par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions chez Dexia AM
Les marchés financiers se comportent de plus en plus comme si la crise ayant suivi la faillite de Lehman n’était qu’un bref interlude et comme si nous étions revenus à la situation dans laquelle nous nous trouvions au début de l’été 2008. Le scénario aurait juste été gelé par la crise financière.
S’agirait-il globalement d’un nouveau déjà vu ? Le prix du pétrole brut a doublé, au-delà de sa moyenne flottante sur 200 jours, les prix des marchandises grimpent et la thèse du découplage est à nouveau d’actualité. Les marchés émergents progressent de plus de 50% depuis le début de l’année.
Une prospérité renouvelée sur les marchés émergents peut finir par profiter aux pays occidentaux, les producteurs de marchandises important de plus grandes quantités de biens d’équipement. C’est la nouvelle théorie selon laquelle le bien-être des riches finit par profiter aux plus pauvres adaptée à la croissance mondiale. Compte tenu que le risque systématique ou le risque de « fat tail » ne sont plus à l’ordre du jour, il nous faut désormais traiter une récession bien plus gérable et comparable à celle du début des années 1970 à bien des égards. Nous pouvons même commencer à considérer la perspective d’une reprise économique. La croissance du PIB devrait redevenir positive au troisième trimestre aux Etats-Unis et dans plusieurs autres grandes économies. Serait-ce trop de bonnes nouvelles à la fois ?
Ce nouveau contexte fait ressortir deux problématiques : la hausse des taux à plus long terme et la réapparition de l’inflation des marchandises. Les pressions sur les bons du Trésor américains (Treasuries) et la devise américaine sont et resteront un point sensible au cours des prochaines semaines. Jusqu’ici, ça n’est que le revers de la médaille d’une reprise économique potentielle et cela reflète la hausse de l’appétit pour le risque plutôt qu’un risque souverain réel. Il convient de suivre attentivement l’évolution de cette tendance. Malgré le rôle arithmétique joué par un taux d’actualisation, des rendements obligataires en hausse érodent nécessairement les rendements positifs des actions dès lors que cela fait suite à une période difficile comme toute période caractérisée par un environnement déflationniste. Cependant, si une stratégie de sortie de crise crédible n’est pas déployée au second semestre 2009, les marchés financiers, baptisés « bond vigilantes », seront tentés de gâcher la fête du fait que n’est pas franchement évoquée une bulle publique gonflée par les dépenses fiscales destinées à financer le déficit qui est simplement monétisé par les banques centrales.
La réponse du marché obligataire à la solution présomptive des gouvernements à la crise du crédit, à savoir la souscription de crédit supplémentaire, consiste à renchérir le coût de celui-ci. Déployer plus de crédit ne représente pas une solution mais un palliatif qui atténuerait l’impact à court terme de la crise du crédit sur l’économie. Les coûts à long terme d’une telle stratégie sont nets désormais : il s’agit de taux d’intérêts plus élevés. Un tel résultat, s’il ne s’accompagne pas d’une croissance (et d’une inflation) nominale, suppose un accroissement du coût réel de l’emprunt, un facteur négatif pour les actions et les spreads de crédit. Le principal risque est surtout la hausse de déficits fiscaux et les risques que cela représente pour la stabilité et la capacité des banques centrales à soutenir des taux d’intérêt peu élevés.
Lors de la dernière réunion du FOMC, la Réserve fédérale américaine n’a pas fait mention d’une quelconque stratégie de sortie. Il est peu probable que les responsables politiques disposent de programmes fermes, étant donné que le rythme de la reprise demeure incertain et qu’ils ont recours à des outils politiques pour lesquels ils ont peu ou n’ont pas d’expérience. Alors que les indicateurs avancés continuent à se redresser, la spéculation concernant les taux d’intérêt de la banque centrale ne va pas s’estomper et elle pourrait déclencher une correction pendant l’été. Ironiquement, le meilleur scénario serait celui d’une reprise progressive et légère qui pourrait épargner un dilemme aux banques. Dans ce cas, la Réserve fédérale américaine ne serait alors pas tenue de relever ses taux pour sauver sa crédibilité et les taux d’intérêt trouveraient leur propre équilibre. Nous sommes convaincus que le rythme de la reprise sera autant régulé par les marchés, et plus précisément par des « bond vigilantes » largement habilités, que par les actions déployées par les responsables politiques.
La suffisance de capital dans le système bancaire a gêné la logique qui sous-tend des conditions monétaires plus strictes. Les banques sont tenues de réaliser certains bénéfices jusqu’à la fin 2010 pour absorber les pertes à venir supportées par leurs portefeuilles de prêts et ont donc besoin d’une courbe de rendement appropriée.
Cet aspect négatif peut être compensé, éclipsé par le facteur de liquidité positif. La liquidité du secteur financier ne pourra peut-être pas alimenter les dépenses de consommation, mais elle peut entraîner l’inflation des prix des actifs, d’où le risque d’une répétition des bulles récentes.
En effet, la liquidité excédentaire mondiale se situe à des niveaux record, en partie du fait de l’assouplissement quantitatif et en partie du stimulus fourni par la Chine. La masse monétaire M2 de la Chine est en hausse à un taux colossal de 25,7% en glissement annuel jusqu’au mois de mai. Les banques chinoises ont prêté plus de 700 milliards de dollars sur les premiers mois de l’année, plus que sur toute l’année 2008. Supposer une nouvelle phase de hausse des marchés d’actions n’est pas une hypothèse si farfelue. Tous les marchés présentent actuellement un tableau relativement homogène : ils ont tous tenté de revenir à leurs niveaux respectifs d’avant la faillite de Lehman. Les bons du Trésor et les corporate sont très en avance par rapport à cet ajustement mais les cours des actions restent à la traîne et sont toujours inférieurs de 15% à 20% aux niveaux précédant la faillite de Lehman.
Se montrer plus constructif ne signifie pas que le scénario du désendettement soit révolu. Son aspect déflationniste continuera à se faire sentir à l’avenir, mais plus progressivement, et à court terme, l’impact de la réponse politique tend à être sous-estimé.
Le jeu demeure difficile à court terme. Tout le monde attend l’intervention d’une correction du marché tandis que dans les même temps, les attentes en termes de croissance vont continuer à se renforcer, grâce à des données économiques meilleures que prévu. C’est pourquoi la correction qui se fait attendre pourrait mettre du temps à se concrétiser sous la pression d’un secteur de la gestion des fonds pressurés et le marché connaîtra des changements pendant l’été.
La période estivale est souvent un creux pour les marchés financiers. Et cela ne devrait pas être très différent cette année. La reprise économique n’est pas purement gratuite et le prix à payer pour que les marchés émergents ne renouent avec le boom économique est une hausse du prix des marchandises. Mais si le mouvement des marchandises se poursuit à ce rythme, il va également miner la reprise économique naissante. Assistera-t-on à une nouvelle bulle comme cela a été le cas l’été dernier sur les marchandises (en gardant à l’esprit le fait que le pétrole brut a grimpé pour atteindre un plafond record de 147,27 $ le 11 juillet) ? Certains pensaient alors que la hausse ne s’arrêterait pas et anticipaient l’arrêt suivant pour le brut au niveau de 200 $, voire davantage. Le scénario de l’été 2008 se répètera-t-il ou assistera-t-on à un éclatement des indices des marchés d’actions ?