L’Autriche est-elle la prochaine Islande ?

par Sylvain Broyer, Costa Brunner, Nathalie Dezeure et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis

Les marchés redoutent que, par contagion, l’Autriche puisse être emportée par les difficultés économiques et financières que rencontre l’Europe de l’Est. Nous montrons ici que de telles craintes sont exagérées :

  • Bien que le poids des banques dans l’économie autrichienne (6%) ait doublé en quinze ans, il est aujourd’hui comparable à ce qui s’observe au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La taille au bilan des banques rapportée au PIB n’excède pas celle de la France (378% contre 1280% en Islande). 
  • Si l’exposition commerciale de l’Autriche à l’Europe de l’Est est trois à quatre fois supérieure à la moyenne européenne, elle reste faible : les exportations nettes vers cette zone n’excèdent pas 3% de PIB. De plus, les relations commerciales sont ténues avec des pays aussi peu stables que les Etats baltes.
  • L´exposition financière de l’Autriche à l’Europe de l’Est est certes lourde, puisqu’elle totalise plus des deux tiers de ses engagements étrangers. Elle n’en reste pas moins modeste (78% du PIB), si on la rapporte au bilan des banques. Par ailleurs, les banques autrichiennes sont très peu présentes dans les pays baltes (engagements de 0,4% de PIB).
  • Le marché immobilier domestique ne présente pas de risque supplémentaire pour les banques autrichiennes : n’ayant pas montré de signes de surchauffe, il ne se retourne pas violemment aujourd’hui.
  • La contraction du PIB en 2009 devrait être moins forte en Autriche que dans l’UEM.
  • Enfin, l’ouverture des déficits publics est temporaire, car principalement cyclique. La dette publique autrichienne atteindra 65% du PIB en 2010, ce qui était son niveau en 2002 lorsqu’elle traitait au même prix que le Bund.

La défiance des marchés se porte aujourd’hui sur l’Autriche. La dette souveraine se traite au prix historique de 95pb contre le Bund et le risque d’un défaut de la République autrichienne à horizon de 5 ans est évalué à 230pb.

Les marchés redoutent que, par contagion, l’Autriche puisse être emportée par les difficultés économiques et financières que rencontre actuellement l’Europe de l’Est.

Nous regardons ici la structure de l’économie autrichienne, son exposition commerciale et financière à l’Europe de l’Est, le marché immobilier domestique, les perspectives conjoncturelles et les finances publiques.

Ce tour d’horizon permettra de trancher si l’Autriche peut connaître une crise semblable à celle qui a fait tomber l’Islande ou non.

l’Autriche : un taux d’ouverture élevé, mais une balance commerciale équilibrée et une spécialisation bancaire croissante

En tant que membre fondateur de la zone euro, l’Autriche s’est appliquée à honorer les engagements de Maastricht dès les premières phases de l’UEM (voir plus bas). Sa population (8,4 millions d’habitants) réalise une production annuelle (PIB) de 280 milliards d’euro courants. L’Autriche occupe ainsi un rang similaire aux Pays- Bas en termes de richesse produite par habitant.

Le secteur industriel est très développé (30% de la valeur ajoutée) et le taux d’ouverture au commerce extérieur est élevé (115% du PIB). L’Autriche exporte principalement des pièces automobiles et moteurs, mais est également une destination touristique prisée. Un tiers du commerce extérieur est destiné à l’Allemagne.

Malgré un fort taux d’ouverture, la balance commerciale est équilibrée depuis 2002. En conséquence, la croissance autrichienne est bien moins dépendante du commerce extérieur que l’Allemagne, qui affiche un surplus commercial de 8% de PIB.

Au fil des ans, l’Autriche s’est taillée la part de marché non négligeable de 1% du commerce mondial. Contrairement à la tendance empruntée par de nombreux pays industrialisés, dont la France, depuis l’intégration de la Chine au commerce mondial, la part de marché autrichienne dans le commerce mondial est stable.

Depuis le milieu des années 90, l’économie autrichienne renforce continuellement sa spécialisation bancaire. Les services d’intermédiation ont pratiquement doublé en quinze ans et atteignent aujourd’hui un poids dans la production nationale comparable à celui observé au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

Par proximité géographique, l’Autriche entretient des relations commerciales privilégiées avec l’Europe de l’Est. Celles-ci ont d’ailleurs fortement progressé depuis 2003.

L’Autriche enregistre un surplus commercial total de 2,7% de PIB avec les sept principaux pays d’Europe de l’Est. Cette exposition commerciale nette est certes bien supérieure à celle des autres pays européens envers cette région (Allemagne 0,8%, France 0,0% et UEM 0,4%), mais elle reste contenue.

De plus, le surplus commercial de l’Autriche est surtout réalisé auprès des grands pays de l’Europe de l’Est qui sont parmi les plus stables de la région.

Avec la spécialisation bancaire de l’économie autrichienne, l’actif total des banques a grossi jusqu’à atteindre 378% du PIB au troisième trimestre 2008. C’est trois fois moins que l’Islande et l’Irlande et légèrement moins que la moyenne européenne.

La dépendance du secteur bancaire vis-à-vis de l’étranger est en revanche unique en zone euro, avec 41% du PIB détenus comme actifs extérieurs nets.

Le système bancaire des pays de l’Est est largement dominé par les banques étrangères notamment européennes qui concentrent près de 91% de l'exposition mondiale à la région (1588 Mds USD). Les banques autrichiennes Erste Bank et Raiffeisen sont à cet égard particulièrement engagées à l'Est. Les créances brutes des établissements autrichiens en Europe de l’Est totalisent 289 Mds USD soit 18% des engagements financiers étrangers en Europe de l’Est.

L´exposition financière de l’Autriche à l’Europe de l’Est (78% du PIB) est à la fois modeste si on la compare au total du bilan des banques (378% du PIB) et très lourde si on la rapporte à ses engagements étrangers nets, puisqu’elle en concentre plus des deux tiers (71%) soit 29% du PIB.

Or, plusieurs facteurs suscitent la méfiance vis-à-vis du secteur bancaire autrichien :

  • La forte concentration des activités bancaires à l’Est, alors que la croissance n’est plus à l’ordre du jour dans la région. Les défaillances des créditeurs devraient fortement augmenter à mesure que le PIB de certains pays enregistre des contractions sans précédent.
  • Les débiteurs de ces crédits, majoritairement libellés en devises en particulier en euros et francs suisses, risquent de ne plus pouvoir honorer leurs dettes après les fortes tensions sur certaines devises nationales, ce qui est valable pour le forint hongrois, le leu roumain, le zloty polonais, le hryvnia ukrainien. 
  • Les créances à l'Est ne sont pas largement couvertes par les dépôts ou les réserves de change. Le risque d’effondrement du système bancaire en cas de ruée est bien réel dans la plupart des pays de la région sauf en République tchèque et Pologne.

Face aux risques de déstabilisation du secteur bancaire autrichien par l’Est, plusieurs éléments jouent toutefois un rôle stabilisateur :

  • Le gouvernement a adopté à l'automne un plan de 100 Mds EUR (85 Mds de garanties et 15 Mds de recapitalisations) d'aides au secteur bancaire, auquel les grandes banques autrichiennes n'ont pas encore complètement eu recours.
  • Des appels de plus en plus forts (Autriche, Hongrie, Etats baltes…) en faveur d’un plan européen de stabilisation des systèmes financiers d'Europe de l'Est, mais cette initiative n'a cependant pas fait l’unanimité à Bruxelles, Berlin ou Paris.
  • Le pays est relativement diversifié au sein de la région. L’exposition autrichienne ne dépasse pas plus de 36% de l’encours total d’un pays, ce qui n’est pas le cas de la Suède dont l’exposition aux Baltes atteint 56-80%.
  • Le risque de faillite bancaire est concentré dans des économies de petite taille (131 Mds USD dans les Baltes, 164 Mds en Hongrie et 56 Mds en Ukraine) où les engagements de l’Autriche sont relativement faibles (respectivement de 1,4 Mds USD, 38,3 Mds et 12,9 Mds).

Le marché immobilier autrichien, qui n’avait pas montré de signe de surchauffe par le passé, ne se retourne pas brutalement aujourd’hui :

  • La dette des ménages a légèrement moins progressé que dans les autres pays membres. Elle reste proche de la moyenne constatée pour la zone euro. Les encours de crédit à l’habitat ralentissent moins et leurs taux d’intérêt sont dans la moyenne en termes réels.
  • Les prix immobiliers (ici les coûts à la construction) sont plus stables que dans le reste de la zone euro.

Le marché immobilier autrichien présente en fait les caractéristiques des marchés peu volatiles comme l’Allemagne ou la Suisse : faible taux de propriété (55%), avantages fiscaux à la location, endettement majoritairement à taux fixes (50-60%), loan-to-value mesurée.

Les indicateurs avancés sont un peu moins sinistrés en Autriche qu’en zone euro et la confiance des ménages y est même nettement moins déprimée.

Notamment, on voit que le taux de chômage est structurellement plus faible en Autriche et ne s’est toujours pas éloigné de son point bas cyclique.

L’Autriche a réalisé des gains de productivité systématiquement plus élevés que la zone euro entre 1998 et 2002. Ils l’ont placé dans le peloton de tête des pays membres en termes de compétitivité-coûts. Deux facteurs ont contraint l’économie autrichienne à cette course à la compétitivité-coûts :

  • La stratégie de désinflation compétitive de son grand voisin allemand vers lequel l’Autriche réalise un tiers de ses exportations ;
  • L’élargissement à l’Est de l’Union européenne et de la zone euro qui augmentait le risque de délocalisation industrielle vers des pays à bas coûts salariaux et faibles taux d’imposition sur les sociétés. L’Autriche, qui a des frontières avec la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie, a réduit son taux d’impôt sur les sociétés de 34 à 25% dès 2005.

Contrairement à l’Allemagne, ces efforts de productivité ont été redistribués aux ménages à partir de 2005 sous forme de salaire. La consommation, par ailleurs soutenue par des baisses de l’impôt sur le revenu, en a profité.

Depuis 2005, les coûts salariaux unitaires progressent en rythme avec la moyenne européenne et l’Autriche cèdent à nouveau des points de compétitivité-coûts. L’inflation sous-jacente reculera pour cette raison un peu moins qu’en zone euro les deux prochaines années.

Ce développement des fondamentaux autrichien est donc, à horizon 2010, favorable à la consommation, encore neutre pour le commerce extérieur, mais défavorable à l’investissement productif. On vérifie bien que le taux d’utilisation des capacités productives s’est retourné plus tôt en Autriche qu’ailleurs.

Quatre lois de relance conjoncturelle ont été passées. Leur enveloppe globale atteint 1,3% de PIB, en conformité avec les recommandations de l’UE. Elles ciblent le pouvoir d’achat des ménages surtout, et les incitations à l’investissement dans une moindre mesure. Néanmoins, nous n’attendons guère d’effets sur la croissance, ne serait-ce que parce que les principales mesures courent sur quatre ans.

Finalement, l’Autriche ne devrait pas être épargnée par la récession en 2009, mais du fait de l’absence de retournement brutal du marché immobilier avec endettement stable des ménages, d’un taux de chômage structurellement bas, et d’une compétitivité-coûts élevée, nous attendons une contraction modérée du PIB cette année, et inférieure à celle de la zone euro. La reprise ne sera pas encore au rendez-vous en 2010, année pour laquelle nous prévoyons une croissance bien inférieure au potentiel.

Sans respecter à la lettre les critères de Maastricht, les finances publiques autrichiennes sont plus vertueuses que la moyenne européenne, avec notamment un désendettement discontinu depuis le début de la décennie qui tranche avec les dérives françaises ou allemandes.

D’ailleurs malgré sa probable ouverture cyclique à 5% de PIB en 2010, l’Autriche ne fait pas l’objet d’une procédure pour déficit excessif, comme l’UE l’a ouverte contre la France.

L’ouverture du déficit autrichien est principalement d’origine cyclique. Le cadre des recapitalisations bancaires se restreint à 15 Mds d’EUR et, pour l’heure, la reprise par l’Etat de Kommunalkredit s’est fait à l’euro symbolique. Comme nous l’avons montré dans une étude récente,1 et contrairement à l’Irlande, les garanties accordées aux nouvelles émissions bancaires ne pèseront pas fortement sur les finances publiques autrichiennes en cas de défaut des banques.

La dette publique autrichienne devrait atteindre 65% du PIB en 2010, ce qui était son niveau en 2002, lorsque la dette autrichienne traitait dans le marché au même prix que le Bund allemand.

Synthèse : l’Autriche n’est pas l’Islande 

  • L’Autriche est une économie ouverte qui n’accuse pas de déséquilibre commercial. Les services d’intermédiation bancaires s’y sont rapidement développés depuis quinze ans pour atteindre aujourd’hui un poids dans la production nationale comparable à celui observé aux Royaume-Uni et aux Pays-Bas (6%). 
  • Le surplus commercial vis-à-vis des sept principaux pays d’Europe de l’Est est de 2,7% de PIB. Cette exposition commerciale reste contenue, même si elle est bien supérieure à celle des autres pays européens envers cette région.
  • L´exposition financière de l’Autriche à l’Europe de l’Est (78% du PIB) est à la fois modeste si on la compare au total du bilan des banques (378% du PIB) et très lourde si on la rapporte à leurs engagements étrangers nets (29% du PIB). Il faut toutefois noter que l’Autriche est faiblement engagée dans les Etats baltes. 
  • Le marché immobilier domestique ne représente pas de risque supplémentaire pour les banques autrichiennes : n’ayant pas montré de signes de surchauffe, il ne se retourne pas violemment aujourd’hui.
  • L’Autriche ne devrait pas être épargnée par la récession en 2009, mais sans retournement brutal du marché immobilier, avec un taux de chômage structurellement bas et une compétitivité-coûts élevée, nous attendons une contraction du PIB inférieure à celle de la zone euro.
  • L’ouverture des déficits publics sera principalement cyclique ; les recapitalisations, les garanties bancaires et les plans de relance dégraderont modérément les comptes. La dette publique autrichienne devrait atteindre 65% du PIB en 2010, ce qui était son niveau en 2002 lorsqu’elle traitait dans le marché au même prix que le Bund.