La Grèce, et maintenant ?

par Xavier Lépine, Président du Directoire de UFG-LFP

Les décisions prises par l’Europe sont sans ambiguïté : l’euro n’est plus seulement une unité de compte, c’est désormais une solidarité entre les Etats membres. Le "plan de sauvegarde" de 750 milliards d’euros, l’intervention de la BCE sur le marché secondaire de la dette grecque, les déclarations politiques sur le paiement par un Etat membre de l’Union européenne, etc. : l’Europe sort unifiée et les erreurs grecques sont finalement constructives, comme l’est l’acharnement des marchés à obliger les Etats à définir leur cohésion.Si les taux d’intérêt des dettes souveraines émises en monnaie locale ne reflètent plus que l’inflation anticipée à long terme et non plus le risque de défaut de paiement du débiteur, la question centrale sur l’existence d’un actif sans risque reste cependant ouverte.

En premier lieu, les agences de notation peuvent-elles continuer à noter la Grèce en catégorie "spéculative" ? La question est d’importance car il est quasi-certain que la Grèce ne pourra rembourser ses échéances contractuelles. Par ailleurs, il est désormais affirmé qu’elle ne fera pas défaut. Maintenues dans la catégorie "spéculative", les obligations grecques continueront d’être vendues par les porteurs, ne serait-ce que pour des raisons réglementaires, sans compter l’acceptation ou non de la signature grecque par les porteurs de fonds obligataires souverains qui recherchent avant tout la sécurité. Rehausser la note alors que l’on sait que, seule, la Grèce ne peut honorer ses engagements, pose également le problème de la pérennité de cet engagement, mais surtout l’issue pour les investisseurs actuels puisque l’on sait que des modalités concrètes de soutien dépendra, in fine, le recouvrement des créances existantes. On sait également que le cas grec servira de référence au traitement des difficultés présentes ou à venir des autres pays de l’euro.

Ne nous trompons pas, si cette situation est nouvelle pour un groupe de pays ayant choisi une monnaie commune, elle est loin de l’être si l’on regarde les difficultés conjoncturelles ou structurelles de paiement des Etats.

De nombreux pays, et non des moindres, ont restructuré, sur les 30 dernières années, leur dette libellée en devises étrangères : Argentine, Brésil, Mexique, Pologne, Russie, Philippines, Nigeria pour ne citer que les plus importants, dont au moins deux sont aujourd’hui moteurs de la croissance mondiale.

D’autres, plus rares, ont restructuré non seulement leur dette externe libellée en devises fortes mais leur dette interne émise en monnaie domestique : Argentine, Russie (en 1998).

D’autres encore n’ont jamais officiellement restructuré leur dette. Créanciers et débiteurs se sont alors entendus sur des modalités évitant la constatation d’un défaut de paiement : Algérie, Maroc, ex-Yougoslavie, Afrique du Sud.

Certains pays ne payent plus depuis des décennies et n’ont pas l’air de vouloir changer de comportement faute de volonté politique ou tout simplement de possibilité financière : Cuba, Corée du Nord…

Enfin, pour les pays les plus pauvres de la planète, le processus a tout simplement été l’abandon de créances.

En tout état de cause, le point commun à tous ces comportements est identique : l’adoption d’un mode de restructuration le plus efficace pour les créanciers et les débiteurs, i.e. quand un pays est dans l’impossibilité de payer l’intégralité de sa dette, il trouve un équilibre entre la réduction de dette qu’il demande et le prix qu’il aura à payer dans le temps s’il ne peut accéder de nouveau aux marchés.

En l’espèce, nous sommes en présence de trois partenaires : la Grèce, les créanciers principalement obligataires et les Etats de l’UE (ainsi que le FMI). Les prêteurs s’interrogent donc sur le traitement qui leur sera infligé non pas tant par le débiteur que par ses "sauveurs". Concrètement, va-t-on demander aux créanciers actuels de participer au sauvetage de la Grèce et comment ? Il n’est pas besoin d’être un grand politique pour comprendre que les enjeux sont multiples et lourds de conséquences :

* si l’on demande trop aux créanciers, ce sont, au final, les Etats de l’UE qui vont en pâtir (les banques européennes étant de nouveaux fragilisées, elles se protègeront en vendant immédiatement les autres dettes périphériques et provoqueront de fait de nouvelles crises ; les grands vainqueurs seront les spéculateurs porteurs de CDS) ;

* à l’inverse, si les créanciers ne consentaient aucun effort, cela enverrait un signal de laissez-faire inacceptable à moyen terme. Dans ce contexte, l’attitude la plus logique des parties serait d’offrir aux porteurs actuels le choix entre 3 possibilités, sur le modèle d’un Plan Brady (Mexique en 1989 puis de nombreux pays) à l’Européenne :

  • Conserver leurs dettes dans leurs échéanciers actuels,
  • Echanger leurs dettes contre des dettes de maturité plus longue et une rémunération supérieure à celle des émissions d’origine,
  • Echanger leurs dettes contre des dettes de maturité plus longue avec un taux d’intérêt plus faible que l’émission d’origine et une garantie externe sur le capital (BCE).

Par rapport au Plan Brady, plusieurs novations essentielles :

  • traitement définitif du problème (alors que le Plan Brady n’avait pu se mettre en place que 8 ans après le défaut de paiement effectif du Mexique en 82, entraînant une "décennie perdue" pour l’Amérique latine et l’exemple de l’Argentine a malheureusement démontré qu’un plan financier n’est pas suffisant en lui seul), 
  • possibilité offerte de conserver la dette contractuelle actuelle (puisque la BCE et le FMI peuvent intervenir au fur et à mesure des tombées) et donc aucune nécessité de “décoter” la Grèce,
  • affirmation forte d’un espace monétaire et financier européen sécurisé. L’effort des créanciers serait en même temps bien réel – ils acceptent d’être remboursés plus tard – mais quasi-indolore financièrement (pas de réduction de dette),
  • ceux qui auront spéculé sur le défaut de paiement des Etats européens (via les CDS) auront perdu leur pari.

Si l’on admet ce raisonnement, il est urgent que les agences de notation sortent la Grèce de la catégorie spéculative et reconnaissent la volonté politique des Etats Européens et du FMI. En tout état de cause, il est probable que la dette grecque soit désormais très sous-évaluée.

Les spreads des autres Etats faibles de l’euro doivent à mon sens être analysés dans la même logique : l’Espagne, l’Irlande, le Portugal pourront-ils continuer de s’endetter pour honorer leur dette actuelle pendant qu’ils mettront en place les plans d’austérité nécessaires ? Telle est la question centrale qui est aujourd’hui synthétisée par les spreads.

A l’autre question essentielle de l’existence d’un taux sans risque, il est à craindre que la réponse soit négative sur les 10 prochaines années, chacun ayant bien conscience qu’en cas d’échec (voir à cause) des solutions actuelles, ce sont toutes les signatures des Etats européens qui seront en risque.