Indonésie : l’autre grand marché asiatique

par Delphine Cavalier, économiste chez BNP Paribas

  • De même que la Chine et l’Inde, l’Indonésie a évité la récession en 2009. Son PIB a progressé de 4,5% après 6,1% en 2008. La prévision de croissance pour cette année est de 5,5%.
  • La crise financière mondiale de 2008 n’a pas non plus détérioré les fondamentaux économiques du pays (finances publiques, balance des paiements, système bancaire).
  • La consommation privée est le principal moteur de croissance et a été soutenue l’an dernier par un policy mix expansionniste ainsi qu’une inflation faible, alors que le pays n’a pas subi de hausse sensible du chômage.

par Delphine Cavalier, économiste chez BNP Paribas

  • De même que la Chine et l’Inde, l’Indonésie a évité la récession en 2009. Son PIB a progressé de 4,5% après 6,1% en 2008. La prévision de croissance pour cette année est de 5,5%.
  • La crise financière mondiale de 2008 n’a pas non plus détérioré les fondamentaux économiques du pays (finances publiques, balance des paiements, système bancaire).
  • La consommation privée est le principal moteur de croissance et a été soutenue l’an dernier par un policy mix expansionniste ainsi qu’une inflation faible, alors que le pays n’a pas subi de hausse sensible du chômage.
  • L’augmentation du niveau de vie, la démographie et l’urbanisation contribuent à l’accélération du développement du grand marché intérieur. Pour élever davantage le potentiel de croissance, l’Indonésie toutefois, besoin d’accroître l’investissement.
  • Cependant, malgré les réformes, le climat des affaires reste médiocre, marqué par la corruption et un cadre légal faible.

 

Performance économique récente

Depuis quelques années, l’Indonésie se classe parmi les économies les plus performantes d’Asie après la Chine et l’Inde. L’Indonésie est, en effet, l’autre grand marché émergent d’Asie avec une population de 235 millions d’habitants et un PIB nominal de 520 milliards de dollars. Entre 2002 et 2008, l’économie a crû en moyenne de 5,5% par an, et la croissance est ressortie à 4,5% l’an dernier. Ce sont donc de bonnes performances comparées au reste de la région hors Chine et Inde, zone qui a enregistré une contraction de 0,5% en 2009.

– Une économie en forte croissance, tour née vers son marché domestique en plein boom

L’Indonésie a tiré sa robustesse de son ouverture plus limitée aux échanges extérieurs que dans la plupart des pays asiatiques, affichant le plus bas taux d’ouverture (36%) de la région après l’Inde (23%). Sur les trois premiers trimestres 2009, les exportations de biens et services en volume se sont contractées mais ont commencé à se redresser au T4 2009. Sur l’ensemble de l’année, la contribution extérieure nette a été positive compte tenu de la baisse plus forte des importations. La chute des exportations a été amortie puis enrayée par la sortie de récession des principaux partenaires commerciaux de l’Indonésie (Etats-Unis, Japon, Asie émergente) autour de la mi-2009 et par la réaccélération de la croissance en Chine et en Inde, qui deviennent des clients de plus en plus importants. En outre, les prix mondiaux d’un certain nombre de matières premières exportées par l’Indonésie se sont bien repris en 2009, faisant parfois plus que compenser leur chute de l’année précédente.

Mais l’Indonésie bénéficie surtout du dynamisme de sa demande domestique. La hausse des dépenses publiques liée aux élections et au stimulus budgétaire a constitué un important facteur de soutien l’an passé. La vigueur de la consommation des ménages, qui pèse pour 57% du PIB, a nourri le secteur des services (notamment tourisme, transports et télécoms), les ventes au détail et les immatriculations de voitures et de deux-roues en 2009. Les principaux déterminants de la demande privée sont restés bien orientés l’an passé. D’une part, l’inflation a été limitée à 4,8% en moyenne annuelle après 9,7% en 2008, en partie grâce à l’appréciation de la rupiah, permettant à la banque centrale de maintenir son principal taux d’intérêt à un niveau historiquement bas à 6,5%, bien qu’un resserrement soit déjà programmé avec la réaccélération attendue des prix. D’autre part, le chômage n’a pas augmenté fortement. Il n’y a pas eu de licenciements massifs dans l’industrie, car les emplois sont en large majorité à durée déterminée, à cause des indemnités de licenciement très élevées.

L’ajustement de la main-d’œuvre est donc permanent. Le large secteur informel fluidifie le marché du travail en permettant à la main-d’œuvre de s’assurer des revenus de subsistance en période d’activité basse. D’après la Banque mondiale, le secteur informel contribuerait pour environ la moitié de la croissance totale en moyenne par an. Plus généralement, l’Indonésie n’a pas été frappée de plein fouet par la récession industrielle mondiale, car le poids de son secteur manufacturier est moins prépondérant (30% du PIB, et même 25% en retirant le secteur manufacturier pétro-gazier) et moins exportateur que dans d’autres économies asiatiques. La structure de son PIB est plus diversifiée, et l’activité est restée soutenue dans les secteurs agricole et minier ainsi que dans les services. L’activité réelle a également été peu contaminée par le mælstrom financier grâce au faible endettement des entreprises, des banques et des consommateurs.

– Des équilibres économiques préservés malgré la crise de 2008, mais des vulnérabilités demeurent

 * Des finances publique points faibles à surveiller

Depuis son défaut souverain en 1998, l’Indonésie s’est distinguée par les tendances particulièrement vertueuses de ses finances publiques, comme reflété par les améliorations régulières de sa notation par les agences. Actuellement, celle donnée par Standard & Poor’s est à BB- et celle donnée par Moody’s à Ba2. La loi de responsabilité fiscale votée en 2003 pour limiter les déficits et la dette publics excessifs a été largement respectée. Le déficit public n’a pas excédé 2% du PIB depuis 2003 (contre une limite de 3% dans la loi), et la dette publique a été réduite de 64% du 2003 à moins de 30% en 2009 (limite de 60% dans la loi).

Le financement des déficits publics n’a pas posé problème depuis 2003, y compris l’an dernier, en raison de la modicité des montants à financer, de la liquidité du système bancaire indonésien et de l’appétit non démenti des investisseurs internationaux pour les émissions euro-obligataires indonésiennes en 2009. En outre, l’Indonésie avait sécurisé des plans de financement contingents avec les institutions financières internationales (i.e. déblocables seulement en cas de besoin) qui ont pu mettre les marchés de capitaux en confiance. Le bon déroulement des élections de 2009 a constitué un autre facteur de confiance. De manière générale, les autorités ont fortement réduit l’endettement extérieur, tout en profitant opportunément des conditions de financement favorables en devises jusqu’en 2007 et en allongeant la maturité de la monnaie locale essentiellement détenue par les banques.

L’assainissement des comptes publics a résulté en partie d’une action volontariste du gouvernement pour augmenter les recettes budgétaires via la réforme de l’administration fiscale (ayant pour principal but la répression de la corruption des fonctionnaires et de la fraude fiscale) et l’élargissement de l’assiette fiscale. Ce faisant, l’Etat a réduit le taux d’imposition maximum sur les entreprises et les ménages. En 2008, les recettes fiscales représentaient environ du PIB contre 8% en 2000, contribuant à relever les recettes totales à hauteur de près de 20% du PIB contre 15% huit ans plus tôt.

Cependant, la réduction du déficit résulte aussi d’une sous-utilisation récurrente des budgets au niveau central et local. En effet, la loi de décentralisation mise en œuvre en 2001, basée sur la redistribution du centre vers les provinces des recettes générées par les ressources naturelles, a eu pour effet paradoxal de geler les dépenses au niveau local en l’absence d’administration territoriale adéquate pour décaisser les fonds à disposition. De plus, la campagne anti-corruption qui a pris corps en 2004 a multipliécontrôles des dépenses des deniers publics, ce qui a gêné significativement les dépenses publiques jusqu’à aujourd’hui.

Il subsiste aussi le problème des subventions pétrole, puisque le gouvernement a abandonné en janvier un plan adopté un mois plus tôt, visant à poursuivre l’alignement des prix intérieurs des carburants sur les cours mondiaux pour protéger les finances publiques des fluctuations de prix du pétrole. Les prix actuels des carburants doivent finalement rester inchangés pour contenir l’inflation et protéger les revenus des ménages. Les subventions avaient baissé de 5,6% du PIB en 2008 à 3% en 2009. En 2010, elles devraient remonter légèrement au lieu de continuer à diminuer.

Le gouvernement retient un scénario de prix moyen du pétrole à $65/b en 2010 contre 61 en 2009. Tant que les cours du pétrole n’excèdent pas $80 sur une période de temps trop étendue, la charge des subventions publiques sur les finances publiques devrait rester raisonnable.

* Amélioration des comptes extérieurs, mais vulnérabilité aux flux de capitaux étrangers

La balance des paiements a traversé une période de stress en 2008. Les réserves officielles de changes, qui s’établissaient à un niveau record de 59 milliards de dollars en juillet 2008, ont chuté à 48 milliards de dollars en février 2009 sous l’effet de ventes massives sur les marchés obligataire et boursier indonésiens au plus fort de la crise financière mondiale, alors que dans le même temps le plongeon des exportations faisait disparaître l’excédent courant. Depuis lors, les réserves sont remontées à 66 milliards de dollars en décembre 2009 (environ 7 mois d’importations). La reprise des exportations a regonflé l’excédent courant à 7,4 milliards de dollars au T3 2009. Côté compte financier, les flux de capitaux se sont partiellement normalisés, restant dominés cependant par les investissements étrangers de portefeuille.

L’intérêt des investisseurs étrangers pour les actifs indonésiens s’est manifesté à nouveau dès le T1 2009, d’abord sur les titres de dette (les plus liquides) puis sur les actions à partir du T3 2009. Les sorties nettes sur ces deux classes d’actifs avaient atteint 4 milliards milliards de dollars au seul T4 2008. 

Sur les neuf premiers mois de 2009, les investissements nets de portefeuille s’élevaient à 7,2 milliards de dollars contre 6 milliards de dollars un an plus tôt. En revanche, les flux entrants d’IDE diminuent depuis le début de l’année (tendance commune à nombre de pays émergents), alors qu’ils sont déjà structurellement faibles au regard des besoins du pays et se concentrent dans le secteur pétro-gazier. D’après le FMI, le total des IDE entrants nets atteindrait 5,8 milliards de dollars pour l’ensemble de l’année dernière après 6,9 milliards de dollars en 2007 et 8,3 milliards de dollars en 2008.

La banque centrale reste vigilante quant à la menace que représente la volatilité des investissements de portefeuille. Ceux-ci sont un point de vulnérabilité important de la balance des paiements indonésienne, alors que le pays n’impose aucun contrôle de capitaux et se trouve donc aux avant-postes pour subir un renversement du phénomène de carry trade. La banque centrale estime que ses certificats et les obligations gouvernementales étaient détenus à hauteur de respectivement 5 et 10 milliards de dollars par des non-résidents en octobre 2009. Toutefois, ces flux de capitaux jouent un rôle majeur dans la liquidité du marché domestique et potentiellement sur l’activité économique via l’intermédiation du système bancaire. Le pays cherche aussi à attirer davantage d’IDE. De ce fait, la Bank of Indonesia est réticente à mettre en place des contrôles de capitaux et juge que ses réserves de changes seraient suffisantes pour faire face à des sorties soudaines en cas de choc. Le marché obligataire en monnaie locale souffrirait le plus dans un tel scénario.

Climat des affaires et investissement : quels progrès, quelles perspectives?

– Un cadre socio-politique qui tend à devenir favorable à la poursuite des réformes

Les élections de 2009 ont réaffirmé la stabilité politique de l’Indonésie et renforcé la perception extérieure de l’ancrage démocratique du pays depuis la fin de la dictature. Les résultats des dernières élections ont reconduit pour un deuxième et dernier quinquennat le président sortant Yudhoyono et renforcé son parti au parlement. Le programme du nouveau gouvernement reste résolument axé sur les réformes, avec pour objectif principal la poursuite de l’amélioration de l’environnement des affaires. Des personnalités populaires et appréciées des marchés pour leur orientation pro-réformes et anti-corruption ont été placées ou restent à la tête de ministères clés. Ainsi, Sri Mulyani Indrawati a été reconduite au ministère des Finances et Mari Elka Pangestu au ministère du Commerce. Néanmoins, les progrès devraient rester lents et sinueux pour préserver un consensus au sein de la coalition de gouvernement, garant de la stabilité politique. Comme le précédent, le nouveau gouvernement comprend de nouveau des ministres du Golkar, à des postes importants (Industrie, Entreprises publiques), ce qui rappelle l’influence politique persistante de ce parti en dépit de ses défaites dans les urnes. D’où un risque persistant de perturbation politique.

– Un fonctionnement effectif des agences anti-corruption et une population davantage sensibilisée aux problèmes de justice et d’équité sociale

La corruption reste enracinée en Indonésie et s’est même étendue depuis la décentralisation au début de la décennie précédente. Cependant, face à ce problème, l’Indonésie apparaît aussi mieux armée que par le passé. Cela tient essentiellement au travail et aux enquêtes de la KPK, l’agence anti-corruption indépendante et pourvue de pouvoirs étendus. L’efficacité de la KPK se double de celle de la Cour constitutionnelle. Restaurée en 1999, la liberté de la presse joue aussi un rôle majeur dans la médiatisation des divers scandales et affaires, suscitant la mobilisation de la population, notamment au sein des jeunes générations. Les réseaux sociaux comme Facebook constituent des relais efficaces aux comités de soutien. Au total, ces évolutions interpellent le pouvoir politique et le confortent dans sa lutte pour l’assainissement du climat des affaires. Elles contribuent aussi à prévenir toute tentation de retour en arrière ou d’auto-complaisance.

– Un cadre légal encore inefficace malgré des améliorations

La réforme de la justice est de loin la plus difficile. Les problèmes sont à deux niveaux. Le premier concerne les lois, leur interprétation et leur traduction pour les investisseurs étrangers opérant dans le pays. Le second, et le plus important, relève des juges eux-mêmes et de leur manque d’impartialité. Pour certains secteurs non libéralisés (notamment mines, pétrole et gaz, infrastructures), ce risque d’inconsistance de la loi se combine, dans une organisation administrative fraîchement décentralisée, à un manque de cohérence d’ensemble, entre les lois promulguées par le gouvernement national et celles émanant des autorités locales.

Toutefois, certains exemples illustrent les efforts de clarification de certaines lois sensibles (nouvelle loi d’investissement en 2007, nouvelle loi sur les mines en 2008). En revanche, le gouvernement ne prévoit pas de réviser les lois du travail qui pénalisent le marché de l’emploi. De même, la loi sur les faillites reste faible et avec elle la protection de l’investisseur alors que les tribunaux de commerce sont encore perçus comme partiaux et souvent favorables aux débiteurs (surtout vrai dans les secteurs non libéralisés).

– Tendances de l’investissement : forte accélération peu probable mais une croissance régulière

En 2009, la part de l’investissement total dans le PIB s’est établie à 23,5%, soit en léger recul par rapport à 2008 mais en hausse tendancielle depuis 2003, en ligne avec l’évolution du taux d’utilisation des capacités. Malgré toutes ses faiblesses, l’Indonésie affiche donc le taux d’investissement le plus élevé de l’Asean-4. Combiné à des facteurs d’accélération structurelle de la demande domestique, le taux d’investissement est appelé à continuer à s’accroître, d’autant plus si les capacités de production sont restreintes. L’investissement productif au sens strict ne représente, en effet, qu’une part congrue de l’investissement total à côté de l’investissement immobilier. La demande des ménages va continuer à augmenter sous l’effet de l’élévation du niveau de vie, qui ne se limite plus qu’à Java et aux principales métropoles, mais se généralise à l’ensemble du pays, avec un rattrapage dans les provinces riches en matières premières. L’urbanisation est un autre facteur clé d’accélération de la demande.

Cependant, on ne voit pas à ce stade l’Indonésie s’acheminer vers un scénario d’accélération sensible de l’investissement, comme cela a, par exemple, été le cas en Inde au début des années 2000. D’une part, l’Indonésie attire encore trop peu d’IDE. Ceux-ci ont certes redécollé en 2005 mais ne représentent encore que 1% du PIB par an en moyenne. La faiblesse du cadre légal en est la principale raison. D’autre part, en matière de financement, les grandes entreprises indonésiennes n’atteignent pas la taille critique sur les marchés de capitaux internationaux pour lever des fonds, alors que les marchés locaux sont trop peu développés et que le crédit bancaire en rupiah reste cher. Les banques d’investissement restent sélectives et l’accès au crédit pour les PME difficile.

Au final, après une croissance moyenne de 5,5% par an entre 2002 et 2008 et une performance estimée à 4,5% en 2009, la croissance potentielle de moyen terme devrait accélérer légèrement vers 6-6,5% par an d’ici à 2015 grâce à une demande des ménages soutenue doublée d’une reprise modeste de l’investissement.

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