France : les paradoxes du crédit

par Olivier Bizimana et Olivier Eluère, économistes au Crédit Agricole 

La dynamique du crédit en France, et en Europe en général, suscite beaucoup d’intérêt depuis quelques mois. D’un côté, l’approfondissement de la crise financière, depuis le mois de septembre 2008 a aggravé les difficultés de refinancement des banques. De l’autre, la demande de crédit freine sérieusement, en phase avec le net ralentissement de l’activité économique.

Le renchérissement de la ressource financière et l’accroissement du coût du risque, induits par la crise financière, avaient eu pour l’instant assez peu d’effet sur les politiques d’offre de crédit des banques françaises. L’enquête de la Banque de France auprès des banques commerciales françaises, publiée le 7 novembre, montre que tel n’est plus le cas. Ces dernières ont en effet resserré leurs critères d’octroi au 3e trimestre, notamment pour les entreprises.

La situation est toutefois paradoxale en ce qui concerne les crédits aux entreprises. L’offre effective des crédits entreprises reste en effet dynamique, en dépit du resserrement des critères d’octroi et du repli de la demande perçue par les banques. En revanche, la correction se poursuit sur le crédit habitat, en lien avec le net freinage de la demande.

Entreprises : un « credit squeeze » avec un crédit encore dynamique

L’enquête récente de la Banque de France auprès des banques commerciales montre une poursuite du resserrement des conditions d’accès au crédit au 3e trimestre 2008. Plus des trois quarts des banques commerciales françaises indiquent ainsi avoir durci leurs conditions aux entreprises. Ce resserrement est plus marqué que lors de la dernière enquête. De plus, ce mouvement concerne davantage les PME que les grandes entreprises.

Les banques françaises se montrent plus sélectives en matière de crédits aux entreprises, en raison de la dégradation des perspectives économiques générales et sectorielles. Elles mentionnent également comme obstacles les contraintes de liquidité et les difficultés d’accès aux financements de marché.

Selon l’enquête, comme au trimestre précédent, ce resserrement s’est davantage opéré via une augmentation des marges (crédits risqués et peu risqués) qu’au travers d’un renforcement des exigences en matières de collatéraux et d’une réduction des maturités et des montants des prêts. Enfin, pour la fin de l’année, les banques françaises prévoient de poursuivre leur politique tarifaire.

La situation est relativement paradoxale. L’enquête crédit fait état d’un resserrement de l’offre et d’un repli de la demande de crédit de la part des entreprises au troisième trimestre. Pourtant, le crédit entreprises est resté assez soutenu. L’encours reste en hausse marquée, +12,2 % sur un an en septembre 2008, contre +11,5 % un an plus tôt. Et la production (cumul 12 mois) atteint 308 milliards en septembre, en hausse de 1,6 % sur un an.

D’abord, dans l’enquête crédit, les banques jugent le recul de la demande non pas « sensible », mais « relatif ». Ensuite, même si la conjoncture économique s’est nettement détériorée au 3e trimestre, la demande de crédit reste soutenue par plusieurs facteurs : la dégradation des profits des entreprises et de leur taux d’autofinancement ; leur difficulté à se financer sur les marchés financiers, ce qui les conduit à faire appel au crédit bancaire ; le recours à des lignes de crédit consenties il y a plusieurs mois.

A très court terme, ces facteurs continueront à jouer. Et les mesures de soutien au système bancaire devraient également soutenir l’offre (notamment la mobilisation d’une partie de l‘épargne réglementée, LDD, LEP, pour les crédits aux PME). Ensuite, les entreprises vont progressivement s’ajuster à ce nouvel environnement de croissance faible et leurs besoins de financement vont se réduire. Un nouveau recul du PIB est en effet attendu en T4 2008. En particulier, les dépenses d’investissement des entreprises pourraient baisser de 1 % sur le trimestre.

De plus, au vu de l’enquête crédit, les banques resteraient prudentes et opéreraient un relatif resserrement de l’octroi de crédit. La production de crédits aux entreprises devrait donc connaître un léger repli fin 2008.

Ménages : resserrement modéré et recul de la demande

Les critères d’octroi des crédits aux ménages ont été resserrés au 3e trimestre. Ce resserrement concerne davantage les crédits à l’habitat. Les conditions de crédit à la consommation sont en effet restées inchangées. Les banques expliquent le durcissement des critères d’octroi des crédits à l’habitat par la dégradation des perspectives sur le marché du logement, l’accroissement du coût de la ressource et les contraintes d’équilibre de bilan. Ce durcissement reste toutefois modéré, les banques françaises étant déjà attentives à la qualité de l’emprunteur en matière de crédit habitat.

Pour le 4e trimestre 2008, les banqus prévoient de durcir encore leurs critères d’octroi de crédit habitat.

Les critères appliqués aux crédits à la consommation resteraient en revanche relativement neutres.

Une correction marquée du crédit habitat

La correction sur le crédit habitat s’est confirmée au troisième trimestre. L’encours continue à ralentir (+10,1 % sur un an en septembre 2008, contre +13,3 % un an plus tôt). Et la production (flux de crédits nouveaux) est en net recul. En septembre 2008, le cumul sur douze mois atteint 122 milliards, en baisse de 17,9% sur un an.

Cette sensible correction s’explique en partie par une application plus stricte par les banques des critères d’octroi de crédit. Mais il s’agit avant tout d’un fort repli de la demande, lié au cumul de quatre facteurs : – la contrainte de solvabilité devient très critique (prix très élevés, remontée des taux de crédit) ; – les vendeurs ne baissent pas encore (ou à peine) leurs prix et les acquéreurs attendent une baisse des prix significative pour acheter ; – les investisseurs deviennent très réticents ; – la nette dégradation de la conjoncture et la remontée du chômage rendent les acheteurs très prudents et attentistes.

Ces tendances vont se poursuivre mais les « fondamentaux » plutôt favorables du marché immobilier français devraient permettre d’éviter une spirale baissière marquée. La production de crédit habitat devrait baisser de 20 % sur un an fin 2008 et de 15 à 20 % en 2009.

En définitive, l’enquête Banque de France montre que les banques sont en réalité plus prudentes en matière d’octroi du crédit, en raison du renchérissement des ressources et du coût croissant du risque. La dynamique de la production de crédit (entreprises et ménages) répond surtout à l’inflexion baissière de la demande, en lien avec le ralentissement de l’activité. Pour l’instant, dans le contexte français, il n’y a donc pas à proprement parler de restriction de l’offre de crédit.