La nécessité de redresser la compétitivité

par Philippe d’Arvisenet, Chef économiste de BNP Paribas

L’actualité économique a été marquée par un regain de tensions sur certaines dettes souveraines, notamment celle de l’Espagne et, dans une moindre mesure, celle de l’Italie. En dépit de l’accord passé avec la Grèce, des avancées institutionnelles en particulier l’accord sur le « fiscal compact » et de l’action menée par la BCE, la morosité des marchés n’a pas disparu. Les craintes quant à la possibilité de voir les gouvernements relâcher leurs efforts sont toujours bien présentes dans un contexte marqué par la récession. La perspective des élections en Grèce, qui devraient déboucher sur un gouvernement de coalition, celle du référendum en Irlande et l’éclatement du gouvernement aux Pays-Bas sont aussi autant de sources d’interrogations.

Au-delà de l’impératif de consolidation des finances publiques, nombre de pays de la zone euro se trouvent confrontés à la nécessité de redresser leur compétitivité, l’une des clés d’un retour durable à la croissance. Cela passe par des réformes destinées, notamment, à renforcer l’offre. Ces réformes, dont les avantages ne se manifestent qu’à moyen terme, sont difficiles à mettre en œuvre, d’où l’idée de renforcer l’action de la Banque européenne d’Investissement (BEI) et d’améliorer l’utilisation des fonds communautaires.

La conjoncture en bref

En avril, le FMI a revu ses anticipations pour la croissance mondiale tant pour 2012 (3,5% contre 3,3% prévus en janvier) que pour 2013 (4,1% contre 3,9%), témoignant malgré tout du caractère modéré de la reprise. La croissance des pays avancés est attendue à 1,4% en 2012 et 2% en 2013, pas de quoi réduire significativement le chômage. Selon le FMI, la croissance américaine serait de 2,1% cette année puis 2,4% l’an prochain, de 2% et 1,7% au Japon, de 0,8% et 2% au Royaume Uni. La contraction envisagée en 2012 dans la zone euro est de 0,3% (-0,5% dans les prévisions de janvier), elle ferait place à une progression modeste de l’activité, de 0,9%, en 2013. Les économies émergentes font, sans surprise, preuve d’un dynamisme bien plus fort, avec une croissance de 5,7% en 2012 et 6% l’an prochain (contre 5,4% et 5,9% dans les prévisions de janvier). En Chine, la hausse du PIB s’élèverait à 8,2% puis à 8,8%, en Inde 6,9% puis 7,3%, et au Brésil 3% puis 4,1%.

Plusieurs facteurs président à cette révision, les effets des chocs qui ont touché le Japon et la Thaïlande se dissipent, et les programmes de reconstruction soutiennent l’activité. Les politiques monétaires restent extrêmement accommodantes dans les pays avancés et se détendent dans les économies émergentes. Tous ces éléments se conjuguent pour contrebalancer les conséquences des vents contraires liés aux politiques de consolidation budgétaire et au « deleveraging » qui touche à la fois les banques, en partie sous l’effet des nouvelles réglementations, et les agents privés, notamment les ménages. Dans certains pays, ces derniers sont amenés à réduire un endettement excessif, tandis que le niveau du chômage, le manque de confiance et la perspective de prélèvements obligatoires fiscaux accrus les encouragent à épargner.

– Les Etats-Unis

Au premier trimestre, la croissance a, comme prévu, été moins soutenue qu’à la fin de l’an dernier. Sa décélération n’a rien de dramatique (2,2% en rythme annualisé après 3% et 1,8% les trimestres précédents), avec un rythme de croissance qui reste en ligne avec la tendance modérée observée depuis le début de la reprise. La demande finale a progressé de 1,6% (après 1,1% le trimestre précédent) sous l’effet d’une accélération de la consommation (2,9% après 2,1%). L’embellie était attendue avec la bonne tenue des ventes au détail durant les trois premiers mois de l’année (8% en rythme annualisé).

L’investissement résidentiel a fortement augmenté pour le deuxième trimestre consécutif (19% après 11,7%), à partir, il est vrai, de niveaux très déprimés. Deux éléments ont pesé négativement : un recul des dépenses publiques en biens et services (-3% après -4,1%), en grande partie lie à la contraction des dépenses en matière de défense (-8,1% après -12,1%), et une baisse de l’investissement des entreprises (-2,1%), la première depuis fin 2009. La progression de l’investissement en équipements et logiciels a connu un freinage brutal (1,7% après 7,5% et 16,2%), tandis que les dépenses dans le bâtiment non résidentiel chutaient de 12%. Cette évolution est en partie attribuable à l’arrivée à terme de mesures fiscales destinées à stimuler l’investissement mais aussi à un comportement attentiste lié aux perspectives de croissance modérée dans un contexte où le degré d’utilisation des capacités de production reste d’environ trois points inférieur à sa moyenne de long terme. Le commerce extérieur a été neutre pour la croissance, la contribution des stocks de 1,8 point au dernier trimestre 2011 s’est limitée à 0,6 point.

Les livraisons de biens d’équipement (hors avions et matériel militaire) se sont légèrement redressées (2,6% en mars après 1,4% et -2,8%), les nouvelles commandes, en revanche, sont restées très hésitantes (-0,8% en mars après 2,8% et -3,4%). En rythme annualisé sur trois mois, elles affichent un recul de 6%.

La confiance des ménages, mesurée par l’indice du Conference Board, s’est de nouveau tassée en avril (69,2 après 69,5 et 71,6), les jugements sur la situation actuelle se sont légèrement améliorés (51,4 après 49,9 et 46,4) en raison d’une meilleure perception des conditions du marché du travail. En revanche, l’indice des anticipations a poursuivi une contraction déjà présente le mois précédent (81,1 après 82,5 et 88,4) : le niveau élevé du prix des carburants, les incertitudes fiscales ne sont pas neutres.

Contrastant avec ces évolutions hésitantes, l’indice ISM a nettement rebondi en avril à 54,8 (après 53,4), au plus haut depuis juin 2011. L’amélioration touche aussi bien la production que les nouvelles commandes ou encore l’emploi.

Les ventes de maisons neuves ont un comportement très erratique (-7,1 en mars après 7,3% en février), leur progression a connu un net tassement dans les derniers mois : 45% en rythme annualisé au dernier trimestre 2011, 16% le trimestre dernier. Un élément positif pour le secteur : les stocks ont atteint un niveau historiquement bas (144000 contre plus de 550000 au moment de l’éclatement de la crise et 350 000 avant le gonflement de la bulle). Les ventes dans l’ancien ont connu, en mars, un deuxième mois consécutif de baisse (-2,6%), progressant néanmoins de 5,2% en un an. Les stocks de 2,4 millions (à comparer à un pic de 4 millions au moment du déclenchement de la crise) ont retrouvé un niveau qui n’avait plus été constaté depuis 2005. La baisse de 5,8% des mises en chantier enregistrée en mars ne marque en rien un retournement : non seulement leur hausse trimestrielle en rythme annualisé atteint 11%, mais, en outre, les demandes de permis de construire ont crû de 4,5% en un mois et de 33% en rythme annualisé au premier trimestre. Enfin, la tendance à la baisse des prix donne quelques signes de modération. Ainsi, l’indice S&P- Case-Shiller pour les vingt premières agglomérations a- t-il légèrement augmenté en février (0,2% m/m), son repli est revenu, de -8% en données annualisées pour la période de trois mois s’achevant en novembre, à -1,7% pour les trois mois suivants.

En mai, le rapport emploi a de nouveau déçu avec 115 000 créations de postes après 154 000 le mois précédent, mais 252 000 en moyenne de décembre à février. Le taux de chômage est revenu à 8,1% (8,2% en mars, 9% en avril 2012), en partie du fait d’un nouveau recul du taux d’activité (63,6% contre 63,8% en mars et 64,2% un an plus tôt). Les horaires hebdomadaires de travail sont restés stables à 34,5 heures. La hausse des salaires en glissement annuel est ressortie à 1,8%. Compte tenu du rythme d’inflation, leur pouvoir d’achat diminue. Pour autant, les conditions du marché du travail n’en connaissent pas moins une amélioration modeste. L’examen des motifs du chômage montre que la part des licenciements et fins de contrats est passée de 60,1% en avril 2011 à 54,7% en mars 2012 et 54,5% en avril. La part des retours sur le marché, de 24,3% en avril 2011, a atteint 26,5% en mars dernier et 26,6% en avril, la part du chômage de longue durée (plus de 27 semaines) demeure historiquement très élevée mais recule peu à peu (41,3% en avril 2012 contre 42,5% en mars et 46,1% un an plus tôt), il est vrai que cette évolution peut être pour partie liée au recul du taux d’activité.

L’inflation s’est quelque peu modérée, à 2,7% en mars après 2,9% le mois précédent. La hausse de l’indice a été de 0,3% sur le mois et sa composante énergie a crû de 0,9% m/m après 3,2% en février. La progression des salaires horaires reste très modérée, à 1,8% en glissement annuel contre 2% en février et en mars. Les anticipations mesurées à partir de l’enquête de l’Université du Michigan demeurent très bien ancrées : elles sont stabilisées à horizon de cinq ans (2,9%) et les anticipations à un an, très influencées par les cours du pétrole, sont revenues de 3,9% à 3,2%. Compte tenu du caractère modéré de la reprise et d’un chômage qui reste élevé, la politique monétaire restera accommodante. Si B. Bernanke a refroidi les anticipations du lancement d’une nouvelle vague de «quantitative easing», la perspective reste ouverte (prolongation de l’opération Twist ou achat de titres adossés à des prêts hypothécaires propres à peser sur les taux, favoriser la prise de risque et donc les marchés actions et déprécier le dollar), tout dépendra de l’évolution de la conjoncture. Une grosse interrogation demeure du côté de la politique budgétaire fédérale, les coupes dans les dépenses programmées et l’arrivée à terme des dispositifs d’allègements mis en place, tant par l’administration précédente que par l’administration Obama, si elles n’étaient pas au moins partiellement remises en cause, conduiraient mécaniquement à une amputation du soutien des finances publiques de quelque 3,5 point de PIB l’an prochain.

– La zone euro

Avec les replis d’activité enregistrés au premier trimestre, le nombre de pays entrant en récession technique (deux trimestres consécutifs de contraction du PIB) s’accroît, un phénomène qui touche évidemment la zone euro mais aussi le Royaume-Uni. Les indicateurs conjoncturels rendus publics fin avril ne sont guère encourageants pour le deuxième trimestre, l’indice de confiance de la Commission européenne (92,8 après 94,4) comme le PMI composite (47,4 après 49,1) se sont repliés.

Les enquêtes de conjoncture nationales confirment ce diagnostic : en France, l’indice composite INSEE pour l’industrie manufacturière est passé de 98 à 95; le solde des réponses sur les perspectives personnelles de production est revenu de +8% à -4% ; l’indice de confiance des affaires en Italie (ISAE) est tombé de 91,1 à 89,5; le solde des réponses de l’enquête mensuelle de la Banque nationale de Belgique a chuté à -10,7 après -9,6 et -7,7. Seule exception à ce tableau, l’indice IFO qui progresse très légèrement (109,9 après 109,8 et 109,7) mais qui contraste avec le PMI manufacturier allemand (50,2 en février mais 46,3 en avril). Sans surprise, la confiance des ménages demeure très déprimée dans la zone euro (-19,9 contre une moyenne historique de -12,8 pour l’enquête mensuelle de la Commission européenne) tout comme les intentions de procéder à des achats importants (-24,2 contre -17,8 en moyenne historique).

La dernière enquête de la BCE auprès des banques (bank lending survey), conduite au tournant de mars et avril, fait état d’une amélioration du côté de l’offre. Cela tient pour une part à la détente des conditions de financement liées au lancement des opérations à long terme de la BCE. En revanche, la demande apparaît en net repli. Pour les sociétés, la proportion d’éta- blissements faisant état d’un resserrement des conditions est tombée de 35% en janvier à 9% trois mois plus tard, un niveau assez proche de celui observé il y a un an, avant que ne s’amorce la montée des tensions financières du deuxième semestre. La proportion nette des établissements indiquant une augmentation de la demande chute de -5% à -30%, ce qui n’est pas très éloigné des -43% observés début 2009 en pleine récession. Les anticipations sur la demande future, en revanche, se redressent de -21% à +7%. Les messages véhiculés par les résultats concernant les ménages ne sont guère différents. La proportion relative au resserrement des conditions de crédit se réduit de 29% à 17% pour les prêts hypothécaires et de 13% à 5% pour le crédit à la consommation, mais là aussi la demande s’affaiblit (-43% après -27% pour les prêts hypothécaires, -63% début 2009). 

L’inflation s’est légèrement modérée, stabilisée à 2,7% pendant quatre mois, elle est revenue à 2,6% en avril. La BCE anticipe le maintien du taux d’inflation au- dessus de la cible de 2% jusqu’à la fin de l’année. Il faudra attendre 2013 pour qu’elle revienne à l’objectif. Les risques d’effets de second tour (augmentation des salaires en réponse à celle des prix) sont très limités pour ne pas dire inexistants. La conjoncture affaiblit le « pricing power » des entreprises, le niveau élevé du taux de chômage qui devrait passer de 10,6% en début d’année à près de 11,5% au quatrième trimestre pèse sur la formation des salaires.

Les deux opérations de refinancement à long terme lancées par la BCE ont évité un « credit crunch ». Elles ont donné du temps aux gouvernements pour mettre en place les politiques de consolidation budgétaire et de réformes structurelles, elles ne peuvent s’y substituer.

Dans les dernières semaines, les tensions financières se sont accentuées. En Espagne, le rendement des obligations à 10 ans a rebondi à des niveaux qui n’avaient plus été enregistrés depuis novembre dernier, touchant les 6% le 10 avril, après une hausse de 96 points de base en un mois, il oscille depuis autour de ce niveau (5,73% le 4 mai). Il faut y voir l’effet de doutes quant à la capacité du gouver- nement à respecter son objectif de réduction du déficit de 8,5% du PIB à 5,3%, avec une contraction de l’activité économique qui devrait être sensiblement plus marquée que celle officiellement attendue (-1,7%). Par ailleurs, une proportion importante des efforts de consolidation doit venir des régions autonomes qui avaient été à l’origine de la plus grande part du dépassement de l’objectif l’an dernier. Les interrogations se sont trouvées exacerbées suite à la victoire de l’opposition aux élections qui se sont tenues en Andalousie et à sa demande de relâchement des efforts de consolidation qui lui incombent. Pour respecter l’objectif de déficit de 5,3% du PIB pour l’ensemble des administrations, le déficit moyen des régions doit être ramené à 1,5 point de PIB. Or sur dix-sept régions, cinq ont un déficit proche de 2% et cinq autres un déficit de plus de 4%.

Les taux italiens se sont également tendus pour atteindre 5,6% le 10 avril, en hausse de 78 points de base en un mois, en partie sous l’effet de la crainte d’un recul du gouvernement sur le plan de la réforme du marché du travail. Le 4 mai, le rendement à 10 ans s’affichait à 5,43%. Ces tensions sont difficilement compréhensibles sur la base des fondamentaux et de l’engagement du gouvernement, tant sur le plan de la consolidation des finances publiques que dans le domaine des réformes visant au redressement de la compétitivité. Le contexte est certes clairement différent de celui de l’an dernier, avec les opérations de refinancement à long terme de la BCE, la possibilité pour le FESF d’acheter de la dette sur le marché secondaire et d’accorder des prêts aux gouvernements en vue de recapitaliser les banques, le «fiscal compact » avec l’objectif d’adoption de règles d’or pour les finances publiques… Les marchés restent, néanmoins, très vigilants et l’aversion au risque très marquée.

Si les tensions devaient s’accentuer, mais seulement dans ce cas, la BCE pourrait réanimer son programme d’achat de titres de dettes souveraines sur le marché secondaire (SMP) mis en sommeil depuis trois mois.

Le comité des gouverneurs de la BCE a maintenu le taux refi inchangé à 1% en mai. La politique monétaire est toujours définie comme accommodante et la liquidité comme abondante. De nouvelles mesures exceptionnelles ne sont pas, pour l’heure, à l’ordre du jour. Il est trop tôt, selon la BCE, pour affirmer que les effets des LTRO sont en train de s’estomper.

Alors que tout porte à anticiper une contraction de l’activité au deuxième trimestre, M.Draghi, tout en abandonnant sa référence à la présence de risques haussiers pour l’inflation, a souligné l’importance des incertitudes (« highly prevailing uncertainties »), sans toutefois estimer cela comme suffisant pour modifier le scénario central de l’institution. La Banque centrale considère que la résolution de la crise est du ressort des gouvernements appelés à poursuivre leurs efforts de consolidation budgétaire et à mettre en œuvre les réformes structurelles propres à renforcer la compétitivité. C’est à ces réformes qu’il est fait référence dans l’idée d’un « growth compact » lancée par M. Draghi. La BCE n’envisage pas pour l’instant de réactiver son programme d’achat de titres souverains sur le marché secondaire, avec la crainte de voir les Etats relâcher leurs efforts. Le maintien de signaux négatifs pour l’activité pourrait, cependant, plaider en faveur d’une baisse du taux phare de la BCE (ce que suggère le FMI), d’autant qu’un affaiblissement de l’euro sur le marché des changes serait de nature à compenser, en partie, l’incidence des politiques d’assainissement des comptes publics sur la croissance.

– Le Brésil

La production industrielle a augmenté de 1,3% en février après une contraction de 1,5% en janvier. Son glissement annuel ressort à -3,9% contre -1,3% fin 2011. L’inflation s’est modérée, revenant en deux mois de 6,2% à 5,2%. Même si elle dépasse encore la cible de la banque centrale (4,5%) et même si le taux de chômage est tombé à un point bas de 5,5% se conjuguant au relèvement du salaire minimum pour déboucher sur une hausse des salaires de 10,5% en glissement annuel, la politique monétaire continue à s’assouplir. Le taux phare de la banque centrale a été abaissé de 75 pb le 7 mars et de nouveau de 75 pb le 18 avril (habituellement, les mouvements étaient limités à 50 pb), le portant à 9%. La banque a indiqué que son taux était appelé à ne dépasser que légèrement ses points bas historiques (8,7% en juillet 2009). Compte tenu des perspectives de croissance modeste (2,6% contre 2,7% l’an dernier et 7,6% en 2010), le gouvernement a pris des mesures de soutien (allègements fiscaux des contributions sociales, allègements du coût du crédit, dépenses d’infra- structures, soutien au secteur exposé…) représentant 1,5 point de PIB. Cela remet en cause l’objectif de maintenir le surplus primaire en ligne avec celui de 3% du PIB. Compte tenu de ce double assouplissement monétaire et budgétaire, la croissance est appelée à s’accélérer dans les prochains trimestres : elle devrait dépasser les 4,5% l’an prochain.

– La Chine

L’activité économique s’est modérée, la croissance est passée à 8,1% au premier trimestre après 8,9% et 9,1% les trimestres précédents. Après une inflexion notable au cours des deux premiers mois de l’année, la production industrielle s’est redressée en mars: en baisse de 1% en janvier, elle a augmenté de 3% en février et de 0,9% en mars, son glissement annuel ressort à 11,9% (à remarquer cependant que les chiffres subissent des distorsions dues au Nouvel An chinois). De même, les ventes au détail, qui avaient chuté en début d’année, ont franchement rebondi en mars (5,2% après -2,6% et -1,7%). Leur glissement annuel ressort à 15,2%. Le PMI manufacturier s’est inscrit à 53,3 en avril, la cinquième hausse consécutive, la composante production s’inscrivant à 55,2, au plus haut depuis mai 2011, et celle des commandes bondissant de 4,1 points à 55,1. Le commerce extérieur s’est redressé, dégageant un excédent de 5,3 milliards de dollars en mars (1,1 milliard de dollars en cumul sur les trois premiers mois de l’année). Les exportations ont progressé de 8,9% en glissement annuel contre 5,3% pour les importations. Si le besoin s’en faisait sentir pour stabiliser la croissance, le gouvernement pourrait intensifier son soutien budgétaire au-delà des mesures prises en octobre. Avec une inflation qui s’est assagie (malgré le rebond de mars de 3,2 à 3,6%), la politique monétaire devrait conserver une orientation accom- modante sous la forme de baisses du taux de réserves obligatoires. Au total, la croissance chinoise devrait approcher les 8,5% cette année, sensiblement au- dessus, comme à l’habitude, de l’objectif officiel de 7,5%.

– L’inde

La croissance indienne est revenue de 8,6% en 2010 à 6,9% l’an dernier ; au quatrième trimestre, elle a été limitée à 6,1%. Malgré une hausse des prix de 6,9%, la banque centrale, après avoir abaissé le taux de réserves obligatoires de 5,5% à 4,75% en mars, afin d’améliorer la liquidité bancaire, a décidé de ramener son taux directeur de 8,5% à 8% après treize hausses consécutives depuis mars 2010. Les marges pour aller au-delà sont limitées, même si la Reserve Bank of India (RBI) anticipe une inflation revenant vers les 6,5%. L’Inde se caractérise par une situation budgétaire difficile : c’est la plus dégradée parmi les BRIC. Le déficit pour l’exercice achevé en mars est ressorti a 5,9% contre 4,6% attendus, il atteint 8,5% toutes administrations confondues (7,5% en moyenne sur les dix dernières années). La détérioration tient à la fois à la forte sensibilité des recettes à l’activité manufacturière et au poids des subventions (produits alimentaires, fuel) qui a atteint 2,4 points de PIB contre 1,3 point anticipé. La charge des intérêts de 5% du PIB limite considérablement les marges de manœuvre. Le déficit attendu pour l’exercice budgétaire qui commence paraît très optimiste. Au total, la croissance prévue pour 2012, de l’ordre de 7%, n’est guère différente de celle de l’an dernier.

La mise en œuvre des réformes structurelles : quelles contraintes ?

Dans les domaines de la politique budgétaire mais aussi de la compétitivité et des réformes structurelles visant à améliorer le fonctionnement du marché du travail et à limiter les rigidités qui entravent les marchés des biens et services, la tâche est difficile. Il n’est que de se rappeler le triste épisode de la fameuse directive Bolkenstein pour s’en convaincre (d’Arvisenet, 2007)1.

La mise en œuvre des réformes se heurte non seulement à des opinions publiques qui affichent parfois une certaine méfiance vis-à-vis des mécanismes du marché. La conjoncture est pour le moins défavorable, dans un contexte de consolidation budgétaire, ôtant toute marge de manœuvre pour accompagner les réformes et en alléger les coûts. Le risque de relâchement n’est pas négligeable, comme on a pu le constater sur le plan budgétaire dans les années 2000, après les efforts consentis avec la mise en place de l’UEM. Pour autant, l’expérience signale que les réformes interviennent généralement au plus mauvais moment, en période de crise. R. Duval et J. Elmeskov2 (2006), dans un examen de la mise en œuvre de mesures structurelles (touchant les politiques actives de l’emploi, la protection de l’emploi, les prélèvements sociaux, l’indemnisation du chômage, la formation des salaires, la flexibilité du temps de travail et les retraites) montrent que celles-ci ne sont conduites agressivement (changement de deux écarts types de l’indicateur OCDE du poids de la réglementation) que dans des périodes de crise (caractérisées par un output gap négatif d’au moins quatre points).

Le bon fonctionnement d’un marché peut se trouver contrarié par différents obstacles : situations mono- polistiques, exigences en matière de localisation, limites au nombre de prestataires ou aux gammes de prestations offertes par un producteur donné…

L’élimination des rigidités sur les marchés de biens et services génère des gains qui résultent du jeu de plusieurs types de mécanismes : convergence des prix vers ceux pratiqués par les prestataires les plus efficaces – alors que d’importants écarts subsistent sur ce point entre les pays européens -, accroissement de la productivité tendancielle des services bien plus faible que celle constatée, par exemple, aux Etats-Unis, économies d’échelle, etc.

Les analyses menées de façon récurrente par l’OCDE sur l’incidence du poids de la réglementation aboutissent à un constat négatif. Sur la base d’indices du poids de la réglementation construits à partir de plusieurs types d’indicateurs, tels le contrôle exercé par les Etats (taille du secteur public, contrôle public sur l’activité des entreprises et la formation des prix), barrières à l’activité (contraintes administratives générales ou sectorielles, barrières légales, limitation à la concurrence, dispositifs de licences et permis, exigences de communication), barrières réglementaires au commerce et à l’investissement, procédures discriminatoires…, les travaux de l’OCDE montrent que le potentiel de progrès reste considérable, le fardeau de la réglementation restant nettement plus lourd dans les pays d’Europe continentale que dans les pays anglo-saxons. Cela vaut pour les services, tant aux particuliers qu’aux entreprises, dont ils constituent une part importante des consommations intermédiaires. Plus encore, le degré de réglementation sur le marché des biens et services n’est pas neutre quant au fonctionnement du marché du travail.

Au-delà des rigidités qui affectent ce dernier (protection de l’emploi des « insiders » qui décourage l’embauche ou encore la générosité de l’indemnisation du chômage qui renforce leur pouvoir de négociation), le poids de la réglementation sur le marché des biens et services exerce un effet négatif sur le taux d’emploi (G. Nicoletti, S. Scarpetta3 – 2004,2005). Ainsi, les réformes du marché du travail et celles du marché des biens et services apparaissent-elles complémentaires. La pression de la concurrence s’accompagne d’une réactivité plus forte de la demande de travail au coût salarial. Un allègement des coûts du travail exclusivement capté sous forme de marges et sans bénéfice pour la consommation finale ne soutiendrait pas la demande de travail. Les rigidités des deux marchés allant de pair, l’effet des réformes du marché du travail se trouve « potentialisé » par la mise en œuvre de réformes sur le marché des biens et services. Le coût des réformes se matérialise rapidement et se concentre sur des groupes bien identifiés, naturellement enclins à s’y opposer. A l’inverse, les avantages sont méconnus, répartis sur de larges groupes de la population, d’où leur faible incitation à les soutenir, d’autant qu’il faut compter avec les comportements de passager clandestin. Comme en matière de consolidation budgétaire (A. Drazen 4 , 1991), les réformes ne sont bien souvent adoptées qu’à l’issue de guerres d’usure qui n’aboutissent que lorsqu’une des parties jette l’éponge. Les avantages des réformes ne se concrétisent ainsi qu’à l’issue de délais qui dépassent les échéances électorales, d’où un biais pour le statu quo.

L’engagement de réformes dans un domaine donné apparaît cependant facilité par la mise en œuvre de réformes réussies dans d’autres domaines. Sans doute convient-il d’y voir un effet d’apprentissage inhérent à la prise de conscience des effets positifs des réformes antérieures.

NOTES

  1. P. d’Arvisenet: « The fate of the Bolkenstein directive. ICCBE Annual Seminar, Milan, Juin 2006 ; “Réforme du marché des services et pouvoir d’achat”, Societal n°56, 2ème trimestre 2007.
  2. R. Duval, J. Elmeskov : « The effect of EMU on structural reform in labor and product market », ECB n°596, Mars 2006.
  3. G. Nicoletti, S. Scarpetta : « Does regulatory reform in product and labor market promote employment, evidence from OECD countries », OECD Juin 2004 ; « Product market reform and employment in OECD countries», OECD WP 472, Décembre 2005.
  4. A. Alesina, A. Drazen : « Why are stabilization delayed ? », AER, Décembre 1991.

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