L’absent du G20 : le régime mondial de change

par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis

A l'exception de quelques phrases générales et politiquement correctes, la question des taux de change et du Système Monétaire International est absente des débats et des conclusions du G20. Pour quelle raison ?

L'interprétation habituelle est qu'il s'agit d'éviter un conflit entre les Etats-Unis et la Chine. Mais cette interprétation est bizarre puisque la stabilisation du taux de change du RMB par rapport au dollar est au total favorable aux Etats-Unis (en leur permettant de garder des taux d'intérêt à long terme très bas), à la Chine (en lui permettant de sous-évaluer sa monnaie), et d'ailleurs aussi aux autres pays (en évitant l'effondrement du dollar).

La réalité est peut-être que la situation présente convient parfaitement aux pays du G20.

1 – Peu de discussions sur le sujet des taux de change au G20

Après le G20 finance de St Andrews (7-8 novembre 2009) les commentaires des délégués sur la question des taux de change ont été "discussions on currencies were limited over the week-end" ou "the US does not think adding pressure on China will be effective".

On peut s'étonner de l'absence de débats sur le taux de change au G20 alors que :

  • la faiblesse du dollar, à nouveau depuis le 2ème trimestre 2009, vient de très forts flux de capitaux qui sortent des Etats-Unis et se dirigent vers les pays émergents ;
  • ceci implique que pour éviter ou limiter la dépréciation du dollar par rapport à leurs monnaies, les pays émergents et exportateurs de matières premières doivent à nouveau accumuler d'énormes réserves de change, ce qui est le cas en particulier pour la Chine ;
  • cette politique de change des émergents pérennise la sous-évaluation réelle de leurs devises (graphique 3) et conduit à une très forte création monétaire mondiale, à nouveau essentiellement due à l'accumulation de réserves de change, et plus, comme après la faillite de Lehman, aux politiques monétaires des grands pays de l'OCDE.

L'excès de liquidité, les distorsions des taux de change devraient normalement attirer l'attention du G20.

2 – L'explication usuelle pour l'absence de débat sur les taux de change est peu crédible

L'explication usuelle pour l'absence de débat sur les taux de change au G20 est la suivante : il s'agit d'éviter un conflit entre les Etats-Unis et la Chine. Les Etats-Unis sont supposés demander à la Chine d'apprécier le RMB par rapport au dollar ; la Chine est supposée demander aux Etats-Unis de prendre des mesures de politique économique (politiques budgétaires et monétaires plus restrictives) pour éviter la dépréciation du dollar.

Mais cette interprétation ne nous paraît pas du tout convaincante :

  • l'écart de coût de production entre la Chine et les Etats-Unis, le mauvais état de l'industrie américaine (visible par exemple à sa performance à l'exportation, l'irréversibilité des délocalisations vers la Chine rendent très inefficace une appréciation du RMB par rapport au dollar, comme on l'a vu pendant la période d'appréciation du RMB de 2005 à 2008 pendant laquelle le déficit extérieur des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine ne s'est pas réduit ;
  • l'accumulation de réserves de change en Chine contribue considérablement au financement du déficit public des Etats-Unis et évite qu'il conduise à une hausse significative des taux d'intérêt à long terme malgré le déficit budgétaire ;
  • la stabilisation du RMB par rapport au dollar contribue au redressement de la production industrielle en Chine, alors que l'appréciation antérieure avait freiné fortement la production ;
  • la politique de change de la Chine évite l'effondrement du dollar qui viendrait des sorties de capitaux, ce qui est favorable à tous les autres pays, en particulier à l'Europe.

On ne comprend donc pas bien pourquoi le régime de change de la Chine serait un sujet de conflit avec les Etats- Unis ou les autres pays de l'OCDE.

Dans l'autre sens, les Etats-Unis, de fait, ont une économie qui évolue dans le sens de la réduction des déséquilibres avec la hausse de l'épargne des ménages et la diminution du déficit extérieur, et sont donc moins critiquables de ce point de vue qu'avant la crise.

3 – En réalité, un accord de fait sur le régime de change

L'interprétation habituelle est que le refus de fait du G20 de parler du régime de change et du Système Monétaire International vient des conflits autour de ces sujets, particulièrement entre les Etats-Unis et la Chine.

Nous pensons qu'en réalité le régime de change choisi par la Chine convient parfaitement bien aux Etats-Unis, à l'Europe, pour les raisons vues ci-dessus (financement du déficit budgétaire américain, soutien du dollar).

L'attitude du G20 indique sans doute qu'en réalité il y a consensus sur le maintien du peg entre RMB et dollar, malgré ses inconvénients globaux : excès de liquidité, distorsions des taux de change réels.

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