Japon : tours de vis budgétaire et fiscal en vue ?

par Kohei Iwahara, économiste chez Natixis

Selon nos prévisions, l’économie japonaise devrait croître à un rythme de 2,6% (GA) en 2012 et de +0,8% (GA) en 2013. Même si l'écart de production négatif (« output gap ») devrait se réduire, la croissance économique ne sera pas suffisamment vigoureuse pour faire disparaître les tensions déflationnistes. Les taux d'intérêt réels sont susceptibles de rester relativement élevés et, ce faisant, de dissuader les entreprises d'augmenter leurs investissements et leurs embauches.

En conséquence, la consommation privée devrait rester déprimée. L'économie mondiale semblant appelée à éviter un « double creux », la demande d'exportations offrira un certain soutien à la croissance globale. Compte tenu des perspectives d'une croissance atone, la BoJ devrait maintenir son principal taux directeur à 0,1%. Le risque entourant nos prévisions est la possibilité de voir l'économie renouer avec la récession en 2013 si les politiques budgétaire et fiscale devaient être fortement durcies.

Les risques baissiers entourant la croissance en 2013

Selon notre scénario central, la croissance du PIB japonais va s'établir en 2012 et 2013 à, respectivement, +2,6% (GA) et +0,8% (GA). Si l'économie devrait s'accélérer en 2012 à la faveur de la mise en œuvre des projets de reconstruction dans la région de Tohoku, elle va probablement croître à un rythme inférieur à son taux de croissance potentielle de 1,0% environ en 2013. Il y a à cela trois raisons. La première est la baisse attendue de l'investissement public. Deuxièmement, le gouvernement pourrait revoir à la hausse divers impôts dans un contexte de déflation. Et troisièmement, eu égard à une reprise plutôt timide de l'économie mondiale et à la vigueur du yen, les exportations japonaises ne devraient pas devenir un facteur de soutien suffisamment puissant pour entraîner une reprise soutenue de l'économie nipponne. Si les politiques budgétaire et fiscale devaient être rendues plus rigoureuses au cours d'une période de forte aversion au risque sur les marchés financiers internationaux et de ralentissement de l'économie mondiale, la menace d'une récession en 2013 ne pourrait être exclue.

Les incertitudes à l'égard des politiques budgétaire et fiscale

Les politiques budgétaire et fiscale représentent la plus grande incertitude pesant sur nos prévisions économiques. Si le Cabinet de Yoshihiko Noda est déterminé à accroître les dépenses publiques de manière à financer les projets de reconstruction dans la région de Tohoku, le Premier ministre (PM) souhaite également faire avancer la réformer fiscale en relevant divers impôts. La difficulté des prévisions économiques provient du fait que les détails des hausses d'impôts sont encore flous au moment de la rédaction de cette Note mensuelle.

L'augmentation des investissements publics devrait permettre de soutenir la croissance économique. Afin d'accélérer la reconstruction dans la région de Tohoku, la Diète a déjà voté les premier et second budgets supplémentaires pour un montant total de 6 000 milliards de yens (soit près de 1,2% du PIB). De plus, le gouvernement et le Parti démocrate du Japon (PDJ) élaborent le troisième budget supplémentaire qui devrait s'élever à 12 000 milliards de yens (environ 2,4% du PIB).

Toutefois, le démarrage effectif des projets de reconstruction est susceptible d'être retardé. En effet, si les montants des budgets sont impressionnants, le récent ralentissement des commandes publiques donne à penser que leur application a été relativement lente. En outre, le vote du troisième budget supplémentaire à la Diète devrait être reporté à la fin du mois d'octobre ou au mois de novembre. Si le PM Yoshihiko Noda gère mal le scandale politico-financier impliquant Monsieur Ichiro Ozawa, la possibilité de nouveaux retards ne peut être écartée.

La politique budgétaire se fera moins expansionniste à compter de 2013. Dans le cadre de notre scénario central, nous pensons que l'investissement public s'accélérera à compter du T4 2011, puis décélérera à partir de la mi-2013. En cas de retard dans la mise en œuvre des projets de reconstruction, la croissance du PIB en 2013 serait alors revue à la hausse aux dépens de la croissance en 2011 et 2012. Concernant les hausses d'impôts, le gouvernement et le PDJ envisagent actuellement divers projets qui se doivent d'être approuvés par la Diète avant d'entrer en vigueur. Selon les médias, l'impôt sur les sociétés pourrait être relevé à compter d'avril 2012 pour une période de trois années et l'impôt sur le revenu pourrait être augmenté à partir de janvier 2013 pour une durée de dix ans.

Les exportations

La demande d'exportations a toutes les chances d'augmenter dans la mesure où l'économie mondiale devrait éviter une nouvelle récession (un « double dip »). S'il est vrai que le ralentissement actuel de l'économie mondiale suggère une moindre demande d'exportations, les exportations devraient toutefois se redresser au second semestre 2011. En effet, les chaînes de production s'étant en très grande partie remises des perturbations qui avaient fait suite au séisme, les industriels sont à même de répondre à la demande en provenance de l'étranger. En 2012, les exportations vont également bénéficier d'un effet de base favorable en progressant de +4,5% (GA). Même si la vigueur persistante du yen est susceptible de limiter la demande étrangère, les exportateurs japonais vont dans une certaine mesure pouvoir bénéficier de la proximité géographique avec la Chine et les économies émergentes asiatiques. Nous prévoyons une croissance de +4,1% en GA des exportations en 2013.

Faiblesse attendue des investissements des entreprises

Les investissements des entreprises devraient croître de +4,1% (GA) en 2012 grâce à des effets de base favorables, mais nous n'anticipons pas pour autant leur forte reprise en 2013. Ils devraient ainsi demeurer modérés en progressant de +1,2% (GA). En effet, non seulement les bénéfices des entreprises devraient rester anémiques, mais les sociétés nipponnes pâtissent également de surcapacités.

Tout d'abord, les profits des entreprises devraient continuer d'être médiocres. Les résultats courants ont chuté de -14,6% (GA) au T2. La soudaine baisse des profits pourrait s'avérer n'être que temporaire en raison des répercussions négatives du tremblement de terre. Toutefois, l'enquête Tankan de la BoJ suggère que les bénéfices des entreprises sont susceptibles de rester tendus pendant une période prolongée. En effet, les sociétés ont répondu que, même si les prix à la production continuaient de baisser, les coûts des intrants avaient quant à eux augmenté. Comme nous l'avions indiqué dans la Note mensuelle de septembre sur le Japon, l'appréciation du yen devrait également venir rogner les marges bénéficiaires. Dans la mesure où les profits des entreprises sont un vecteur important des dépenses d'équipement, les investissements devraient donc demeurer limités.

Deuxièmement, les sociétés japonaises souffrent de surcapacités. Selon l'enquête Tankan, les entreprises ont été nombreuses à estimer que leurs capacités de production étaient à des niveaux excessifs. Les niveaux perçus par le secteur manufacturier sont identiques à ceux des années 90, années au cours desquelles les sociétés nipponnes réduisaient leur endettement. De plus, dans la mesure où la déflation persistante se traduit par des taux d’intérêt réels élevés, les entreprises ne sont pas incitées à augmenter leurs capacités de production.

Une consommation privée anémique

La consommation privée est susceptible d'augmenter de +1,2% (GA) en 2012 et de +1,0% (GA) en 2013. A mesure de l'avancement des projets de reconstruction, la confiance et les dépenses des ménages ont des chances de montrer des signes d'amélioration en 2012 après s'être soudainement détériorées en 2011. Pour autant, la reprise de la consommation devrait être limitée en 2013.

La première raison en est le caractère atone attendu de la croissance de l'emploi. Même si le taux de chômage a soudainement reculé de 4,7% en juillet à 4,3% en août, l'emploi et la population active ont tous les deux baissé. Certaines personnes pourraient avoir quitté les rangs de la population active car découragées de chercher un emploi. Par ailleurs, l'enquête Tankan révèle que les entreprises possèdent un nombre excessif d'employés. Compte tenu des perspectives d'une croissance modérée de l'économie et des embauches, les salaires ne devraient que modestement augmenter, limitant ainsi la croissance de la consommation des ménages.

La seconde raison est l'augmentation probable de l'épargne des ménages. D'un côté, la progression des salaires est susceptible d'être restreinte et les conditions d'emploi devraient rester difficiles en raison des perspectives d'une croissance anémique et, de l'autre, le Cabinet de Yoshihiko Noda est déterminé à faire avancer la réforme fiscale. Selon la toute dernière enquête du journal Nikkei, 52% des électeurs se sont dits être contre une augmentation des impôts, contre seulement 28% dans l'enquête précédente.

Peut-être qu'à mesure que les détails des hausses d'impôts sont exposés, les électeurs prennent-ils soudainement plus conscience de leurs impacts sur leurs vies. C'est pourquoi les ménages devraient se montrer prudent vis-à-vis de leurs dépenses et accroître leur épargne.

La BoJ demeure prudente

La BoJ devrait conserver une politique monétaire prudente. Selon nous, la BoJ maintiendra son taux cible à 0,1% jusqu'à la fin 2013, les tensions inflationnistes étant vraisemblablement appelées à rester faibles. Si le yen retrouve soudainement le chemin de la hausse, la BoJ devrait réagir en augmentant son Programme de rachat d'actifs. A moins d'être confrontée à la nécessité d'assouplir sa politique monétaire, la BoJ devrait plutôt préférer évaluer les effets de ses décisions passées. Le gouverneur de la BoJ, Masaaki Shirakawa, a indiqué que la Banque centrale avait pris des mesures « extraordinaires » afin de soutenir l'économie.

Conclusion

Nous pensons que l'économie japonaise enregistrera une croissance de +2,6% (GA) en 2012, principalement à la faveur de la réalisation des projets de reconstruction dans la région de Tohoku. En 2013, l'économie devrait marquer le pas avec une croissance de +0,8% (GA) sous l'effet du durcissement des politiques budgétaire et fiscale. Compte tenu de la faiblesse attendue de la croissance des bénéfices, les entreprises ne devraient pas augmenter leurs investissements et leurs embauches. Cette situation accentuera à son tour les pressions baissières sur la consommation des ménages. En raison d'une reprise de l'économie mondiale qui devrait se révéler plutôt timide, la demande d'exportations ne devrait pas permettre de conduire l'économie nipponne sur la voie d'une reprise soutenue. Dans ces conditions, les tensions déflationnistes devraient perdurer et la BoJ maintiendra son taux d'intérêt cible à 0,1%. Si le gouvernement décide d’instaurer des hausses d'impôts importantes au moment même où l'économie mondiale est à la veille d'un ralentissement, la possibilité d'une récession en 2013 ne peut être écartée.

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