d'appliquer des politiques contracycliques nécessitant l'accord du Congrès à majorité républicaine (si ces derniers récupèrent la majorité à la Chambre des représentants le 2 novembre, voire au Sénat).
Défaut d'un État – Nous pensions il y a quelques mois que la faiblesse de l'euro serait le facteur qui permettrait aux pays du Sud de l'Europe de ne pas faire défaut. Celui-ci a disparu, tout comme le risque de financement de court terme, ce qui a rassuré les investisseurs. Mais ils sont encore nombreux à penser qu'une baisse de l'euro est nécessaire pour que les pays les plus fragiles ne fassent pas défaut à moyen terme.
Chine – les facteurs habituels sont avancés : bulle de l'immobilier, croissance déséquilibrée et devise sous-évaluée.
Évaluer le succès des politiques
Pour évaluer la réussite de leurs mesures censées empêcher une hausse excessive des devises, les autorités doivent déterminer le gain de temps qu'elles ont obtenu avant que les pressions haussières ne s'apaisent. De même, pour réussir à éviter les risques précités, il convient de se montrer raisonnable dans l'impact réel que peuvent avoir les politiques macroéconomiques et les décisions politiques. En Europe, les ajustements budgétaires et les réformes, jugées timides par beaucoup, ont toutefois rassurés les marchés sur la volonté et la capacité de la sphère politique à prendre les mesures qui s'imposent.
Concernant les États-Unis et le QE2, les investisseurs s'interrogeaient encore le weekend dernier sur l'objectif réellement visé par la Fed et sur ses capacités à l'atteindre. Les partisans du QE2 estiment que cette solution est viable tant qu'elle n'est pas trop agressive. Pour interpréter le terme « viabilité » dans ce contexte, cela revient générer un peu d'inflation (entre 4 et 6 %). En d'autres termes, l'angle de réflexion n'était pas de savoir si « les mesures de QE peuvent réduire le chômage » mais plutôt si elles peuvent influencer les anticipations d'inflation et créer de l'inflation. Les adeptes de la théorie monétariste n'en doutent pas une seconde. Par conséquent, certains des participants ne trouvent rien à redire à un taux d'inflation trois fois supérieur au taux de 2 % actuellement utilisé pour définir la stabilité des prix. Selon eux, il y a une bonne nouvelle : la Fed possède les outils pour réduire progressivement l'inflation. Un nouveau programme de QE audacieux est donc tout à fait légitime pour régler des problèmes qui surviennent une fois par siècle.