France : croissance bridée

par Axelle Lacan, économiste au Crédit Agricole

Notre scénario inscrit une croissance du PIB en volume de 0,5% en moyenne annuelle en 2014 (contre une prévision à 0,8% il y a un trimestre). L’activité fait face à de nom- breuses contraintes, à la fois conjonctu- relles (demande européenne affaiblie, euro fort, confiance dégradée notamment), struc- turelles (déficit de compétitivité, ajustement budgétaire) et issues de la crise (taux de chômage élevé, fermetures d’unités de production).

Ces contraintes, quoique toujours présen- tes, devraient se desserrer en 2015. Si le renforcement de l’activité en zone euro se confirme, la croissance du PIB en volume pourrait atteindre 1% en France, notamment grâce aux effets positifs des réformes structurelles mises en œuvre.

Une sortie de stagnation au troisième trimestre

La croissance est restée nulle au deuxième trimestre (prévision Crédit Agricole SA : +0,1% t/t).

  • La consommation des ménages a rebondi (+0,4% t/t, après -0,6% t/t), par correction après un premier trimestre plombé par les hausses de TVA du 1er janvier et grâce à la hausse des dépenses énergétiques.
  • L’investissement total a fortement reculé (-1,1% t/t, après -0,9% t/t). Le repli de l’investissement des entreprises s’est accentué, impacté défavo- rablement par l’incertitude découlant de la crise ukrainienne. L’investissement des ménages a continué à se contracter (-2,4% t/t, après -2,9% t/t), parallèlement à un marché immobilier neuf continuant à se corriger.
  • La contribution du commerce extérieur a été négative (-0,1 point, après une contribution neutre). Les importations ont certes décéléré, mais moins fortement que les exportations, stables sur le trimestre (croissance plus faible que prévu en Allemagne et en Italie, nos principaux partenaires commerciaux).
  • Enfin, les variations de stocks ont apporté une contribution nulle à l’activité (après +0,5 point).

L'activité stagne depuis maintenant six mois, ce qui témoigne de l'enlisement de la reprise en cours.

Peut-on espérer une sortie de stagnation au troisième trimestre ? Les enquêtes de conjonc- ture publiées récemment ont plutôt surpris à la baisse.

  • Le climat des affaires global publié par l’INSEE a perdu 1 point, à 91 en septembre, tiré vers le bas par le repli de l’indicateur dans le secteur des services (-2 points). Dans l’industrie, la confiance est stable (elle reculait depuis avril). Les composantes affichent toutefois des évolu- tions contrastées : les perspectives person- nelles de production se redressent (+ 6 points), mais la production passée accuse un sévère repli (-5 points), portant à 15 points la perte subie depuis juin.
  • Le PMI composite a, quant à lui, reculé de 0,4 point en septembre, à 49,1, en zone de contraction de l’activité. Là encore, cette baisse est le résultat du repli observé dans le secteur des services (-0,9 point, à 49,4), recul que n’a pas complètement compensé le rebond consta- té dans l’industrie (+2 points, à 48,8).

La confiance est donc restée détériorée tout au long du troisième trimestre, nourrissant le scénario d’une reprise française à la traîne.

Nous maintenons toutefois notre prévision d’une très légère amélioration de l’activité au troisième trimestre, au regard des acquis posi- tifs laissés par la production industrielle à fin juillet et par la consommation des ménages en biens à fin août (+0,5% t/t dans chaque cas). Ces acquis devraient permettre d’amortir, au moins en partie, d’éventuelles données décevantes en août et en septembre.

Quelles seraient les composantes de cette modeste croissance dégagée au troisième trimestre ?

Sans surprise, c’est encore la consommation des ménages – bien que toujours contrainte par un taux de chômage élevé et l’ajustement budgétaire en cours – qui apporterait la contribution la plus forte à la progression de l’activité, soutenue notamment par les dépenses énergétiques et la faiblesse de l’inflation.

Le repli de l’investissement total serait moins brutal qu’au deuxième trimestre, grâce au moindre ajustement de l’investissement des ménages et à la quasi-stabilisation de l’investissement des entreprises, résultat des premiers effets du CICE.

La contribution du commerce extérieur à la croissance serait très légèrement positive, non pas grâce à un sursaut des exportations (la croissance européenne devrait rester très modérée au troisième trimestre), mais à une progression limitée des importations, fruit de la faiblesse de la demande intérieure.

Enfin, la bonne tenue de la composante relative aux stocks dans l’enquête industrie pointe vers une contribution neutre des variations de stocks à l’activité.

2014 : bis repetita

Le scénario de l’année 2013 tend à se pro- longer en 2014 : la consommation des ména- ges reste la composante contribuant le plus à l’activité. À l’inverse, l’investissement continue à souffrir et n’alimente pas la croissance. L’impact du commerce extérieur serait toujours neutre en moyenne sur l’année. Enfin, le léger restockage apporte une contribution bienvenue à la progression de l’activité.

– Une consommation privée toujours motrice

Malgré la chute observée au premier trimestre, la consommation des ménages devrait pro- gresser au même rythme qu’en 2013 (+0,3% en moyenne annuelle). Elle profitera d’une hausse un peu plus forte de son principal déterminant, le pouvoir d’achat, soutenu par la faiblesse actuelle de l’inflation et une très légère accélération du revenu disponible brut.

  • Les revenus d’activité resteront sous la pression d’un taux de chômage élevé. Ils profiteront néanmoins d’une moindre dégrada- tion sur le front de l’emploi (soutien de l’emploi public, effet possible du CICE sur l’emploi privé) et d’une revalorisation un peu plus élevée du SMIC qu’au 1er janvier 2013 (+1,1%, contre +0,3% en 2013).
  • À l’inverse, les prestations sociales devraient ralentir, certaines pensions n’étant pas revalorisées en 2014.
  • Les impôts sur le revenu et le patrimoine, après avoir très légèrement reculé au deuxième trimestre, devraient accélérer en fin d’année, avec l’application des nouvelles mesures incluses dans la loi de finances 2014. Sur l’ensemble de l’année, les impôts sur le revenu et le patrimoine seraient néanmoins en hausse plus faible qu’en 2013, l’effort structurel d’ajustement budgétaire portant davantage sur des économies en dépenses que sur une hausse des recettes.

Ainsi, après s’être stabilisé en 2013, le pouvoir d’achat est attendu en hausse de 0,5% en 2014.

Le taux d’épargne serait quasiment stable, à 15,3% du revenu disponible. Son évolution suivra le profil heurté des prélèvements fiscaux. Il est, en effet, attendu en repli les trimestres d’accélération des impôts, afin de limiter les fluctuations de la consommation privée.

– Un investissement contraint

Le fort recul de l’investissement des ménages (-7,5% en moyenne annuelle), qui s’explique par une correction relativement marquée de l’immobilier dans le neuf, aura été un frein puissant à la croissance en 2014.

Le redressement très progressif de la demande, à la fois extérieure et interne, est un élément positif pour l’investissement des entreprises. Les conditions de financement restent par ailleurs plutôt favorables, sans assèchement du crédit bancaire et avec des taux toujours faibles en tendance. Néanmoins, plusieurs contraintes restent très prégnantes.

  • D’une part, les besoins de renouvellement de l’appareil productif semblent plutôt restreints, compte tenue d’une relative bonne tenue du taux d’investissement pendant la crise. Par ailleurs, les besoins d’augmentation des capacités productives sont également limités. Le taux d’utilisation des capacités de production reste très faible, et n’a que peu progressé sur la période récente.
  • D’autre part, la situation financière des entreprises reste dégradée. En 2013, le taux de marge des sociétés non financières (SNF), c’est-à-dire leur excédent brut d’exploitation (EBE) rapporté à leur valeur ajoutée, est resté très limité, à 29,8%. Les premières données pour 2014 ont été plutôt décevantes. Après s’être redressé en début d’année, avec la comptabilisation du CICE, le taux de marge a à nouveau reculé au deuxième trimestre, à 29,3% (cf. notre analyse dans notre prochain focus sur le CICE). Sur l’ensemble de l’année, compte tenu de l’évolution de la productivité et des salaires, le taux de marge ne devrait pas progresser par rapport à 2013, malgré un redressement attendu au deuxième semestre.

– Une progression modérée des échanges extérieurs

Notre scénario inscrit une progression des exportations un peu plus rapide en 2014 (+2,5%, après +2,4%). La conjoncture est très hétérogène au niveau mondial, avec une croissance soutenue aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais toujours poussive en zone euro. Au sein même de la zone euro, les divergences sont fortes. L’Allemagne, malgré la déconvenue subie au deuxième trimestre, verrait sa croissance accélérer en moyenne annuelle (+1,5% en 2014, après +0,5% en 2013). L’Espa- gne surprend à la hausse depuis le début de l’année (croissance prévue à 1,2%, après -1,2% en 2013). La récession italienne perd, quant à elle, en intensité (-0,2% attendu en 2014, après -1,9%).

Notons toutefois que le déficit structurel de compétitivité et un euro qui reste fort malgré sa dépréciation récente continuent à entraver la progression des exportations.

Les importations seront également un peu plus dynamiques, soutenues par le redressement de la demande (+2,5%, après +2,4%). Toutefois, compte tenu du caractère très graduel du mouve- ment de reconstitution des stocks (cf. ci-dessous) et de la poursuite de l’ajustement de l’investisse- ment, elles croîtront à un rythme toujours inférieur à la tendance de longue période.

– Un restockage modeste

La composante relative aux variations de stocks est très difficile à prévoir. Pour anticiper les variations de stocks, le modèle généralement retenu est celui dit de « l’accélérateur », qui se base sur les variations passées de la demande. Ce dernier a toutefois montré ses limites. En effet, il capte mal certaines évolutions atypiques des variations de stocks, notamment parce qu’il ne prend pas en compte le caractère anticipé ou non, par les chefs d’entreprise, des variations de la demande. Il est donc utile de se référer à l’opinion des chefs d’entreprise. Ce qui est permis grâce à l’analyse de différentes enquêtes.

  • D’après l’enquête mensuelle dans l’industrie publiée par l’INSEE, les stocks de produits finis sont jugés très légèrement inférieurs à la normale.
  • L’enquête PMI dans l’industrie permet d’affiner le diagnostic, grâce au calcul du ratio de la production anticipée (évaluée par la composante « nouvelles commandes » de l’indice PMI) sur les stocks de produits finis. Ce ratio est un bon indicateur avancé des variations de stocks des comptes nationaux.

Les enquêtes pointent dans leur ensemble vers un restockage très modéré à horizon 2015, tel qu’il est inscrit dans notre scénario.

2015 : enfin une amélioration

La croissance devrait se renforcer en 2015 et atteindre 1% en moyenne annuelle. Plusieurs facteurs sont susceptibles de la soutenir :

  • La demande mondiale devrait continuer à se raffermir en 2015 (cf. Perspectives Macro), avec une croissance toujours dynamique dans les pays anglo-saxons et une progression de l’activité un peu plus forte en zone euro, les impulsions budgétaires devenant graduellement moins négatives.
  • Certaines réformes du Pacte de responsabilité prendront effet dès 2015, permettant un redressement des comptes des entreprises, favorable à l’emploi et à l’investissement. C’est le cas de la suppression des cotisations patronales à l’URSSAF au niveau du Smic et de la modification du barème des allégements existants entre le Smic et 1,6 fois le Smic (4,5 milliards d’euros). Il en est de même pour la baisse de plus de trois points des cotisations Famille pour les travailleurs indépendants et artisans (1 milliard d’euros).
  • Les comptes des entreprises profiteront également de la réduction des impôts liés à la production, notamment de la contribution sociale de solidarité des sociétés, qui sera intégralement supprimée en trois ans, avec une réduction de 1 milliard d’euros dès 2015.
  • La consommation des ménages bénéficiera du redressement graduel de l’emploi (effets notam- ment des différentes réformes) et des mesures du Pacte de solidarité. Le Conseil Constitu- tionnel a rejeté, par principe d’équité, la mesure relative à l’abaissement les cotisations salariales « employés » pour les salaires au niveau du SMIC. Une révision du barème de l’impôt sur le revenu a finalement été privilégiée. Cela permettra de soutenir le pouvoir d’achat, qui devrait progresser de plus de 1% en 2015.
  • Enfin, la baisse anticipée de l’euro, tendance renforcée par les mesures annoncées dernière- ment par la BCE, devrait avoir un effet positif sur nos exportations.

À l’inverse, la croissance sera toujours péna- lisée par la poursuite de l’assainissement bud- gétaire (21 milliards d’économies en dépen- ses), le déficit structurel de compétitivité et le niveau toujours élevé du taux de chômage, principale séquelle qu’aura laissée la crise sur l’économie. De plus, certains aléas baissiers persistent, notamment le risque d’un attentisme persistant des entreprises, d’un effet plus faible que prévu du CICE en 2015 et d’un ralentissement plus marqué des économies émergentes.

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