par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
Les interrogations se multiplient sur l'évolution de l'économie globale. L'activité semble avoir "calé" au 2e trimestre un peu partout dans le monde. Les investisseurs perçoivent cette fragilité de l'environnement dans sa difficulté à repartir de l'avant. La perception du ralentissement a été telle qu'ils ont été incapables de se projeter à un horizon même peu éloigné. C'est ce qui les a incités à arbitrer de façon significative sur les marchés entre actifs risqués et non risqués. Cet arbitrage traduit la réduction de l'horizon économique lorsque l'incertitude s'accroît. Les risques pris ne sont alors plus les mêmes.
Des anticipations revues à la baisse
Les chiffres de croissance ont été plus lents. Les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise et des ménages ne rassurent pas sur la perception qu'ils ont des mois à venir.
Aux États-Unis, après la publication des chiffres du PIB du 2nd trimestre, toutes les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. En effet, sur le 1er semestre, le rythme de progression de l'économie américaine était proche de 1 % en taux annualisé et les enquêtes menées auprès des acteurs de l'économie n'ont pas été rassurantes. Les perspectives des entreprises étaient limitées et les ménages ont donné des signaux d’inquiétude sur leur environnement.
En Europe aussi, les chiffres sont préoccupants. Au 2nd trimestre, la croissance française était nulle et celle de l'Allemagne de 0,4 % seulement en taux annualisé. La perception de ce changement de tendance a été très rapidement renforcée par les diverses enquêtes publiées au mois d'août. En Allemagne, particulièrement, les chefs d'entreprises ont ressenti un changement de régime comme en témoigne le graphique ci-contre. L'optimisme affiché au printemps dernier encore, s'est transformé en une interrogation sur l'évolution sur les mois à venir. La composante relative aux anticipations s'est très rapidement contractée.
Cette recrudescence des interrogations n'est pas l’apanage des pays industrialisés. Dans les enquêtes publiées fin juillet, les signaux en provenance de grands pays émergents comme la Chine, le Brésil ou encore la Russie étaient moins fringants qu'en début d'année. La dynamique industrielle s’inscrit sur un rythme moins soutenu dans l'attente de nouveaux relais de croissance.
Un ralentissement généralisé pour les pays industrialisés
L'économie mondiale entre dans une étape passionnante mais incertaine, puisqu'elle met en avant une interdépendance nouvelle entre pays industrialisés et émergents.
Pendant la reprise, les pays industrialisés étaient tout à la fois dépendants des stratégies coordonnées des politiques monétaire et budgétaire, mais aussi du renouveau spectaculaire initié par les pays émergents. Cela a permis de limiter l'ampleur du repli de l'activité, sans toutefois redonner une autonomie suffisante aux moteurs habituels de la croissance.
De la sorte, lorsque ces deux impulsions ont diminué avec le concours d'un choc des matières premières, l'activité s'est de nouveau, nettement essoufflée. La conjoncture est devenue dépendante d'une demande interne contrainte par un marché du travail qui n'avait pas réussi, pendant la phase de reprise, à retrouver une dynamique d'équilibre.
Du côté des pays émergents, les efforts consentis pendant la reprise ont été essentiels et de grande ampleur. Néanmoins, retrouver une allure plus soutenable implique une pause dans la dynamique d'expansion, et la nécessité de voir se raffermir la demande des pays industrialisés.
La contrainte de la dette
Dans cet environnement atone, les contraintes liées à la résorption des dettes privées et publiques sont perçues de façon plus marquée. En effet, le montant des dettes, et par conséquent leur soutenabilité, est généralement mesuré à l'aune d'un indicateur de revenu : le revenu disponible pour les ménages et le PIB pour un pays. L'incertitude dans laquelle évolue l'économie des pays industrialisés donne à cette dette un caractère encore plus contraignant, surtout lorsque les autorités souhaitent assez rapidement mettre en œuvre des stratégies de stabilisation de celle-ci.
Conclusion
L'absence de reprise autonome est une situation nouvelle pour les pays industrialisés. Ils ne disposent plus de la capacité immédiate pour définir la trajectoire à suivre.
Dans le même temps, la résorption rapide des dettes privées et publiques suppose des arbitrages forts dès à présent. Cela accentue le ralentissement de l'activité, l'obligeant alors à évoluer durablement sous sa tendance de long terme.
En termes de politique économique, si l'on observe le caractère plus restrictif de la politique budgétaire visant à stabiliser la dette, il faut également prendre en compte la nécessité de maintenir une politique monétaire très accommodante afin de ne pas contraindre davantage l'économie.
Les banques centrales ont donc un rôle majeur à jouer puisqu'elles conservent potentiellement une capacité d'intervention. En effet, l'incertitude empêche les acteurs de l'économie de se projeter à un horizon un peu lointain. Cette absence de référence dans le futur est pénalisante pour la croissance puisque celle-ci "reflète" la capacité à investir aujourd'hui pour récolter demain. C'est pourquoi les degrés de liberté des banques centrales doivent être utilisés afin de former des jalons qui permettront de redéfinir clairement une trajectoire. Cela doit passer par la mise en place d'objectifs à court et moyen terme pour limiter l'incertitude. Ces éléments seront d'autant plus importants que, dans de nombreux pays, l'année 2012 sera une année électorale et, au regard de la période récente, forcément génératrice d'instabilité.