par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas
Les marchés étaient impatients de découvrir le nouveau scénario macroéconomique de la Banque centrale européenne qui se réunissait jeudi 3 mars. Pour 2011, la croissance du PIB a été revue à la hausse de 1,4% à 1,7% et de 1,7% à 1,8% pour 2012. En ce qui concerne les prix, l’inflation pour 2011 a été révisée de 1,8% à 2,3% et de 1,5% à 1,7% pour 2012, sans que la récente flambée des prix pétroliers ne soit toutefois intégrée.
Au cours de sa conférence de presse, Jean-Claude Trichet a signalé que les risques pesant sur l’inflation étaient désormais à la hausse, requérant « une forte vigilance », des autorités monétaires. L’utilisation de ce vocable annonce habituellement un resserre- ment monétaire un mois plus tard. Un relèvement du taux Refi de faible ampleur, probablement 25 points de base, pourrait être ainsi décidé dès avril. Le Président Trichet a, toutefois, précisé qu’une telle décision ne préfigurerait pas le premier mouvement d’une longue série. A contrario, les mesures non conventionnelles n’ont pas été modifiées.
Bien que surpris, les marchés ont salué le discours musclé du Président. L’euro est remonté contre dollar, retrouvant ses niveaux de novembre dernier, tandis que le rendement du Bund 10 ans se redressait de 18 points de base. Un peu d’apaisement était nécessaire, alors même que les Présidents du Conseil européen, Herman Von Rompuy, et de la Commission européenne, José Manuel Baroso, travaillent d’arrache pied sur une version allégée de la proposition franco-allemande de « Pacte de compétitivité », en vue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat du 11 mars.
Ce document de quatre pages, visant à renforcer la « coordination économique au sein de la zone euro », n’impose aux réformes souhaitées ni rythme, ni objectif. En revanche, il propose une série d’indicateurs de performance qui seront évalués par la Commission européenne et permettront, après examen des chefs d’Etat et de gouvernement, de juger des progrès réalisés au sein de la zone :
- la compétitivité devra être renforcée, entre autres par le biais d’une réforme de la fiscalité qui pèserait davantage sur la consommation, via les impôts indirects, que sur le travail (la proposition allemande de supprimer l’indexation des salaires sur l’inflation, là où elle existe encore, n’est pas retenue) ;
- l’emploi sera promu en développant la « flexicurité » ;
- la soutenabilité des finances publiques devra être assurée par la mise en œuvre de mécanismes de « frein à la dette » à l’initiative du pays concerné et
- la stabilité financière renforcée.
Un compromis sur ce document est loin d’être acquis d’ici le Conseil européen de fin mars. L’idée d’une assiette commune pour calculer l’impôt sur les sociétés ne remporte pas un franc succès, l’Irlande et la Slovaquie y étant farouchement opposées. Par ailleurs, en Allemagne, les rangs de l’opposition au futur Mécanisme européen de Stabilité (MES) qui viendra prendre le relais fin 2013 du Fonds européen de Stabilité financière, grossissent. Les députés de la coalition au pouvoir poussent la Chancelière à maintenir une ligne dure dans les négociations, l’adoption du Pacte de compétitivité étant, selon eux un prérequis à toute solidarité éventuelle envers les pays les plus faibles de l’Union. En particulier, le Bundestag souhaite que « les programmes de rachat de dette financés ou garantis en commun » soient exclus du MES.
La Bundesbank est arrivée aux mêmes conclusions dans son dernier rapport et 189 économistes allemands ont signé une déclaration commune dénonçant le MES et appelant à la création d’un véritable mécanisme de faillite des pays surendettés.
Parallèlement, la Grèce et l’Irlande reviennent déjà sur les conditions de l’aide européenne qui leur a été accordée fin 2010. La Grèce souhaite un allongement de ses prêts, sans passer par la case restructuration de la dette tandis que le nouveau gouvernement irlandais entend renégocier le taux d’intérêt (environ 6%) du prêt accordé par l’UEM en novembre dernier (EUR 17,7 mds sur un montant total de 85 mds). Enfin, les marchés financiers s’inquiètent de ces atermoiements et font payer au Portugal le prix fort de l’absence de coopération économique et politique. Le rendement sur les obligations d’Etat à 10 ans a dépassé 7,50% cette semaine, un plus haut depuis le lancement de l’euro.
Aux Etats-Unis, le Beige Book de février, publié en préparation de la réunion du Federal Open Market Committee du 15 mars, indique que la reprise se poursuit à un rythme modéré, voire modeste. Les nombreuses données et enquêtes publiées, au cours de la période couverte par l’enquête (du 3 janvier au 18 février), ont montré une amélioration particulièrement nette dans le secteur manufacturier, alors que le marché immobilier demeurait déprimé. La Fed devrait continuer de mettre l’accent sur la persistance d’un output gap important et son effet sur les anticipations d’inflation à moyen terme, en dépit de la hausse actuelle des cours des matières premières, et du pétrole en particulier, pour justifier le statu quo monétaire. Toutefois, devant la Commission bancaire du Sénat, Ben Bernanke s’est dit inquiet de la menace que la flambée actuelle de l’or noir ferait peser sur la croissance et la stabilité des prix si elle venait à se prolonger. En effet, la Banque centrale a récemment calculé qu’une hausse de 10 dollars du baril de pétrole amputait le PIB d’un cinquième de point. Rappelons, à cet égard, que le prix du brut (contrat WTI coté à New York) a déjà progressé de plus de 20 dollars depuis début février, pour s’établir sous 105 début mars. Il pourrait même dépasser les 110 dollars avant la fin de l’année. Pour l’heure, le taux de chômage demeure élevé (à 8,9% en février) limitant les pressions salariales, tandis que l’inflation sous-jacente reste faible (1,0% en janvier dernier) par rapport aux niveaux que le Comité de Politique Monétaire juge cohérent à long terme avec son mandat. Dans ces conditions, la Reserve Fédérale ne devrait pas emboîter le pas de la BCE de si tôt.