Le plafond de la dette américaine

par Willem Verhagen, Economiste Senior chez ING Investment Management

Une fois de plus, les États-Unis sont confrontés à un défi budgétaire de taille : le plafond de la dette doit être relevé. Le scénario de ce drame devrait commencer à nous être familier : alors que la date butoir approche, le débat se durcit considérablement et les deux partis campent sur leurs positions.

Finalement, un accord de dernière minute est conclu car l’alternative est extrêmement dommageable pour l’économie. Dans le cas présent, le scénario alternatif implique un défaut technique sur la dette américaine, avec l’éventualité de conséquences sévères et durables.

Le principal actif « sûr » au monde ne serait plus sûr, ce qui entraînerait une augmentation structurelle généralisée des primes de risque. En outre, un défaut peut mettre en marche une série incroyablement complexe et impossible à arrêter d’événements mécaniques au sein du système financier. Le risque d’un arrêt cardiaque financier du type de celui provoqué par la débâcle de Lehman est grand, alors que la capacité à réanimer le patient serait probablement beaucoup plus faible qu’en 2008, les remèdes monétaires et budgétaires étant moins nombreux.

Étant donné que l’impensable est dans une certaine mesure inimaginable, presque tout le monde s’attend à ce que les acteurs agissent cette fois encore de façon rationnelle. Ceci est également notre scénario central. Il semble qu’Obama dispose des cartes les plus solides car il ne devra plus jamais faire face à l’électorat et veut donc défendre à tout prix sa principale réalisation domestique (l’Obamacare, réforme de l’assurance maladie).

Selon les sondages, ce sont essentiellement les Républicains qui seront blâmés pour les répercussions négatives en cas d’absence de relèvement du plafond de la dette, ce qui pourrait leur causer de sérieux revers lors des élections pour le Congrès de 2014. Un certain nombre de membres du Congrès républicains plus modérés ont d’ailleurs déjà annoncé qu’ils étaient prêts à voter avec les Démocrates dans l’intérêt national (et en fin de compte dans leur propre intérêt). L’attention semble d’autre part glisser de l’Obamacare vers la réforme des allocations et des impôts, un terrain sur lequel un accord pourrait être atteint plus facilement, éventuellement après un relèvement du plafond pour une période relativement courte.

Ceci étant dit, nous sommes conscients qu’il existe un risque non négligeable d’un mauvais calcul politique qui entraînerait un grave accident. Savoir qu’ils ont les meilleures cartes en main peut rendre les Démocrates moins enclins à conclure un compromis, ce qui pourrait priver les Républicains d’une « porte de sortie honorable ». Pour certains Républicains, ceci représente aussi la dernière opportunité de modifier, voire abolir l’Obamacare. De leur point de vue, ceci est une question fondamentale et ils pourraient estimer que la fin justifie les moyens. Pour le leader républicain John Boehner personnellement, présenter un projet de loi qui exclut des changements à l’Obamacare pourrait être la fin de sa carrière politique, même si une telle loi peut compter sur une majorité.

Pour compliquer les choses, la « date butoir » à laquelle les liquidités du Trésor retomberont à zéro est incertaine étant donné que les recettes et les paiements journaliers ne peuvent être prévus. Sachant cela, les hommes politiques pourraient poursuivre leur affrontement après le 17 octobre (date à laquelle le Trésor estime qu’il aura épuisé ses mesures palliatives) dans l’espoir que l’autre camp cède. Ceci est comparable à deux voitures faisant la course vers une falaise alors qu’aucun des conducteurs ne connaît la véritable distance avant le précipice.

Heureusement, il existe quelques filets de sécurité potentiels si elles tombent de la falaise, mais on ne peut être sûr que ceux-ci seront suffisamment solides. Qui plus est, leur mise en œuvre nécessite de difficiles décisions politiques.

Le premier filet de sécurité potentiel consiste en une ventilation prioritaire des paiements de la dette et des intérêts, ce qui entraînerait un allègement des charges grâce à une contraction budgétaire de 4 points de pourcentage. Si ceci devait se prolonger trop longtemps, une sévère récession serait inévitable, mais cela permettrait d’éviter l’option beaucoup plus néfaste d’un défaut. Le problème est que le Trésor a déclaré la semaine passée que cette option n’était techniquement pas possible. Bien sûr, il peut s’exprimer de la sorte pour maintenir la pression, mais il est plus prudent de dire que l’on ne peut pas compter sur cette option pour éviter le désastre redouté avec une certitude de 100%.

Une autre alternative est que le Trésor choisisse de violer la loi sur le plafond de la dette en continuant tout simplement à émettre des obligations. Il pourrait peut-être justifier ceci en soulignant qu’un défaut est contraire au 14e amendement de la Constitution américaine, qui stipule que la dette du gouvernement américain, émise légalement, ne peut être contestée. Les obligations émises durant la période pendant laquelle le plafond de la dette sera dépassé afficheront, quant à elles, un risque de défaut plus élevé étant donné qu’elles n’auront pas été « émises légalement ». Ironiquement, les États-Unis auraient ainsi leur propre version de la « dette rouge et bleue » bien avant l’Europe !

Par ailleurs, le problème du plafond de la dette pourrait aussi être contourné en impliquant la Réserve fédérale, bien que ceci signifie que le « Federal Reserve Act » devrait probablement être violé. Le Trésor pourrait non seulement frapper une pièce d’une valeur élevée et la déposer auprès de la Fed, mais la banque centrale pourrait aussi autoriser un découvert sur le compte que le Trésor possède auprès d’elle. Ceci reviendrait à un financement monétaire direct de déficits budgétaires, ce qui est considéré comme un péché mortel dans le monde des banques centrales. Néanmoins, plusieurs hauts prêtres monétaires ont déjà commis le péché à peine un peu moins grave d’un financement monétaire indirect (en maintenant le coût d’emprunt à un niveau plus faible que ce qu’il aurait été autrement), un acte qu’ils continueront probablement à perpétrer pendant un certain temps.

Qui plus est, en agissant de la sorte, Ben Bernanke épargnerait aux États-Unis et à l’économie mondiale de nombreux problèmes, assurant encore davantage sa place dans les manuels d’histoire. Bien sûr, il pourrait être renvoyé pour cette transgression, mais ceci ne devrait guère le dissuader puisqu’il devrait de toute façon bientôt quitter la Fed. La Fed a cependant encore d’autres raisons d’hésiter. L’institution doit de toute évidence tenir compte des éventuelles conséquences négatives sur sa future indépendance si elle décide de s’aliéner encore davantage les Républicains. Certains élus républicains sont en effet déjà très critiques à l’égard de la politique actuelle (assouplissement quantitatif) de la Fed.

Bref, nous ne nous attendons pas à ce que l’obstacle du plafond de la dette pose un problème insurmontable et même si c’était le cas, il y a de bonnes chances que l’un ou l’autre filet de sécurité empêche un défaut. Ceci aura indéniablement un coût car cette situation pourrait entraîner une période prolongée d’acrimonie et d’incertitude politique. Ceci conduirait presque certainement à une hausse structurelle des primes de risque. Il existe toutefois une chance minime que les choses tournent mal, de sorte que nous pourrions être confrontés à des moments angoissants jusqu’à ce que le signal indiquant que tout est rentré dans l’ordre émane de Capitol Hill.