Japon : pas de sortie prématurée de la déflation en dépit des signes de reprise

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

  • Le marché du travail s'est amélioré en octobre, en partie en raison d’une baisse des coûts de travail. 
  • Dans ce contexte, les dépenses de ménage ont bien résisté, en partie grâce à la politique de relance du gouvernement.
  • En octobre, les prix à la consommation ont diminué de 2,5% en glissement annuel, ce qui représente une baisse record. L’économie est aux prises avec une déflation modérée mais persistante. Nous pensons que la baisse des prix devrait perdurer au moins jusqu’en 2012.
  • La Banque du Japon a indiqué qu’elle continuerait de suivre une politique monétaire extrêmement accommodante sur une période prolongée. D'ailleurs, son Conseil de Politique Monétaire envisage de prendre d’autres types de mesures plus efficaces que les programmes qui arriveront prochainement à expiration.

 

Les perspectives économiques du Japon se sont nettement améliorées. Stimulée par une forte demande étrangère, en particulier en provenance des pays émergents d'Asie orientale, et par les plans de relance du gouvernement, la croissance a atteint 1,2% au troisième trimestre après une progression de 0,7% au deuxième trimestre. Pourtant, l’économie devrait se contracter de 5,2% sur l’ensemble de l’année, ce qui représente la récession la plus sévère qu’ait connu le pays depuis la deuxième guerre mondiale.

Dans un tel contexte, les conditions du marché du travail se sont révélées meilleures qu’attendu. Au mois d’octobre, le taux de chômage a chuté à 5,1%, soit 0,2 point de pourcentage de moins que le mois précédant, et 0,6 point de pourcentage plus bas que son plus haut historique atteint en juillet. La hausse du ratio postes/candidats constitue une autre signe d’amélioration du marché du travail. En septembre, cet indicateur est monté à 0,43, ce qui représentait sa première augmentation depuis 28 mois. En octobre, il a atteint 0,44.

Cette amélioration procède en partie du ralentissement du rythme des destructions d'emplois. D’octobre 2008 à octobre 2009, le secteur manufacturier a perdu 880 000 emplois, tandis que 240 000 postes étaient supprimés dans le BTP. Ce phénomène a été en partie compensé par des créations d’emplois dans les services – plus de 40 000 personnes ont notamment été embauchées dans le secteur de la santé. En conséquence de ces mouvements intersectoriels sur le marché de l’emploi, le taux d’activité des femmes a augmenté, tandis que celui des hommes continuait de diminuer.

Le vieillissement de la population, qui fait que de nombreux chômeurs âgés quittent le marché, a contribué à limiter un peu la dégradation des conditions sur marché du travail. L’offre de travail est restée quasiment inchangée.

En outre, les entreprises ont réussi à réduire leurs coûts salariaux à l'aide de l'ajustement à la baisse des rémunérations. Les salaires nominaux par salarié ont fortement diminué ces derniers mois, ce qui s'explique en partie par la baisse des primes qui a suivi la chute des bénéfices des entreprises. Le nombre de sociétés ayant attribué des primes pendant l’été a reculé à 66,4% en 2009, contre 70,2% en 2008. De plus, ces primes estivales ont diminué en moyenne de 9,7%. Un recul similaire est à prévoir pour les primes d’hiver.

Par ailleurs, les salaires ordinaires et le paiement des heures supplémentaires ont poursuivi leur repli, en conséquence de l'érosion du nombre d’heures travaillées dans le secteur manufacturier.

Bien que le taux de chômage se situe à un niveau relativement bas par rapport aux autres pays industrialisés, il reste extrêmement préoccupant. Tout d’abord, il est sans doute largement sous-estimé en raison de la part significative de travailleurs découragés. De plus, les autorités ont l’impression que la diminution actuelle du taux de chômage pourrait n’être que temporaire sachant que la croissance économique devrait marquer le pas en 2010 et que de nombreuses entreprises ont fait savoir que leurs effectifs étaient encore supérieurs à leurs besoins.

Les dépenses de consommation sont tirées à la hausse par la grippe et par les mesures de relance exceptionnelles

La diminution des salaires et le recul de l’emploi pèsent sur les revenus des ménages actifs. D'après l'enquête sur les revenus et les dépenses des familles, le revenu nominal de ces derniers au mois d’octobre était inférieur de 4,6% à celui de l’année précédente.

Sachant que les prix ont également chuté (voir plus bas), cette érosion du revenu a été limitée à -1,8% (-1.9% impôts compris).

Dans un tel contexte, les dépenses réelles de ménages ont fait preuve d’une résistance remarquable, grâce en partie aux mesures de relance du gouvernement. Les dépenses des ménages actifs ont augmenté de 0,6%, et celles de l’ensemble des ménages ont progressé de 1,6% par rapport à l’an dernier.

En particulier, les dépenses en soins médicaux se sont inscrites en forte hausse de 11,4% (comme le mois précédent), ce qui pourrait être lié à la pandémie de grippe A. Plus de 9 millions de personnes auraient attrapé la grippe entre début juillet et le 15 novembre, et la plupart auraient été infectées par le virus H1N1.

Les dépenses de transport et de biens de consommation ont été également très solides, avec des progressions de respectivement 4,7% et 4,4% en glissement annuel en octobre. Ces dépenses ont bénéficié du soutien des aides spéciales de l’État à l’achat de voitures écologiques et d’équipements domestiques à basse consommation d’énergie. En revanche, les ménages ont réduit leurs dépenses dans d’autres catégories comme le logement, l’habillement et les chaussures.

L’inflation fermement ancrée en territoire négatif

L’inflation est fermement ancrée en territoire négatif. Au mois d’octobre, les prix ont chuté de 2,5%, ce qui représente une baisse record. Les prix sous-jacents (hors produits alimentaires frais selon la définition japonaise) ont reculé de 2,2%, ce qui n’est que légèrement inférieur au mois précédent (-2,3%). La forte diminution des prix procède largement des produits alimentaires et de l’énergie, dont les prix ont considérablement baissé par rapport à l’an dernier. Sans ces éléments, le taux d’inflation ressort à -1,1%, soit quasiment au même niveau que le mois précédent.

La remontée récente des prix du pétrole laisse supposer que l’inflation pourrait avoir atteint son point bas en octobre. En novembre, l’inflation à Tokyo a légèrement rebondi, à -2,2% contre -2,4% un mois plus tôt. Hors produits alimentaires et énergie, l’inflation sous-jacente était presque stable, à -1,1%.

L’économie est aux prises avec une déflation modérée mais persistante. Nous pensons que la baisse des prix devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2012. Cependant, le risque de spirale déflationniste ne nous semble pas très élevé. Ni les entreprises ni les ménages ne sont sérieusement endettés. Au contraire, et malgré des taux d’intérêt proches de zéro, les entreprises ont considérablement assaini leurs bilans ces dernières années.

La Banque du Japon devrait conserver une politique extrêmement accommodante

La Banque du Japon ne prévoit pas non plus de sortie précoce de la déflation. D’après ses prévisions, l’inflation sous-jacente (selon la définition japonaise) devrait atteindre environ -0.4% durant l’exercice 2011. Pourtant, l’institution a décidé de mettre fin à son programme d’acquisitions directes d’effets de commerce et d’obligations d’entreprises d’ici à la fin de l’année. Cette décision est largement symbolique sachant que ces instruments ont été peu employés. En outre, cette politique a donné lieu à des effets secondaires indésirables, le taux d’émission de certains effets de commerce bien notés s’étant révélé inférieur aux rendements des emprunts d’État.

La politique de la Banque du Japon a été abondamment critiquée.

Dans son rapport mensuel, le gouvernement arrive à la conclusion que l’économie serait en « phase de légère déflation » et demande la Banque à « suivre une politique monétaire appropriée et flexible (…) pour faciliter le retour de l’économie japonaise à un rythme de croissance durable avec des prix stables ». Durant la réunion du comité de politique monétaire du 30 octobre, le représentant du gouvernement a demandé à l’institution d’expliquer clairement la logique entre son approche des politiques monétaires non conventionnelles et sa vision prudente des perspectives de croissance et d’inflation. L’OCDE a également critiqué l’action de la Banque. Dans ses dernières Perspectives économiques, elle la pressait de mettre en place davantage de mesures d’assouplissement quantitatif pour lutter contre la déflation.

Quoi qu’en disent ces critiques, la Banque du Japon n’a pas durci sa politique monétaire. Bien au contraire, elle a clairement indiqué qu’elle continuerait de suivre une approche extrêmement accommodante sur une période prolongée. De plus, son Conseil de Politique Monétaire envisage de prendre d’autres types de mesures plus efficaces que les programmes qui arriveront prochainement à expiration. Enfin, avec des taux d’intérêt proches de zéro, la marge de manœuvre de la politique monétaire pour soutenir l’économie reste faible. Dans une telle situation, la politique budgétaire peut être plus efficace.

Malheureusement, en raison entre autres de politiques antérieures mal avisées, qui ont laissé au gouvernement une dette de 200% du PIB, les possibilités de mesures de relance budgétaire sont limitées.

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