par Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques, et Susumu Kato, économiste au Crédit Agricole
Le choc que connaît actuellement le Japon est à la fois violent, complexe et sans comparaison historique :
- il combine un tremblement de terre grave, un tsunami important, une alerte nucléaire sévère, ce qui le rend sans comparaison historique valide avec d’autres chocs,
- dans un pays qui peine à sortir de la déflation depuis des années et qui a un niveau d’endettement très élevé.
On comprend les risques d’instabilité qui résultent d’une telle accumulation de catastrophes, en l’absence d’une évaluation que ne peut être immédiate. Le pays en est profondément affecté, avec une perte humaine très élevée. Il reste en large part paralysé dans ses moyens d’échange et de communication. L’effet direct en termes de croissance est négatif, de l’ordre de 2 à 2,5% de PIB en rythme annuel pour les deux premiers trimestres de 2011, avant que les programmes de reconstruction ne viennent compenser cette baisse.
Pour éviter des tensions monétaires, la Banque centrale a fait des injections très importantes de liquidités (15 milliards de yens) et le budget sera sollicité. A court terme, les très importants avoirs extérieurs du Japon vont également conduire à des rapatriements, comme à la suite du séisme de Kobé. Mais la comparaison, là encore, s’arrête là : le risque (paradoxal) d’une appréciation du yen suite à ces cessions d’actifs sera en effet limité, limité par les autorités, limité par l’importance même du choc. Enfin, il est probable que les taux longs vont monter. Certes, les japonais épargnent et peuvent se montrer plus inquiets encore dans la situation actuelle, épargnant davantage, certes les assureurs achètent des bons du Trésor, mais ces mêmes assureurs vont surtout faire face à des charges très importantes liées au coût des sinistres, faisant in fine monter les rendements.
Au total, des questions demeurent encore sur l’attitude des agences de rating et des effets sur les marchés de taux du coût global de ce choc, sur la réappréciation du risque nucléaire et sur les effets des cessions de bons du trésor américain sur un marché où les rendements s’inscrivent déjà en hausse.
Bilan du tremblement de terre et du tsunami
Nous ne connaissons pas encore le bilan définitif mais le nombre de victimes (morts et disparus) pourrait être supérieur à 10 000. Les dégâts les plus importants ont été enregistrés dans les préfectures de Yamagata, Miyagi et Fukushima, qui représentent 4% du PIB du pays. Si l’on se retient l’hypothèse d’un quart seulement du nombre prévu de victimes, 1% du PIB serait perdu.
Le nord du Japon est une région qui compte de nombreuses PME et des pôles de haute technologie. Le tremblement de terre, à proprement parler, a fait beaucoup moins de victimes que le tsunami, qui a emporté de très nombreuses habitations, ainsi que des infrastructures.
S’y ajoutent les dommages extrêmement graves causés à la centrale nucléaire de Fukushima, située à 200km de Tokyo, qui ont amené les compagnies d’électricité à demander à la population de baisser sa consommation. La pénurie d’électricité va entraîner une baisse de la production dans les prochains mois et pourrait avoir des conséquences importantes sur l’activité des entreprises et des ménages, avec à la clé une baisse du PIB. A la date du 14 mars, environ 30% de la baisse de la production d’électricité concernent la région de Kanto, dont fait partie Tokyo. Selon les chiffres de TEPCO (Tokyo Electric Power Company), la demande totale d’électricité s’élève à 41 millions de KW par jour mais la production va être limitée à 31 millions de KW par jour.
Les entreprises du secteur manufacturier situées dans le nord du pays sont également touchées. Sont notamment concernés les secteurs du raffinage, du papier, de la chimie, de l’automobile et de l’électronique.
Nombre de ces entreprises ont été contraintes de suspendre leur production au lendemain du séisme et devront attendre que la sécurité de leurs installations et des voies de transport soit confirmée pour la rétablir. La prévision initiale d’une croissance de la production industrielle de 1,9% en mars (en glissement mensuel) risque d’être difficile à atteindre.
Nous tablons plutôt désormais sur une baisse de la production de l’ordre de 2% en mars en glissement mensuel. Ce qui entraînerait une baisse de la production de 4% par rapport au niveau d’avant le tremblement de terre, soit une baisse plus forte qu’en 1995, où la production avait reculé de 2,6% en glissement mensuel. La baisse de la production sera de la même ampleur en avril.
Mesures budgétaires
– Mesures d’aide immédiates
Le gouvernement va pouvoir puiser 200milliardsJPY dans les réserves du budget 2010, puis 350 milliards supplémentaires au titre du budget 2011, lorsque celui-ci aura été adopté (d’ici la fin mars). Un montant total de 550 milliards JPY pourra ainsi être affecté aux dépenses liées au séisme, sans budget supplémentaire.
– Budget supplémentaire
Calendrier : le budget supplémentaire sera établi dès que le budget 2011 aura été adopté, à savoir début avril. Il sera adopté très rapidement, afin de permettre sa mise en œuvre dans les meilleurs délais.
Taille du budget : A la suite du tremblement de terre de Kobé, le gouvernement avait établi un budget supplémentaire d’un montant total de 3 000 milliards JPY pour réparer les dégâts et aider les sans-abri. Cette fois, les dépenses seront plus élevées qu’en 1995, la fourchette étant comprise entre 5 000 milliards JPY, soit environ 1% du PIB nominal, et 10 000 milliards, soit 2% du PIB.
Le yen répétera-t-il son appréciation de Kobé ?
Les comparaisons avec l’impact du tremblement de terre de Kobé (et du tsunami qui l’avait suivi) sur le marché sont exagérées, mais mettent en lumière l’important risque de hausse du JPY et le risque de baisse des actions japonaises. La pression haussière sur le JPY est probablement due au rapatriement de capitaux, mais les autorités défendront le seuil de 80. Tout rapatriement de capitaux devrait être compensé par la vente d’actifs japonais (d’actions notamment) par les investisseurs étrangers.
Le positionnement du marché témoigne du risque d’appréciation du JPY, les positions spéculatives sur la devise japonaise ayant reculé ces dernières semaines et les opérateurs pratiquant le trading sur marge étant susceptibles de couvrir leurs posi- tions courtes sur le JPY. Nos prévisions baissières à moyen terme sur le JPY restent d’actualité, et il est toujours probable que la parité USD/JPY terminera l’année en hausse autour de 94,00 sous l’effet de l’accroissement des différentiels de taux. De nombreux observateurs font déjà des comparaisons avec le tremblement de terre de Kobé de 1995 et soulignent le risque d’importantes fluctuations du JPY dans les mois à venir. L’USD/JPY a reculé de plus de 18% dans les trois mois qui ont suivi le tremblement de terre de Kobé, mais rien ne permet d’affirmer que nous assisterons au même scénario, dans la mesure notamment où l’USD était à l’époque déjà orienté à la baisse et où le rapatriement de capitaux était dû en partie à la liquidation de la banque Barings.
Cela étant, si le JPY s’apprécie rapidement et menace de tomber nettement sous le seuil psy- chologique de 80, la probabilité d’une intervention de la Banque du Japon sur le marché des changes sera très forte. J’ai, en effet, eu l’occasion de constater lors de mon voyage au Japon que de nombreuses entreprises japonaises étaient de plus en plus habituées à un yen fort, ce qui les amène à ajuster leurs ratios de couverture en conséquence ou à externaliser leurs installations de production à l’étranger. On peut toutefois douter de la capacité de ces entreprises et des institutions du pays à résister à une baisse de la parité au-dessous de 80, nombre d’entre elles continuant d’affirmer que ce scénario est inenvisageable.
A moyen terme, nous continuer de tabler sur un recul du JPY sous l’effet de l’accroissement des différentiels de taux avec l’USD, notre prévision pour la fin de l’année s’établissant à 94. Le différentiel entre les rendements des obligations américaines et japonaises à deux ans devrait se creuser d’environ 148 pdb en faveur de l’USD. Parmi les autres risques baissiers qui pèsent sur le JPY figurent les inquiétudes croissantes sur le front budgétaire, même s’il faut rappeler que les étrangers ne détiennent qu’environ 5% de la dette japonaise. Cela étant, force est de reconnaître que dans les semaines à venir, de nombreux risques haussiers pèseront sur le JPY, compte tenu du possible rapatriement de capitaux.