La BCE enclenchera la hausse des taux au 3e trimestre

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • Après le durcissement de ton de ces dernières semaines, la réunion de la BCE du 3 mars sera très suivie par les marchés.
  • Le communiqué devrait insister sur les risques inflationnistes à court terme, avec une BCE particulièrement vigilante face à la propagation de la hausse des prix à l’importation le long de la chaîne des prix jusqu’au consommateur final.
  • Nous prévoyons désormais deux hausses des taux de 25 pdb de la BCE au second semestre 2011, en septembre et en décembre. La raison principale de ce changement est la révision à la hausse de nos prévisions de croissance et d’inflation pour 2011, laquelle crée un risque de dérive haussière des anticipations d’inflation.

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • Après le durcissement de ton de ces dernières semaines, la réunion de la BCE du 3 mars sera très suivie par les marchés.
  • Le communiqué devrait insister sur les risques inflationnistes à court terme, avec une BCE particulièrement vigilante face à la propagation de la hausse des prix à l’importation le long de la chaîne des prix jusqu’au consommateur final.
  • Nous prévoyons désormais deux hausses des taux de 25 pdb de la BCE au second semestre 2011, en septembre et en décembre. La raison principale de ce changement est la révision à la hausse de nos prévisions de croissance et d’inflation pour 2011, laquelle crée un risque de dérive haussière des anticipations d’inflation.
  • Notre scénario repose sur des hypothèses fortes : amélioration des comptes publics et de la situation des banques dans les mois à venir, aide supplémentaire aux pays les plus en difficulté.
  • Nos prévisions à moyen terme sont inchangées. L’inflation devrait refluer en 2012, sur fond de stagnation de l’inflation sous-jacente, de croissance toujours réduite du crédit et de risque baissier sur l’activité liée à la consolidation budgétaire. Nous continuons à tabler sur un taux de refinancement de 2,25% fin 2012.
  • L’offre de liquidité au secteur bancaire devrait rester généreuse, avec le maintien aussi longtemps que nécessaire des allocations illimitées de liquidité lors des Opérations de Refinancement Principales (MRO).

 

Plusieurs membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, des plus dovish aux plus hawkish, se sont inquiétés publiquement des risques inflationnistes au cours des dernières semaines. Lorenzo Bini-Smaghi, notamment, a évoqué l’hypothèse d’une hausse des taux préventive, «à mesure de la reprise de l’économie et de l’augmentation des pressions inflationnistes globales ». Bien que nous considérions ce durcissement du discours comme un moyen habituel utilisé par la BCE pour ancrer les anticipations d’inflation, les développements récents nous ont néanmoins conduits à relever nos prévisions de croissance et d’inflation à court terme et à réviser dans la foulée notre scénario de politique monétaire en zone euro.

Sous l’hypothèse d’un apaisement graduel des tensions dans les pays périphériques, nous prévoyons que la BCE commencera à relever ses taux au T3, avec une hausse qui sera probablement de 25 pdb en septembre suivie d’une hausse équivalente en décembre (nous tablions jusqu’à présent sur une première hausse des taux en janvier 2012). Les hausses de taux de la BCE devraient ensuite être très graduelles en 2012 à condition que les anticipations d’inflation restent sous contrôle. Plusieurs raisons nous amènent à penser que le cycle de resserrement qui s’annonce ne ressemblera ni à celui de 2005 ni à celui de 2008.

Ce nouveau scénario s’appuie sur une hypothèse forte avec le pari que sera mis en place un « plan de résolution de crise » faisant l’objet d’un accord entre dirigeants européens dans les semaines à venir – et dans tous les cas avant que la BCE ne commence à normaliser sa politique monétaire. A contrario, si les tensions souveraines et bancaires reprenaient malgré tout au cours des prochains mois, la BCE se verrait probablement contrainte de reporter la première hausse de taux à 2012.

La BCE a toujours fait une distinction entre la fixation du niveau des taux et la gestion des mesures exceptionnelles de liquidité, destinées à rétablir les canaux de transmission de la politique monétaire et à fournir des liquidités au secteur bancaire. Nous pensons que la BCE se montrera flexible sur le second aspect de sa stratégie, avec une prolongation probable de l’offre illimitée de liquidité à court terme. Ceci dit, la BCE semble déterminée à traiter le problème des banques « sous perfusion » et pourrait en conséquence an- noncer un retour vers le milieu de l’année à des appels d’offres compétitifs et à montant fixe lors des opérations de refinancement à long terme (LTRO).

Une croissance plus forte à court terme

Les données récentes nous ont amenés à réviser à la hausse nos prévisions de croissance à court terme pour la zone euro : nous attendons une croissance de 0,5% t/t au T1 et de 1,8% en moyenne en 2011 (voir nos prévisions détaillées dans le tableau ci-dessous). À moins que le chiffre décevant du T4 2010 (estimation préliminaire : 0,3% t/t) ne soit revu en hausse, les indicateurs avancés suggèrent que la croissance pourrait être plus forte que prévu au T1 2011, en raison d’effets statistiques ponctuels liés notamment à l’amélioration des conditions météorologiques. De fait, l’indice PMI composite pour la zone euro s’est inscrit à 57,7 en moyenne en janvier-février, ce qui – pris isolément – suggère une croissance de l’ordre de 0,75% t/t.

Selon nos prévisions, les divergences entre pays ont peu de chance de se réduire cette année. L’Allemagne devrait continuer à faire mieux que les autres pays de la zone euro, bien que le rééquilibrage de la croissance vers des ressorts domestiques va finir par se traduire par un certain ralentissement. L’activité devrait connaître une croissance très modeste en Italie, en Espagne et en Irlande, une stabilisation au Portugal et continuer de se contracter en Grèce pour la majeure partie de l’année. Nous donnerons davantage de détails sur notre scénario macro-économique dans notre publication trimestrielle, publiée le mois prochain.

L’inflation restera au dessus de l’objectif plus longtemps que prévu

La principale préoccupation des membres de la BCE depuis la fin de l’année dernière a été la hausse ininterrompue du prix des matières premières et la remontée concomitante des prix à la consommation dans la zone euro. L’inflation a surpris à la hausse au cours des trois derniers mois, atteignant 2,4% a/a en janvier 2011, son niveau le plus élevé en deux ans. La hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation a été de 11% et de 3,2% a/a en décembre, respectivement. Ces deux composantes de l’inflation, qui représentent 17% de l’indice total des prix, expliquent 56% de l’inflation constatée au mois de décembre. La seule source de soulagement dans l’immédiat est sans doute le niveau relativement élevé de la devise, qui aide à compenser l’impact de la hausse du prix des matières premières.

Alors que nous nous attendons à ce que les prix de l’énergie et de l’alimentation continuent de pousser à la hausse l’indice global des prix nous restons confiants dans notre prévision de progression modérée de l’inflation sous-jacente à 1,3% en moyenne en 2011 et à 1,6% en 2012. L’amélioration des conditions économiques dans les principaux pays de la zone euro devrait, dans une certaine mesure, amoindrir la pression baissière sur les prix à la consommation (…)

En accord avec notre nouveau jeu de prévisions macroéconomiques mentionnées plus haut, nous pensons que les nouvelles projections de la BCE refléteront l’ensemble des nouvelles positives publiées récemment, avec notamment une révision en hausse des prévisions de croissance et d’inflation pour 2011. Pour la première fois depuis décembre 2009, date à laquelle le staff de la BCE a publié ses prévisions2011 pour la première fois, l’inflation devrait dépasser l’objectif des 2% de quelques dixièmes pour l’année en cours, elle devrait être proche de notre prévision de 2,3%. Pour 2012, nous pensons que la prévision de croissance de la BCE restera inchangée, à 1,7%, et que la prévision d’inflation augmentera légèrement, de 1,5% à 1,8% – un niveau qui reste inférieur à la cible.

Si l’on en juge par certains commentaires récents de membres de la BCE, le communiqué de mars devrait insister sur les risques inflationnistes à court terme. Yves Mersch a déclaré que la BCE « mettra en garde contre des risques inflationnistes le 3 mars ». Jürgen Stark et d’autres ont répété qu’il était « très important d’éviter les effets de second tour » et que l’inflation « avait de fortes chances de se maintenir au-dessus de 2% en 2011 ».

L’évaluation des risques inflationnistes à moyen terme est toutefois la plus pertinente pour la conduite de la politique monétaire sachant que ce sont ces effets de second tour – des prix à l’importation sur les prix à la consommation – qui importent réellement. En janvier puis en février, le Conseil des gouverneurs a estimé que «les perspectives d’évolution des prix à moyen terme [restaient] globalement équilibrées, mais pourraient évoluer à la hausse ». En mars, la BCE devrait estimer que, dans l’ensemble, les risques de hausse de l’inflation ont augmenté. Le président Trichet pourrait exprimer cet avis lors de la séance des questions-réponses, mais un changement explicite dans le communiqué officiel n’est pas exclu. Par exemple, la mention de pression haussière sur l’inflation « dans les premières étapes de la production», un des rares changements dans le texte du communiqué entre janvier et février, pourrait être modifiée et faire référence de manière plus explicite à la propagation des prix à l’importation sur l’ensemble du processus de production des biens à la consommation.

Ceci dit, nous continuons à penser qu’un durcissement est improbable dans l’immédiat et nous serions très surpris d’entendre M. Trichet employer l’expression convenue de « forte vigilance » qu’il avait utilisée pour annoncer les hausses des taux entre 2005 et 2007. Ceci dit, certains arguments plaident en faveur d’une action préventive, comme l'a suggéré Lorenzo Bini-Smaghi, pour les raisons qui suivent.

Les arguments en faveur de hausses des taux préventives

L’augmentation de nos prévisions de croissance et d’inflation n’est pas l’unique raison pour laquelle nous avons avancé la première hausse des taux de la BCE dans nos prévisions. De fait, nous avons été surpris par la vitesse à laquelle les anticipations d’inflation ont augmenté depuis le début de l’année, et nous pensons que les risques restent haussiers, compte tenu de la forte corrélation historique entre les anticipations d’inflation et l’inflation effectivement constatée.

Les anticipations d’inflation du marché ont progressé très rapidement et le taux de swap inflation forward 5a/5a1 a augmenté de 50 pdb depuis novembre dernier. Les anticipations des consommateurs se sont montrées tout aussi sensibles à la remontée des prix du pétrole et de l’alimentation : les anticipations de prix relevées dans l’enquête de la CE pour le mois de février sont désormais légèrement au dessus de leur moyenne de long terme et semblent susceptibles de continuer à progresser.

D’autres mesures des anticipations d’inflation ont progressé de façon rapide depuis fin 2010, notamment les enquêtes nationales auprès des agents privés ou l’enquête SPF (Survey of Professional Forecasters) que la BCE effectue auprès des économistes.

L’enquête SPF du T1 2011 a fait état d’une forte augmentation des anticipations d’inflation à un ou deux ans, en réponse à la hausse des prix à la consommation. La prévision moyenne d’inflation sur cinq ans, considérée comme un indicateur clé des risques à moyen terme par la BCE, a augmenté de 0,1%, à 2,0%. Bien qu’encore compatible avec la définition de la stabilité des prix de la BCE, les anticipations d’inflation à moyen terme de l’enquête SPF sont actuellement à un des niveaux les plus élevés jamais enregistrés et la distribution de probabilité suggère que les risques demeurent à la hausse, 48% des participants estimant que l’objectif des 2% sera dépassé en 2015 contre seulement 40% il y a trois mois. En conclusion, l’enquête SPF – comme la plupart des autres mesures des anticipations d’inflation – sera particulièrement suivie par la BCE dans un futur proche.

Une des raisons pour lesquelles nous pensons que la BCE continuera à s’inquiéter de possibles effets de second tour sur les salaires et les prix, en dépit du contexte économique toujours fragile, est que la nature de l’inflation importée est inhabituelle. Dans un important discours prononcé le 27 janvier2, Lorenzo Bini-Smaghi a défendu l’idée selon laquelle l’inflation importée ne pouvait pas être ignorée, en raison de changements structurels dans les marchés émergents et de l’appréciation des devises de ces pays, qui pourraient conduire à l’arrêt du processus de désinflation dans les pays développés.

De plus, des premiers signes de contagion sur les prix à la consommation dans la zone euro sont visibles : les prix à l’importation des biens de consommation de base ont progressé à un rythme record en décembre et l’inflation des prix à la production donne des signes de réveil.

La croissance des salaires et des coûts du travail dans la zone euro est plus que modérée à l’heure actuelle. Les salaires n’ont augmenté que de 0,3% t/t et de 1,5% a/a au T3 2010, tandis que la hausse des salaires négociée a atteint un point bas (à 1,4% a/a) et que le coût unitaire du travail (unit labour costs, ULC) continue à baisser (à 0,5% a/a au T3 2010). L’histoire nous dit cependant que la BCE n’attend pas nécessairement de constater de hausse des salaires avant d’augmenter ses taux de manière préventive, comme elle l’a fait en décembre 2005 alors que les salaires progressaient à un rythme de 2% et que la progression du coût unitaire du travail n’était que de 1%. La principale raison pour laquelle elle pourrait se montrer plus prudente cette fois-ci est que le taux de chômage de la zone euro semble devoir rester durablement élevé : nous prévoyons une baisse vers 9% fin 2012, contre 8,4% fin 2005 (un chiffre qui a été révisé à 8,7% depuis, mais qui s’inscrivait alors sur une tendance baissière).

Les arguments en faveur d’un cycle de durcissement très progressif

De nombreuses raisons nous amènent à penser que le processus de durcissement monétaire sera inhabituellement lent au cours des deux prochaines années. Le processus lent et douloureux de consolidation des finances publiques dans tous les pays de la zone euro est l’obstacle le plus significatif à un relèvement important des taux directeurs. Dans le secteur privé, le processus de désendettement sera lui aussi long et pénible. Pour le secteur bancaire, ces facteurs se traduiront probablement par une poursuite des restrictions pesant sur l’offre de crédit, phénomène qui sera probablement aggravé par le durcissement du cadre réglementaire mis en place actuellement, en particulier avec Bâle III. Les caisses d’épargne espagnoles devront par ailleurs se conformer à de nouvelles exigences de fonds propres avant la fin du troisième trimestre.

NOTES

  1. Nous utilisons les swaps sur l’inflation harmonisée hors tabac. Alors que les points morts d’inflation des swaps sont généralement légèrement supérieurs à ceux des obligations, pour des raisons liées à l’offre et à la demande, l’idée générale est qu’une forte augmentation de cette mesure des anticipations d’inflation – pour imparfaite qu’elle soit – ne peut laisser la BCE indifférente.
  2. « Les défis qui attendent la politique monétaire », Lorenzo Bini Smaghi, Bologne, le 27 janvier 2011.

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