BCE : avril 2011, un remake de juillet 2008 ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Si l’on s’attendait à un discours relativement hawkish de la part de Jean-Claude Trichet lors du Comité de Politique Monétaire du 3 mars, le Président de la BCE a réussi à surprendre le marché en annonçant quasiment une hausse de taux pour le mois prochain. En effet, dans la session de questions-réponses, JC Trichet a révélé qu’une hausse de taux était possible en avril mais pas certaine. Par ailleurs, JC Trichet n’a pas énoncé dans son communiqué la fameuse phrase « les taux sont à un niveau approprié ».

Le marché anticipait déjà depuis un certain temps une hausse du taux refi par la BCE au troisième trimestre 2011, la BCE semble penser qu’il faut lutter contre le risque inflationniste plus rapidement. Dans son communiqué, JC Trichet a dévoilé les nouvelles prévisions de croissance (1,7% pour 2011 et 1,8% pour 2012) qui ont été revues à la hausse depuis décembre dernier, soulignant les meilleures perspectives mondiales mais également de demande domestique. Il met également en avant le fait que les risques sur la croissance sont équilibrés.

Si nous identifions de nombreux risques qui pèsent sur la croissance européenne – crise géopolitique, prix des matières premières, notamment du pétrole, consolidation budgétaire, déception sur la croissance américaine, crise des dettes souveraines -, les risques haussiers nous semblent plus limités (croissance mondiale plus forte, …). Concernant l’inflation, les projections ont été significativement révisées à la hausse de 0,5pt pour 2011 (2,3% pour 2011 et 1,7% pour 2012). La BCE utilise pour ses projections d’inflation les prix des matières premières forward (données de marché) et souligne qu’elle a pris les données disponibles mi-février (avant la très forte hausse du prix du pétrole). D’après la BCE, les risques sur l’inflation sont clairement haussiers.

Si la BCE ne s’engage jamais sur les mouvements de politique monétaire (pas de pre-commitment), il nous semblerait étrange qu’elle ne procède pas à une hausse de taux dès le mois prochain. En effet, quel intérêt de créer de la volatilité sur le marché en changeant d’avis le mois prochain ? Seuls des facteurs qui semblent aujourd’hui improbables pourraient faire changer d’avis la BCE : chute du prix du pétrole, gros problèmes sur le système bancaire, dégradation brutale de la conjoncture…Il est donc très probable que le refi soit augmenté de 0,25% début avril le portant à 1,25%. En revanche, JC Trichet a annoncé le maintien des mesures exceptionnelles d’allocation illimitée de la liquidité à taux fixe (MRO), impliquant que la liquidité va rester abondante mais à un coût plus élevé.

La BCE a depuis longtemps communiqué sur sa volonté de sortir de la politique monétaire de taux bas mais elle a été à chaque fois contrainte de ne pas rendre la politique monétaire plus restrictive avec les événements sur les dettes européennes. Avec la remontée des anticipations d’inflation depuis l’été dernier (les points-morts inflations sont à des niveaux très élevés) et avec un taux d’inflation de 2,4% en février, supérieur à son objectif de 2%, la BCE a enfin une fenêtre de tir pour sortir de la politique de taux bas en mettant en avant son souhait d’assoir sa crédibilité anti-inflationniste. Remonter les taux, oui, mais pas entamer le début d’un cycle de resserrement monétaire, telle semble être la volonté de la BCE. Trichet a en effet clairement dit que cette hausse potentielle ne préfigurait pas du début d’un cycle de hausses de taux… La hausse d’avril 2011 sera-t-elle, comme l’a été celle de juillet 2008, un coup d’épée dans l’eau ?

Rappelons toutefois qu’à l’époque, la situation macroéconomique était très différente : haut de cycle de la croissance, taux de chômage à 7,5%, crédit en forte progression,…les risques de second tour étaient autrement plus élevés… Aujourd’hui l’économie de la zone euro est encore faible (avec certes d’importantes différences en fonction des pays), le taux de chômage est très élevé (9,9%) et les risques monétaires (M3/crédit) semblent très faibles.

Augmenter les taux pour contrer un choc exogène ne nous semble guère pertinent dans la mesure où une hausse de taux n’aura que peu d’effet sur le prix des matières premières. En revanche, cela peut avoir un impact sur l’inflation via la croissance mais il semble peu probable que le souhait de la BCE soit de ralentir l’économie… Ainsi, la hausse de taux d’avril pourrait se révéler un acte isolé (voire deux hausses de taux) reflétant le souhait de commencer à normaliser la politique monétaire et d’ancrer les anticipations d’inflation

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