La Chine peut-elle retrouver une croissance à deux chiffres ?

par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM

Comme l’avait laissé entendre le Bureau National de Statistiques à la mi-juin, c’est sans surprise que la croissance du PIB chinois est ressortie au 2T à 7,9% (A). La Chine a sans conteste touché son point bas au 1T avec une croissance de 6,1% (A) avant de repartir. Cette résistance spectaculaire, assise sur des dépenses publiques considérables et la poursuite du processus de rattrapage économique, a aussi fini par relancer le débat sur le découplage et la possibilité, pour la Chine, d’offrir une alternative au consommateur américain défaillant.

Nous passons en revue les moteurs de l’économie chinoise au cours des dix dernières années afin de déterminer si le pays peut retrouver les taux de croissance à deux chiffres observés avant la crise. Nous croyons que la réponse est négative. De plus l’horizon est obscurcit par les limites de la création monétaire.

Une économie fortement dépendante de l’investissement et du commerce extérieur

Jusqu'à la fin des années 90, la Chine semblait suivre une trajectoire de croissance typique des pays en développement, à savoir un décollage avec de hauts niveaux de croissance suivi par un ralentissement progressif. De 1992 à 1994, la croissance en volume a constamment dépassé les 13% puis a ralenti jusqu'à 7,6% en 1999 avant de se stabiliser à 8,3% en 2000 et 2001. A la fin de cette année, la République Populaire a rejoint l’OMC et, de 2002 à 2007, la Chine a connu un regain de croissance culminant à 13% en 2007. 

Les comptes nationaux détaillés illustrent le rôle crucial joué par le commerce extérieur. Dans une optique purement comptable, la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB est passé de 1,6% en moyenne entre 2000 et 2004 a 20% entre 2005 et 2007.

Mais ceci occulte en partie la vraie influence qu’a la demande mondiale sur l’activité. En effet, une proportion croissante de la production manufacturière chinoise est exportée, générant à son tour un plus fort volume d’importations. Dans certaines industries, comme par exemple le textile, l’électronique et les biens d’équipement, la demande étrangère absorbe plus de 30% de la production. 

Les dépenses en capital fixe ont constitué un autre moteur clé au cours de la dernière décennie. Le ratio investissement/PIB se situe à 40% depuis 2004, soit 6 points de pourcentage plus haut qu’en 2000. De nombreux facteurs ont poussé les dépenses en capital comme la reconstruction des grands centres urbains, les importants investissements directs étrangers ou la profonde restructuration des entreprises d’Etat dans la seconde moitié des années 90. Ce dernier point est intéressant car il aide à comprendre pourquoi la Chine a pu surmonter l’éclatement de la bulle technologique en 2001 et 2002 avec un plan de relance relativement modeste. Suite à la restructuration du secteur public (fermeture des entreprises non viables), les surcapacités de production ont été ajustées et la rentabilité des sociétés nettement améliorée. Par conséquent, les politiques contra-cycliques ont gagné en efficacité. Entre 2002 et 2007, l’investissement et le commerce extérieur ont généré entre 50% et 65% de la croissance.

Sur les dix années précédentes, la contribution n’a été que de 40% en moyenne. 

Le gouvernement doit dépenser plus qu’auparavant pour relancer son économie

Le plan de relance chinois (7% du PIB de 2008 par an en 2009 et 2010) a été conçu pour marquer les esprits et, par bien des aspects, il y parvient. Mais la crise actuelle est plus complexe que les précédentes et le gouvernement fait face à plusieurs obstacles qui peuvent limiter l’efficacité de son action. Nous en voyons deux particulièrement importantes.

Premièrement, on peut se demander si les entreprises pourront pleinement répondre aux incitations.

Contrairement à ce qui s’est passé en 2001 et 2002, les bénéfices se sont nettement repliés au cours du 2S08 et au 1T09. Les données disponibles pour l’industrie suggèrent que les profits des sociétés bénéficiaires se sont effondrés de 41%(T) en données cvs avant de rebondir de 36% au 2T, mais restent inférieurs de 26% au pic du 3T08. Les incitations à accroître les capacités de production sont donc faibles. Néanmoins, les commandes du secteur public, notamment pour les secteurs liés aux infrastructures, les progrès dans l’ajustement des coûts et un accès plus facile au crédit ont contribué au rebond du 2T.

Deuxièmement, la demande étrangère manque toujours de dynamisme. Certes, après l’expérience de « mort imminente » du commerce mondial au 4T08 et début 2009, les exportations chinoises ont rebondi en mars.

Mais cela n’a pas duré et, depuis, les exportations stagnent. En données cvs, le niveau de juin est inférieur à celui de mars. Les enquêtes PMI dans le secteur manufacturier concordent avec le scénario d’une reprise tirée par les mesures de relance via la demande interne.

Elles indiquent que les nouvelles commandes ont retrouvé des sommets alors que les nouvelles commandes à l’exportation sont, au mieux, stables.

L’apathie du commerce mondial est le reflet de la faiblesse de la demande finale des économies développées, en réponse notamment à la montée des taux d’épargne. En zone euro, les importations hors UEM sont tombées en avril à leur plus bas niveau depuis mai 2005. Aux Etats-Unis, les importations hors-pétrole ont stagné en mai, toujours au plus bas depuis avril 2004 Ainsi, il est probable que le taux de croissance du commerce mondial va demeurer inférieur à celui d’avant la faillite de Lehman car le contenu en importation d’une croissance tirée par la dépense publique est relativement faible (protectionnisme rampant).

Pékin fait déjà de son mieux pour soutenir son secteur exportateur (baisse des taxes à l’exportation, stabilisation du renminbi face au dollar) mais reste assez impuissant sur ce plan. Pour avoir un réel impact sur son économie, le gouvernement chinois doit compenser le déclin de la demande étrangère ainsi que la baisse des marges des entreprises. A cet égard, le plan de relance de 4 000 milliards de RMB est probablement insuffisant et d’autres fonds ont du être levés. Ceci explique pourquoi l’encours des crédits a bondi si rapidement : le pays a eu besoin (et a toujours besoin) d’injections massives de liquidités. Mais ce genre de politique présente des effets secondaires négatifs de plus en plus préoccupants.

Création monétaire excessive et nouveaux déséquilibres

L’essentiel de la politique contra-cyclique chinoise passe par les prêts bancaires. Les 4 000 milliards de RMB du plan de relance permettent de lancer des projets dont il faut compléter le financement. En début d’année, le Premier ministre Wen Jiabao a exhorté les banques à aller au-delà de la cible annuelle des 5 000 milliards de RMB de nouveaux prêts. Et celles-ci, très majoritairement détenues par l’Etat, sont allées au-delà des espoirs du gouvernement. Sur les six premiers mois de l’année, l’encours des prêts s’est accru de 7 400 milliards de RMB, davantage qu’au cours des deux années précédentes. Même si les banques redeviennent plus prudentes, les banques devraient accorder plus de 10 000 milliards de RMB de crédits cette année, soit près de 30% du PIB.

Cette énorme quantité de monnaie alimente ce qui apparaît de plus en plus comme des bulles, en particulier sur les marchés actions et immobilier (sans parler des matières premières). L’offre de monnaie a de fait brusquement accéléré dans le sillage du relâchement de la politique monétaire au 4T08.

Depuis la fin juin, l’attitude de Pékin évolue progressivement d’une politique ultra-accommodante vers une approche plus prudente qui tient compte des effets négatifs de la création monétaire. Un signal clair de ce changement d’état d’esprit a été la reprise des émissions de titres à 1 an par la banque centrale le 8 juillet, après 8 mois d’interruption. Ces titres sont un outil important de la banque centrale pour gérer le niveau des liquidités sur le marché interbancaire. En outre, mi-juin, l’autorité de tutelle des banques a fait marche arrière au sujet des prêts immobiliers pour les résidences secondaires en réinstaurant le plafond de crédit à 60% de la valeur du bien acquis et en fixant un plancher élevé sur les taux d’intérêt). Nous nous attendons à un certain raidissement de la politique monétaire (même s’il est peu probable que les taux directeurs soient relevés) afin de prévenir de nouveaux déséquilibres.

Conclusions 

Le rebond de la croissance au 2T confirme que l’économie chinoise a touché son point bas en début d’année. La reprise s’explique par des effets de base et le plan de relance. Néanmoins, les perspectives demeurent incertaines et, selon nous, le PIB ne devrait pas retrouver une croissance à deux chiffres au cours des deux prochaines années. Les dirigeants ont conscience que leur politique contra-cyclique, bien que nécessaire, a des limites évidentes et la Chine pourrait bientôt les voir, surtout au niveau de la création monétaire et du risque inflationniste. Il est presque certain que la politique monétaire sera resserrée au second semestre, probablement via de plus fortes émissions de titres de la banque centrale (réduire la liquidité interbancaire) et des conditions de crédit plus strictes. Une hausse des taux directeurs est peu probable.

Nous prévoyons une convergence progressive de la croissance vers 8,5%-9% d’ici la mi-2010, sur la base d’une demande interne solide. Mais en l’absence d’une forte reprise du commerce mondial, on peut douter de la capacité de la Chine de croître de plus de 10% par an.