par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Depuis un mois, l’euro ne cesse de s’apprécier face au dollar. Alors que la devise européenne fluctuait depuis la crise dans un intervalle compris entre 1,25 et 1,45 dollar, elle a franchi au cours des derniers jours la limite haute de cette borne pour atteindre 1,48 dollar en début de semaine.
Pour qui se souvient de l’évolution des taux de change avant le déclenchement de la crise, cette faiblesse de la monnaie américaine ne devrait pas surprendre. Rappelons-nous en effet que la valeur de l’euro était passée de moins de 0,90 dollar à plus de 1,60 dollar entre 2002 et la mi-2008. Rappelons-nous en outre que cette évolution s’expliquait par la faiblesse structurelle de la devise américaine, plus que par une supposée force intrinsèque de l’euro (croissance faible,construction européenne en panne…). Pour preuve, sur la même période, le dollar effectif1 avait perdu presque 40 % de sa valeur.
Or, même si les origines de cette faiblesse structurelle de l’économie américaine ont été quelque peu modifiées2, le constat reste identique : les déséquilibres externes, malgré la baisse de la demande intérieure et le repli du prix du pétrole (par rapport à ses points hauts), restent toujours très importants3. En conséquence, dès le retour à un optimisme certain de la part des marchés4, les mouvements de rapatriement des capitaux des pays émergents vers les Etats-Unis se sont interrompus, le dollar a perdu (temporairement ?) son statut de valeur de réserve et la valeur de la devise américaine a chuté.
La vitesse de dépréciation du dollar peut toutefois surprendre. En effet, depuis juillet 2008, la Chine a de nouveau décidé (comme c’était le cas avant l’été 2005) de fixer sa devise par rapport au dollar, rejoignant ainsi la plupart des pays producteurs de pétrole, beaucoup de pays asiatiques et quelques pays sud-américains. Or cette « grande zone dollar », dont les caractéristiques économiques devraient conditionner l’évolution de la principale devise du système financier international, possède des « fondations » bien plus robustes que celle de l’économie américaine seule5 : déficit commercial limité, taux d’épargne très élevé, potentiel de croissance important, démographie plus favorable… En conséquence, la dépréciation récente du dollar pourrait paraître excessive.
Toutefois, pour intégrer cette « grande zone dollar » et défendre la fixité de la parité de leur devise nationale face au dollar, les pays qui la composent, Chine en tête, doivent accumuler d’importantes réserves de change (c’est-à-dire, pour résumer, acheter des titres publics américains), ce qui alimente la liquidité mondiale. La base monétaire mondiale, après avoir reculé pendant un temps, a désormais retrouvé des rythmes de progression élevés (supérieurs à 20 % l’an). Cette liquidité abondante a permis, dans un contexte de légère amélioration économique, de faire repartir à la hausse les marchés et, surtout, de faire chuter l’aversion pour le risque. Néanmoins, cette situation, au moment où les finances publiques américaines font naître quelques inquiétudes, alimente la faiblesse du dollar. Et ce, d’autant plus qu’avec des taux courts qui sont à des planchers (pour la première fois, le taux Libor 3 mois US est passé sous le niveau de ses homologues japonais ou suisses), la devise américaine devient une devise de financement pour les opérations de portage, en particulier face aux devises des pays producteurs de matières premières (dollars australien ou néo-zélandais, par exemple).
Comme nous tablons sur une correction prochaine des marchés risqués (marchés actions en particulier), suite à la hausse impressionnante des derniers mois (supérieure à 50 % par rapport aux points bas de mars dernier), nous pensons que le dollar pourrait retrouver des couleurs dans le courant de l’hiver. Un retour vers 1,40 nous apparaît même probable. Toutefois, à plus long terme, un niveau de l’euro / dollar supérieur à 1,50 nous apparaît toujours comme l’hypothèse la plus probable.
NOTES
- C’est-à-dire la moyenne pondérée des taux de change bilatéraux du dollar par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis.
- Après les forts besoins de financement des entreprises américaines à la fin de la décennie 90 et au début de la décennie 2000 (explosion de l’investissement dans le sillage de la bulle Internet), puis les forts besoins de financement des ménages entre 2002 et 2008 (bulle immobilière), c’est désormais l’Etat américain qui se trouve en très fort déficit.
- Cf. Artus P. (2009), « Pourquoi le recul de la demande intérieure aux Etats-Unis et la hausse du taux d'épargne des ménages américains ne réduisent pas les "déséquilibres globaux", la faiblesse potentielle du dollar et la croissance de la liquidité mondiale ? », Flash n°425, 22 septembre.
- Cf. Bourgeois A. (2009), « Edito : Reprise économique : « Attention à ne pas aller trop vite en besogne »…», Eco Hebdo n°32, 28 août.
- Cf. Artus P. (2009), « Dollar fort euro faible ou dollar fiable euro fort : que prévoir ? », Flash n°314, 7 juillet.